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L’Albanie dans l’Otan : is it « the miracle of freedom » ?
Par Fatos Lubonja
Mondialisation.ca, 07 avril 2009
Korrieri 7 avril 2009
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Dix-huit ans après la chute de la dictature communiste, l’Albanie a officiellement ratifié le 4 avril dernier son adhésion aux structures de l’Alliance atlantique. Unanimement saluée par les médias et la classe politique, notamment par le Parti démocratique (PD) du Premier ministre Sali Berisha, celle-ci est partout qualifiée de « miracle de la liberté ». Un non-sens pour l’éditorialiste Fatos Lubonja, pour qui ces slogans cherchent surtout à détourner les Albanais des vrais problèmes de leur pays.

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Tirana, avril 2008 (©CdB/M.Janković)

« Shqipëria në NATO : the miracle of freedom ». Ce slogan anglo-albanais est affiché en plein centre de Tirana, à côté d’autres slogans tels que « L’Albanie dans l’Otan, votre liberté, votre avenir ». Ces derniers couvrent presque toute la façade du Palais de la culture. À mon sens, ce slogan synthétise la propagande qui nous pousse à célébrer l’intégration de l’Albanie à l’Otan, ratifiée le 4 avril. Cet événement est considéré par les médias comme le plus important pour l’Albanie depuis l’indépendance. Restons sérieux !

Je pense qu’une telle emphase est nuisible pour tous les habitants de ce pays, pour la classe politique dans son ensemble et surtout pour le Parti démocratique (PD), qui tente de s’approprier l’événement. Cette joie est exagérée et comme toute exagération, elle produit un effet contraire à celui escompté. C’est aussi une insulte à l’intelligence et à l’expérience des Albanais instruits et informés. Une politique qui dédaigne cette partie de la société, et qui vise plutôt à manipuler les ignorants, est une mauvaise politique.

« Quelle « liberté » ?

Considérons tout d’abord la polysémie et les multiples dimensions de la notion de « liberté ». On nous la présente actuellement dans le sens de « liberté nationale ». Or, il ne faudrait pas oublier que les armées et les traités militaires ne sont jamais le fait de la liberté : c’est la menace qui pèse sur celle-ci ou le besoin de la défendre ou de la garantir qui sont à l’origine des forces militaires.

L’Otan fête cette année ses 60 ans d’existence et l’Alliance occidentale se voulait à sa création une protection contre les ennemis de l’époque, l’URSS et ses alliés. On disait aussi, à la création de l’Otan, qu’il s’agissait d’une stratégie pour maintenir les États-Unis « au centre du système », la Russie « hors » de celui-ci et l’Allemagne « sous contrôle ».

Tous les efforts pour refonder l’Otan, après la disparition du vieil ennemi communiste, étaient justifiés par la crainte de voir apparaitre un éventuel nouvel ennemi, ou le besoin de maintenir quelqu’un d’autre en « dehors » ou « sous contrôle ». Mais, de fait, ils visaient aussi à créer un nouvel ennemi.

Le fait qu’aujourd’hui nous ayons toujours besoin d’organisations militaires de ce type n’est pas une preuve de liberté mais témoigne au contraire que celle-ci est encore menacée, qu’elle a besoin d’être défendue.

Par conséquent, considérer l’entrée dans l’Otan comme un « miracle de la liberté », comme si cette dernière pouvait accoucher d’une armée, est une manœuvre politique pathétique et insensée. La liberté est un mot qui sied à la paix, à la créativité, à la construction, non à la guerre, aux menaces, à la destruction. « Si tu aimes la paix, prépare la guerre », me rétorquera-t-on ! C’est partiellement vrai, comme le sont tous les dictons. Mais l’histoire a montré que préparer des guerres a souvent engendré des conflits plutôt que la paix ou la liberté.

Toute vérité étant contextuelle, si l’on tient compte de notre situation géopolitique, notre liberté nationale pourrait être menacée par nos voisins italiens, grecs, serbes, monténégrins ou macédoniens, qui ont déjà tous occupé notre territoire au cours de l’histoire. Sauf que certains sont membres de l’Otan et d’autres souhaitent le devenir. Si l’on se place dans la perspective kosovaro-serbe, les risques de guerres et les solutions bellicistes aux problèmes des Balkans et en particulier du Kosovo, semblent révolus. Alors, enfler autant la question de la liberté nationale, à l’occasion de l’adhésion albanaise à l’Otan, me semble déplacé. Et cela l’est encore plus si l’on envisage un avenir commun et pacifique entre voisins.

