L’Allemagne se considère en état de guerre permanent

Région :

Lors de l’ouverture de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN à Berlin le 26 mai, la chancelière allemande Angela Merkel a tenu un discours éloquent sur l’avenir de l’OTAN, les relations transatlantiques et le rôle de l’Europe et de l’Allemagne.

Elle y a évoqué le fait que l’Allemagne avait dû «s’émanciper» considérablement depuis la fin de la guerre froide, que les Etats-Unis continueraient de «jouer un rôle important», mais que «ce ne serait plus le rôle d’une seule super-puissance de résoudre, à l’en­contre des autres, les conflits de ce monde».

Elle en a tiré la conclusion que l’Alle­magne devrait prendre «plus de responsabilités» et qu’elle aurait besoin d’alliances «allant bien au-delà des alliances transatlantiques». Il ne serait plus possible d’user de la «dissuasion» face aux actuelles menaces «asymétriques», et il faudrait trouver «de tout nouveaux moyens», la société devant être tenue d’«approuver ces moyens». Merkel a dénommé cette nouvelle conception «sécurité en réseau», dans la mesure où «nous ne faisons plus de distinction claire entre les catégories ‹militaires›, ‹politiques› et ‹de société civile›».

La «sécurité en réseaux», c’est l’état de guerre permanent Il faut donner leur réelle signification aux dires de Mme Merkel. En faisant fi des propos édulcorés, on peut affirmer qu’elle exige ainsi un état de guerre permanent, auquel tous les domaines de la société doivent se plier. Cela peut aussi signifier une «guerre totale». Cette expression ne doit pas amener le lecteur allemand à ne penser qu’aux conséquences pour l’Allemagne de cette sorte de guerre prônée par Joseph Goebbels au Palais des sports en février 1943. Bien au contraire, il doit songer aux conséquences qui attendent les pays et les peuples qui ne veulent pas se soumettre et seraient donc confrontés à cette sorte de guerre menée par les Etats-Unis, l’OTAN et l’Allemagne. L’Irak et l’Afghanistan en sont actuellement des exemples éloquents. L’Iran figure en tête de liste des prochaines cibles.

Toutefois, selon Mme Merkel, on ne peut laisser les Etats-Unis seuls porter le fardeau de cet état de guerre permanent; les Européens doivent participer à cette guerre mondiale, donc aussi l’Allemagne, et cela à tous les niveaux.

Ces assertions ne sont pas dirigées contre la politique américaine. Bien au contraire: cette plate-forme de guerre permanente fut mise en place par le gouvernement Bush qui plongea le monde dans le désordre. Bush peut se retirer pour laisser les bellicistes reprendre du poil de la bête et permettre la mise en place de nouveaux stratagèmes.

Les USA doivent devenir une «soft power» Gabor Steingart, correspondant aux Etats-Unis de la revue Der Spiegel et mentor d’une domination mondiale de l’Occident, a annoncé le 26 mai dans le Spiegel Online le «tournant de la politique étrangère» des Etats-Unis. Son article porte le titre suivant: «La super-puissance doit devenir une ‹soft power›». Il ne s’agit plus de «bon» ou de «mauvais», mais bien «d’intérêts et de valeurs distincts». C’est le vocabulaire allemand. Merkel revient toujours à la notion de «communauté de valeurs» avec les Etats-Unis et aux «intérêts» communs. Steingart s’exprime ainsi: «Réduire les divergences, mettre en valeur ce qui est commun et entreprendre le plus possible avec d’autres Etats. Voilà en quoi consiste la «politique de ‹soft power›». En clair, on entend par là: ils en restent à leurs objectifs impéria­listes, mais changent de stratégie et de tactique. Il est apparu très rapidement que ces objectifs n’ont pas été abandonnés et tant l’Allemagne de Merkel que l’Europe de Merkel y jouent un rôle funeste.

On peut ainsi constater que l’acharnement agressif contre la Chine ne vient pas en premier lieu du gouvernement américain, mais de l’Union européenne et particulièrement de l’Allemagne. La Chine apparaît comme un concurrent dans la volonté germano-européenne de mainmise en Asie et en Afrique. Il s’agit notamment des énormes réserves en matières premières de ces deux continents.

