L’agonie de la Somalie dans la morsure des Éthiopiens
En ces premiers jours de 2007, on entend les tam-tams de la pendaison de Saddam Hussein, les prières des muezzins pour l’Aid Al Adha, mais on assiste aussi à la préparation de la population somalienne à résister à son occupation par l’Ethiopie et ses alliés. Pour la première fois après des années de silence nous apprenons à la télévision, sur les journaux et à la radio, des nouvelles d’un pays qui semblait oublié par Dieu, en plus des hommes : la Somalie.
L’Ethiopie, avec la bénédiction de Bush, a envoyé ses chars pour écraser un groupe religieux, dont la seule faute est d’avoir chassé les seigneurs de guerre de Mogadiscio, eux-mêmes étrangement financés par les étasuniens. Coupables aussi d’avoir introduit un nouveau projet religieux et politique, là où les diverses doctrines démocratiques occidentales avaient échoué et produit seulement misère, guerres civiles et dépendance. Ce groupe religieux est l’enfant des différents échecs politiques et idéologiques des cinquante dernières années de Somalie indépendante ; du nationalisme somalien, des forces dites « progressistes, militaires et démocratiques », mais surtout des 16 dernières années d’interminables gouvernements provisoires et fantoches. Les Cours étaient une agrégation traditionnelle, force religieuses globales avec des aspirations nationales. A l’intérieur de celles-ci, il y avait des figures militaires, des jeunes radicaux et des professionnels fatigués de la farandole de la politique somalienne.
Après 16 années de vicissitudes humaines, naturelles et politiques, la Somalie est entrée dans une nouvelle phase qui ne prévoit pas d’issue immédiate. De vieilles forces s’affrontent avec des alliés nouveaux et anciens. Les Étatsuniens interviennent en Somalie sous la bannière éthiopienne ; les arabes, pour avoir une légitimité, se cachent derrière les conférences possibles de Khartoum, Sa’ana et Le Caire ; les Européens sont timides, placés heureusement sous l’égide des allemands et des suédois. Le seul pays qu’on ne voit pas et qu’on n’entend pas est l’Italie, qui semblait avoir un droit divin sur la Somalie. De façon étrange, la droite de Berlusconi n’a pas eu le courage historique de parler de la Somalie ; oublions la gauche qui, à tort ou à raison, a toujours soutenu l’Ethiopie, peut-être pour laver sa conscience des génocides chimiques du colonialisme fasciste et monarchique. Revenant en Somalie et dans la Corne de l’Afrique, nous trouvons une myriade de forces qui entrent en collision pour ensuite se différencier. Nous avons un gouvernement provisoire conduit par Abdullahi Youssouf et Ali Mohammed Gedi, constitué avec un mélange de seigneurs de la guerre et vieilles barbes du régime de Siad Barré, prêt à s’allier avec n’importe quel gouvernement étranger qui leur offre une survie provisoire (évidement en premier avec l’Ethiopie, le pays qui a dominé la conférence de réconciliation de Nairobi et, mauvaise augure, a sélectionné comme président un dictateur militaire, Youssouf). Ce gouvernement, dans la culture et dans l’inconscient des Somaliens, est une honte historique.
L’Ethiopie a toujours revendiqué et usurpé des territoires et des droits du peuple somalien, depuis l’empereur Ménélik jusqu’à Zenawi, en s’appuyant sur l’Occident, les soviétiques et les africains. Les Somaliens se sont férocement battus contre cet empire féodal et obscurantiste pendant les 200 dernières années, pour des raisons territoriales, religieuses et stratégiques. Mais surtout pour la survie de leur culture, religion et nation.
Aujourd’hui c’est le dernier raïs d’Ethiopie qui est intervenu, Meles Zenawi, un homme qui, après avoir perdu les dernières élections, a supprimé les rares voix démocratiques en Ethiopie avec le financement étasunien et la couverture de la « guerre au terrorisme ». Zenawi – un homme qui a incarcéré les parlementaires de l’opposition et tiré sur les étudiants qui manifestaient – se présente aujourd’hui comme le libérateur de la Somalie des « Cours islamiques », unique groupe politique cependant qui a pacifié l’impénétrable forteresse de « Mogadiscio », où les rangers étasuniens comme les bersagliers italiens avaient échoué. Les Cours avaient chassé les sangsues warlords, rouvert le port et l’aéroport de Mogadiscio. Choses essentielles pour la survie de 2 millions d’habitants.
C’est clair, les Cours n’étaient pas innocentes. Elles avaient une vision religieuse différente de la tradition pacifique de l’Islam en Somalie ; mais surtout elles n’avaient pas de vision politique et de voix unitaire : chacun pouvait parler de jihad, alors que les chefs faisaient d’interminables réunions avec le gouvernement provisoire et la communauté internationale, avec la claire ambition de participer à un futur gouvernement de coalition. Une seule chose est sûre : les Cours avaient l’appui de la population à Mogadiscio et dans le Centre-Sud. Tout cela ne justifie pas une occupation militaire éthiopienne en Somalie. L’Ethiopie est un pays très pauvre, avec une population de 75 millions d’habitants multi-religieuse, mulri-culturelle et multi-ethnique qui a souffert de tout type de dictature. De la monarchie arriérée de Haïlé Sélassié à la dictature sanguinaire de Mengistu, jusqu’à la domination du groupe minoritaire des Tigré, conduit par Zenawi. L’intérêt des USA dans le conflit est déterminé par l’importance stratégique de la Somalie, placée à l’entrée et sortie du Golfe arabique où passent toutes les marchandises vers l’Afrique, l’Amérique du Nord et autres destinations. Sans compter que le territoire somalien est riche en pétrole et gaz naturel. Mais quelles sont les voies de sortie du marais actuel pour la Somalie et la Corne de l’Afrique ?
Le retrait immédiat de l’armée éthiopienne dans ses frontières ; une conférence de réconciliation en Somalie à laquelle participent des représentants de toutes les forces, y compris les Cours, le gouvernement provisoire, les chefs traditionnels, les ex-politiciens et représentants de la diaspora ; former un gouvernement national conduit par des leaders compétents, qui prépare les élections d’ici deux ans, avec un processus de réconciliation, reconstruction et développement. L’Italie, pour revenir dans le cœur des Ethiopiens, devra jouer un rôle de premier plan dans cette phase de transition, avec des projets humanitaires clairs, de reconstruction et développement. Par exemple, elle pourrait financer et construire un institut pour la reconstruction à Mogadiscio, où les anciens enseignants somaliens dispersés dans le monde entier, puissent contribuer avec leur compétence et expérience. Cette école pourrait être le début du retour de l’Université nationale somalienne.
Abdi Jama Ghedi est un ancien enseignant de l’Université nationale somalienne.
Edition de mardi 9 janvier 2007 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/09-Gennaio-2007/art39.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio