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L’Afghanistan : une toute autre histoire…
Par Michael Parenti
Mondialisation.ca, 25 mars 2009
Le site de Michael Parenti 25 mars 2009
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https://www.mondialisation.ca/l-afghanistan-une-toute-autre-histoire/12897

Barack Obama a été cité comme étant un ardent défenseur de l’escalade de la militarisation en Afghanistan. Il serait important de se pencher sur l’histoire récente de ce pays afin de comprendre le lien qui existe entre cette histoire et le rôle joué en coulisse par les USA.

Moins d’un mois après les attaques du 11 sept 2001, les dirigeants du gouvernement Bush ont entrepris une série de bombardements aériens contre l’Afghanistan, ce pays qui abritait Osama Ben Laden et son organisation terroriste Al Qaeda. Plus de vingt ans plus tôt, en 1980, les USA interviennent afin de stopper l’envahisseur russe, qui attaque l’Afghanistan, avec l’accord des plus virulents critiques en matière de politique étrangère américaine. Mais l’histoire n’est pas si simple.

L’histoire réelle

Depuis très longtemps le système d’acquisition des terres en Afghanistan est resté le même. Plus de 75% des terres appartenaient à de riches seigneurs – parmi lesquels on pouvait compter à peine 3% de propriétaires ruraux. Durant les années  soixante une coalition révolutionnaire forme le parti démocratique du peuple (PDP). En 1973, le roi fut renversé. Le gouvernement qui le renversa s’est avéré être autocratique, corrompu et impopulaire. Il dut abandonner le pouvoir grâce aux actions du peuple,  fortement  assisté par l’armée.

Les militaires qui prirent le pouvoir invitèrent le PDP à former un nouveau gouvernement sous l’égide de Mohammed Taraki, un poète et écrivain. Il créera une coalition démocratique menée par un marxiste. Washington ne s’en inquiétera ni n’accusera l’URSS pour ce fait.

Le gouvernement Taraki légalisera les syndicats, facilitera l’accès aux services de santé ainsi qu’à la propriété. Il amorcera une campagne d’émancipation de la femme en offrant l’éducation publique autant à celle-ci qu’aux enfants de différentes tribus.

Un rapport du San Francisco Chronicles (du 17 novembre 2001) mentionnait que le régime Taraki avait créé à Kaboul une cité cosmopolite où 50% des universitaires étaient des femmes. Ces femmes se déplaçaient et conduisaient des voitures. Les artistes foisonnaient. Les gens étaient en paix.

Le gouvernement Taraki entreprit l’éradication de la culture de l’opium. Il abolira les dettes contractées par les agriculteurs et entreprit une réforme des terres. Les gens voyaient le futur de façon positive et avec espoir. Mais plusieurs opposants se manifestèrent. Ces « seigneurs des terres » s’opposèrent à cette réforme agricole et les fondamentalistes religieux refusèrent d’appuyer ce mouvement d’égalité des sexes ainsi que l’éducation des femmes et des enfants. Sa politique égalitaire d’économie collective déplut  à la sécurité nationale des USA et valut au gouvernement Taraki une intervention à grande échelle contre son pays, montée de toutes pièces par la CIA, des militaires pakistanais et Saoudiens ainsi que par les seigneurs du pays (mullah, trafiquants d’opium…) dépossédés de leurs anciens pouvoirs.

Hafizulla Amin, soupçonné avoir été embrigadé par le CIA lors de ses études en terre américaine, était à ce moment-là un haut-placé du gouvernement Taraki. En septembre 1979, il se saisit du pouvoir grâce à un coup d’état armé. Il fit exécuter Taraki, élimina l’opposition et annula toutes réformes et instaura un état religieux fondamentaliste islamique. Il fut renversé  deux mois plus tard par le PDP secondé d’éléments sympathisants de l’armée. De la bouche même de Zbigniew Brezinski l’administration Carter soudoyait, à l’aide d’énormes sommes d’argent, le gouvernement en place en finançant les extrémistes musulmans. S’ensuivit de brutales attaques contre les écoles et les enseignants en milieu rural par des Moudjahidines corrompus. Ceci se déroula avant l’intervention russe en Afghanistan. En 1979, le gouvernement du PDP, en état de siège, demande à Moscou l’envoi de troupes militaires afin de contenir le Moudjahidine (des guerriers islamistes) ainsi que les mercenaires privés venant de l’étranger (engagés et financés par la CIA). L’URSS, étant déjà engagée en Afghanistan à plusieurs niveaux comme l’industrie minière, l’éducation, l’agriculture et la santé, l’envoi de troupes leur semble alors naturel mais représentait évidemment des dangers plus importants. Il fallut plusieurs interventions de Kaboul avant que Moscou n’acquiesce à la demande.