Le retour de la propagande

Dans ce contexte, ce slogan pathétique nous rappelle forcément l’époque de la Guerre froide où nous nous vantions d’être dans le camp des personnes libres face aux exploités et aux opprimés. Mais pouvons-nous voir le monde actuel de manière aussi manichéenne, comme si ceux qui sont entrés dans l’Otan avaient accédé à la lumière et ceux qui n’en font pas partie restaient dans l’obscurité et l’oppression ? Cette vision est manipulatrice et éculée, car depuis la fin de la Guerre froide – où la séparation du monde en deux camps opposés faisait sens – de l’eau est passée sous les ponts.

La globalisation rend le monde toujours plus complexe et plus interdépendant, et, dans le contexte actuel, l’Otan n’est pas une solution d’avenir. Il représente un passé qui, malheureusement, n’est pas encore dépassé. N’oublions pas que l’Otan est accusée par une partie de la planète (même dans le camp occidental) d’être un instrument de domination des États-Unis. Sa relation à la liberté reste donc problématique et contradictoire. Il suffit de rappeler le cas de l’Irak, où la majorité des pays membres de l’Otan refusèrent d’intervenir aux côtés des Américains.

À qui sert la propagande ?

La politique albanaise utilise pompeusement la propagande en présentant l’adhésion du pays à l’Otan comme l’antichambre de l’entrée dans l’Union européenne. On en est bien loin. Les Européens ont beau insister pour nous l’expliquer, nos politiques jouent les sourds-muets. Ce sont deux faits tout à fait différents. L’entrée dans l’Union européenne a d’autres exigences. Revenons-en à la liberté, considérée cette fois dans le sens des « libertés sociales » si menacées en Albanie, non pas par les étrangers, mais par les Albanais eux-mêmes.

Enver Hoxha, nous le savons fort bien, prétendait défendre la liberté nationale et patriotique, alors que le pays était transformé en une prison géante. Le lien entre la liberté et l’Otan n’est pas sans nous rappeler la démagogie de cette époque, durant laquelle les libertés étaient inexistantes et où l’avenir semblait plus noir que jamais.

« Liberté, vous avez dit liberté ? »

Nos hommes politiques doivent se souvenir de cette expérience quand ils élaborent ce genre de slogans et qu’ils titillent nos sensibilités. Car nous ne pouvons profiter de ces libertés.

On ne peut pas dire que les Albanais sont libres quand la plupart d’entre eux sont prisonniers de la pauvreté et de l’insécurité. On ne peut pas dire que les Albanais sont libres quand un tiers d’entre eux préfère vivre comme des citoyens de seconde zone à l’étranger plutôt qu’en Albanie.

On ne peut pas dire que les Albanais sont libres dans un pays où l’expression « la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres » est appliquée sous la forme « ta liberté menace la liberté d’autrui ».

On ne peut pas dire que les Albanais sont libres dans un pays où, tout comme dans le passé, ils n’ont pas leur mot à dire sur ce qu’il adviendra de l’endroit où ils vivent.

On ne peut pas dire que les Albanais sont libres quand, dans leur majorité, ils sont confrontés à un système sanitaire qui n’assure pas un droit fondamental, celui à la vie.

On ne peut pas dire que les Albanais sont libres quand l’éducation nationale cultive l’ignorance – la mère de tous les maux.

On ne peut pas dire que les Albanais sont libres dans un pays où le crime organisé circule en toute impunité dans des 4×4 de luxe aux vitres teintées.

On ne peut pas dire que les Albanais sont libres dans un système où, au lieu de la loi, c’est le diktat du plus fort qui prévaut et où pour survivre, il faut souvent se prostituer au pouvoir.

Et surtout : on ne peut pas dire que les Albanais sont libres dans un pays où la classe politique contrôle toutes les institutions qui garantissent la liberté et la justice.

Ce sont ces manquements aux libertés sociales et individuelles que les Albanais vivent au jour le jour. C’est pourquoi les slogans qui qualifient l’adhésion à l’Otan de « miracle de la liberté », aussi grands qu’ils puissent être, aussi haut qu’on puisse les scander, ne font que laisser les Albanais froids, indifférents et sceptiques.

Article original publié dans la presse le 31 mars 2009.

Traduit par Mandi Gueguen, Le Courrier des Balkans.

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