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Franz-Walter Steinmeier, l’a dit ouvertement à propos de l’Asie centrale: «Il s’agit d’une région dotée d’énormes ressources énergétiques …» Mêmes remarques à propos de la région de la Mer Noire: «L’Union européenne est devenue riveraine de la Mer Noire, ce qui nous met le pied à l’étrier dans une région qui est convoitée non seulement pour son caractère de corridor de transport et d’énergie, mais qui revêt aussi une fonction de liaison: avec le Proche- et le Moyen-Orient jusque vers la Mer Caspienne.» («Auf dem Weg zu einer europäischen Ostpolitik. Die Beziehungen Deutschlands und der EU zu Russland und den östlichen Nachbarn.» [«En route vers une politique orientale de l’Europe. Les relations de l’Allemagne et de l’UE avec la Russie et les voisins à l’Est.»], discours à la Fondation Willy Brandt Stiftung du 4 mars.)

Selon le parti de Merkel, la Bundeswehr doit garantir l’accès aux matières premières

«La stratégie de sécurité» du groupe parlementaire de la CDU/CSU va dans ce sens; elle assure à la Bundeswehr un rôle central dans la «protection de l’énergie et l’accès aux matières premières» et va jusqu’à estimer qu’une «intervention militaire pourrait être nécessaire»; elle cite l’intervention de l’armée allemande dans la Corne de l’Afrique et en Méditerranée.

A cela s’ajoute le fait «qu’une nouvelle phase de la conduite de la guerre allemande dans l’Hindu Kuch» a été introduite. (Informations du 23 mai sur le site Internet de German Foreign Policy, www.german-foreign-policy.com). Des troupes allemandes d’intervention rapide (Quick Reaction Forces) doivent être engagées de façon renforcée dans les combats, pour s’opposer «à la présence constante et à la capacité de combat grandissante des forces insurrectionnelles» (Stiftung Wissenschaft und Politik: «Aufstandsbekämpfung als Auftrag. Instrumente und Planungsstrukturen für den Isaf-Einsatz» (La mission de lutte contre l’insurrection. Instruments et structures de planification des opérations de la FIAS), mai 2008, www.swp-berlin.org). Ce sont les troupes afghanes et les forces de police qui doivent mener les combats rapprochés, riches en pertes humaines – du fait que les cercueils ramenant des corps de soldats allemands posent toujours encore quelques problèmes à la population allemande, ce qui ne semble pas être le cas pour les cercueils chargés de corps afghans.

La Zeitschrift für Innere Führung [Revue du commendement interne] de la Bundeswehr, prône dans son édition du 15 janvier sous le titre «Guerilla», l’idée d’adopter la façon d’agir des Soviétiques, c’est-à-dire de confier de plus en plus à des forces spéciales des services de renseignements, donc en dehors de toute publicité, la guerre contre la résistance afghane.

Va-t-on bientôt connaître des armées privées allemandes?

Ce sont des anciens soldats de la Bundeswehr, qui s’étaient engagés comme mercenaires dans les entreprises militaires américaines, qui partent de l’idée que dans un proche avenir la Bundeswehr «s’appuiera» pour ses engagements à l’étranger «sur des entreprises de sécurité allemandes». Cela selon les informations livrées par le Deutschlandfunk du 27 mai.

Le secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, a déclaré lors d’une interview avec le Deutschlandfunk non seulement que la présence de troupes allemandes en Afghanistan était méritoire, mais aussi que les troupes de l’OTAN devaient rester dans le pays «jusque dans un avenir prévisible» – donc indéfiniment.

Le gouvernement allemand a profité de sa présidence de l’UE au premier semestre 2007 pour formuler une stratégie de l’UE pour l’Asie centrale. De plus, il a tout mis en oeuvre pour faire adopter par les pays de l’UE le traité de Lisbonne. Avec pour résultat que les quatre grands pays Allemagne, France, Grande-Bretagne et Italie – tous dirigés par des gouvernements bellicistes – disposeront à l’avenir d’une majorité dans le Conseil européen et pourront ainsi le dominer. Aussi dans les domaines de la politique extérieure et de sécurité?

C’est tout cela que les parlementaires allemands devront prendre en compte lorsqu’ils devront, en automne prochain, se pro­noncer sur l’engagement militaire allemand en Afghanistan.



Articles Par : Karl Müller

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]