Jihad et Talibans à la sauce CIA

L’intervention de l’URSS s’avérera être une opportunité en or pour les USA de transformer la résistance des seigneurs terriens en mouvement de résistance : une guerre sainte afin d’expier les communistes athéistes en les expulsant hors du pays. Sur une période de plusieurs années les USA et l’Arabie Saoudite ont consacré 40$ milliards durant la guerre d’Afghanistan. La CIA et ses alliés ont recruté, équipé et entraîné près de 100 000 Moudjahidines provenant de 40 pays musulmans différents incluant le Pakistan, l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Algérie et l’Afghanistan. Parmi tous ceux qui ont répondu à l’appel il faut compter le millionnaire de droite Osama Ben Laden et sa bande.

Après l’échec d’une longue et pénible guerre, les Soviétiques évacuent le pays en 1999. On admet de façon générale que le gouvernement du PDP s’est effondré peu après le départ des Russes. Cependant, ce mouvement connaissait un niveau de popularité important et put alimenter une résistance durant au moins trois années – prolongeant ainsi la vie de l’Union Soviétique d’au moins  une année.

Après avoir pris possession du pays, les Moudjahidines entrent en guerre entre eux.  Ils ravagèrent les villes, terrorisèrent les citoyens, organisèrent des exécutions publiques massives, fermèrent les écoles, commirent des viols et réduirent Kaboul en ruine. En 2001, Amnistie Internationale rapportait que les Moudjahidines utilisaient le viol « afin de contrôler, intimider une population vaincue ainsi que pour récompenser les soldats. » Cette tribu de Moudjahidines criminalisés dut se trouver un moyen de se financer : ils forcèrent les paysans à planter à nouveau des plants d’opium. L’ISI du Pakistan – un petit frère de la CIA – mit en place des centaines de laboratoires de transformation d’héroïne partout dans le monde.

Créée et largement financée par la CIA la force armée milicienne des Moudjahidines avait maintenant une existence bien établie. Parmi ces Moudjahidines, plusieurs retournèrent dans leur pays (Algérie, Tchétchénie, Kosovo, Kashmire) commettant des attaques terroristes au nom d’Allah contre les diverses corruptions profanatiques.

En Afghanistan, dès 1995, une branche extrémiste des Sunis islamiques, les « Talibans » – fortement financés et conseillés par le ISI et la CIA, supportés par  le parti politique islamique du Pakistan- ces Talibans se sont frayés un chemin jusqu’au pouvoir, s’emparant de presque tout le pays en s’adjoignant les tribus rebelles grâce aux menaces et à la corruption.

Les Talibans promettaient de mettre fin à la criminalité et à la rivalité qui était la caractéristique des actions menées par les Moudjahidines. Des meurtriers suspectés ainsi que des espions furent exécutés en public dans des stades à chaque mois. Les voleurs se voyaient amputés d’une main. Les Talibans condamnaient toutes formes « d’immoralité » ce qui incluait le sexe avant le mariage, l’adultère et l’homosexualité. Toutes musiques étaient hors la loi, le théâtre, les librairies, la littérature, l’éducation et la recherche scientifique. Les Talibans ont instauré un règne de terreur religieuse en imposant une interprétation encore plus stricte que celle du clergé de Kaboul. Les hommes devaient porter la barbe et les femmes la burga ce qui les couvre de la tête aux pieds. Les gens qui ne se pliaient pas assez vite à ces règles étaient ramenés à l’ordre par le ministère de la Vertu. Une femme qui fuyait un mari violent ou qui se plaignait d’être battue était elle-même fouettée par les autorités théocratiques. Les femmes étaient tenues à l’écart de la vie publique, n’avaient pas accès à la majorité des soins de santé, ni à la scolarité, ni au travail en dehors du domicile. Les femmes jugées immorales étaient lapidées à mort ou brûlées vives.

Rien de tout cela n’inquiétait Washington qui s’entendait (on le savait) à merveille avec les Talibans. Pas plus tard qu’en 1999, les USA avaient sur leur liste de paie tous les dirigeants Talibans jusqu’au jour où le président W. Bush eut à se rallier l’opinion publique en octobre 2001 afin de bombarder l’Afghanistan. Et c’est à partir de ce moment, pas avant ni après, qu’il se mit à dénoncer l’oppression des femmes en Afghanistan. Mme Bush, Laura Bush, se présenta du jour au lendemain comme une ardente féministe en dénonçant devant le public les abus commis envers les femmes afghanes.

Si on devait attribuer un point positif au sujet des Talibans il faudrait mentionner qu’ils ont fait stopper les vols, viols et massacres organisés par les Moudjahidines. En 2000, les autorités talibanes ont mis un frein à la culture de l’opium dans les régions sous leur gouverne. Un effort qui fut jugé positivement par l’ONU. En sortant les Talibans du pays et en instaurant un gouvernement Moudjahidine – choisi évidemment par les pays de l’ouest – à Kaboul en décembre 2001 la production d’opium s’est accru de façon drastique. Les années de guerre qui ont suivi tuèrent des dizaines de milliers d’Afghans. Il faut aussi compter les pertes civiles attribuées aux troupes américaines et ceux qui sont morts de la faim, du froid et du manque d’eau potable.

La « guerre sainte »  pour le pétrole et le gaz

 

Alors qu’ils affirmaient lutter contre le terrorisme, les leaders américains ont trouvé d’autres raisons, fort alléchantes, afin de pouvoir plonger encore plus profondément en Afghanistan : cette région est riche en pétrole et en gaz. Une dizaine d’année avant le 11 setembre 2001, le 18 mars 1991, le Time magazine rapportait que l’élite américaine voyait d’un bon œil l’idée d’installer de façon permanente une présence militaire en Asie Centrale. La découverte d’une réserve importante de gaz et de pétrole au Kazakhstan et au Turkménistan servira de leurre alors que la chute de l’URSS permit une meilleure marge de manouvre afin de poursuivre une politique agressive dans cette partie du monde. Des compagnies américaines mirent la main sur 75% de ces réserves mais ils rencontrèrent un problème important : comment transporter ce butin hors de cette région isolée…? Les autorités américaines refusèrent d’utiliser le pipeline russe ni la route qui traverse l’Iran jusqu’au Golfe Persique. À la place ils explorèrent une suite de  possibilités visant à installer un pipeline. On a pensé à traverser l’Azerbaïdjan, la Turquie jusqu’à la méditerranée ou bien, jusqu’à la Chine vers le Pacifique. Finalement, la route projetée par UNOCAL, une compagnie américaine, traversait l’Afghanistan et le Pakistan jusqu’à l’océan Indien. Les négociations intenses entreprises par cette compagnie auprès du régime Taliban ne porteront pas fruit. Mais en 1998, une compagnie argentine fit une offre compétitive pour la construction du pipeline. La guerre entreprise par W. Bush tomba à point pour la compagnie américaine qui voyait ses chances d’obtenir le contrat subitement, croître.

Il est intéressant de constater que ni l’administration Clinton ni celle de W. Bush n’avaient placé l’Afghanistan sur sa liste de pays « producteur de terroristes » même s’ils savaient Ben Laden protégé par les Talibans d’Afghanistan car il aurait été impossible politiquement pour Washington de négocier avec Kaboul un traité au sujet d’un pipeline.

En somme, les USA avaient, avant le 11 septembre 2001, entrepris de s’en prendre aux Talibans rendant ainsi le gouvernement de Kaboul complaisant à son égard. Ceci permettra une présence armée des USA en Asie Centrale. Les événements du 11 septembre 2001 auront donné des ailes au projet d’invasion militaire en précipitant l’opinion publique américaine directement vers l’acceptation de cette idée. Il est facile d’être d’accord avec John Ryan lorsqu’il affirme : « Si Washington avait laissé le gouvernement marxiste de Taraki tranquille, il n’y aurait pas eu d’armées de Moudjahidines, ni d’interventions de l’URSS, ni de guerre pour détruire l’Afghanistan ni d’Osama Ben Laden et encore moins de 11 septembre. » Mais cela est trop demander à Washington : laisser en paix un gouvernement progressiste de gauche qui était en train d’organiser une économie autour des besoins collectifs d’une nation, plutôt que de bâtir des richesses privées.

L’intervention des USA en Afghanistan n’a prouvé rien de plus que bien d’autres interventions organisées par les USA : celles du Cambodge, de l’Angola, du Mozambique, de l’Éthiopie, du Nicaragua, du Panama et de bien d’autres pays encore. Le but poursuivi est toujours le même : annihiler l’émancipation d’un pays qui vise l’égalité sociale et mettre en place une idéologie de réforme économique. Et par-dessus tout, ces interventions ont fait naître des éléments négatifs du passé et laissé l’économie et la vie des gens en ruine.

La guerre contre l’Afghanistan, ce pays déjà brûlé par les guerres et à l’économie dévastée continue d’être « commercialisée » par les autorités américaines avec en prime cette lutte contre le terrorisme. Même s’il s’agissait du vrai but visé, il ne faut pas se laisser leurrer et oublier les détails suivants… La destruction d’un gouvernement de gauche, s’accaparer d’un des derniers plus vastes réservoirs de pétrole au monde et, une fois de plus, occuper militairement et activement un pays étranger.

À côté de tout ça le message de « changement » d’Obama semble bien vide de sens…

Article original en anglais : Afghanistan, Another Untold Story, publié le 4 décembre 2008.

Traduction : Drummerboy, mars  2009.

Copyright © 2008 Michael Parenti.

 

 

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