L’ancien ministre britannique de l’Intérieur admet avoir demandé le bombardement d’Al-Jazeera
De récentes informations indiquent que la chaîne de nouvelles Al-Jazeera basée au Qatar a été la cible de bombardements délibérés par l’administration Bush.
Dans une émission de télévision Channel 4 Dispatches qui a été diffusée récemment et qui portait sur les cahiers de notes de l’ancien ministre britannique de l’Intérieur David Blunkett, il a été révélé qu’en avril 2003, lors de l’invasion de l’Irak par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, Blunkett a noté qu’il avait pressé le premier ministre Tony Blair de bombarder l’antenne de transmission d’Al-Jazeera à Bagdad. Interviewé par Dispatches, Blunkett a reconnu qu’il avait fait une telle proposition à Blair.
A la question de savoir s’il considérait Al-Jazeera comme une cible civile, Blunkett a répondu « Hé bien, je ne crois pas qu’il y a des cibles dans une guerre que vous ne pouvez pas attaquer parce qu’on n’y trouve pas du personnel militaire alors qu’ils tentent de gagner la guerre de propagande au nom de votre ennemi. »
Blunkett se fit alors demander s’il pensait que sa suggestion allait à l’encontre de la loi internationale. Il a répondu, « Je ne crois pas pour un instant que nous aurions hésiter dans les guerres précédentes à obtenir qu’un mécanisme de propagande sur le territoire d’un pays que nous envahissons cesse de faire de la propagande contre nous. »
Seulement deux semaines après le 8 avril 2003, la date de la note de Blunkett, un missile américain frappait le générateur électrique du bureau d’Al-Jazeera à Bagdad. Le journaliste Tareq Ayyoub a été tué et un autre membre de l’équipe blessé.
L’éditeur en chef d’Al-Jazeera, Ahmed al-Sheikh, a dit « Cela vient s’ajouter à la preuve grandissante qui réussira à prouver un jour que l’attaque sur Al-Jazeera a été préméditée… aux plus hauts niveaux. Al-Jazeera a été choisie comme cible à cette époque parce que les gens qui faisaient la guerre en Irak n’aimaient pas ce que nous diffusions. Nous parlons de terrorisme. Ceci est du terrorisme pur. »
Al-Jazeera demande une déclaration du gouvernement de Blair.
L’admission de Blunkett est encore plus incriminante puisqu’elle survient au moment où le gouvernement britannique tente de censurer la preuve que le président américain George Bush a discuté avec Blair de la possibilité de bombarder les quartiers généraux d’Al-Jazeera au Qatar.
Le 22 novembre de l’an dernier, le Daily Mirror a publié un article exclusif en première sur le procès-verbal d’une conversation entre Bush et Blair à Washington le 16 avril 2004, durant une offensive majeure des Etats-Unis contre la ville irakienne de Fallujah. Le secrétaire d’Etat américain de l’époque, Colin Powell, était aussi présent à la réunion.
Le Mirror rapporte que le procès-verbal indiquait que Bush avait menacé d’entreprendre des « actions militaires » contre le siège social d’Al-Jazeera à Doha, la capitale du Qatar.
Une source anonyme a déclaré au quotidien « Le mémo est explosif et très préjudiciable pour Bush. Ce dernier a été très clair qu’il voulait bombarder Al-Jazeera au Qatar et ailleurs. Blair a répondu que cela causerait un gros problème. Il n’y a pas de doute sur ce que Bush voulait faire — et pas de doute que Blair ne voulait pas que Bush le fasse. »
Une autre source a ajouté « Bush était tout-à-fait sérieux, comme l’était Blair. Cela est très clair des termes qu’ont choisis les deux hommes. »
Les deux personnes qui auraient divulgué le compte rendu, Tony Clark, député travailliste à l’époque, et le fonctionnaire David Keogh, son ancien chercheur, ont été accusés d’après la Loi sur les secrets officiels, et le procureur général, Lord Goldsmith, a menacé de poursuivre le Mirror si ce dernier n’acceptait pas de ne plus publier d’autres révélations. Le journal s’est plié à ces demandes.
L’ancien ministre travailliste de la Défense, Peter Kilfoyle, a présenté une motion parlementaire demandant à Blair de rendre publique l’entièreté de la note.
Ayant tenté de poursuivre en justice les deux personnes afin d’intimider et d’étouffer d’autres reportages, le gouvernement dû faire face au problème de devoir présenter des éléments au procès qui pouvaient compromettre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne dans la planification d’un crime de guerre.
Pour empêcher ceci, le gouvernement a tenté d’obtenir un procès secret ; la demande a été acceptée le 9 octobre de cette année par le juge d’Old Bailey, le juge Aikens. Cette journée-là, on refusa l’accès aux médias à une réunion privée avant le procès. Des parties du procès, retardé jusqu’en avril de l’année prochaine, seront ainsi gardées secrètes.
Le gouvernement a argumenté en faveur d’un processus secret sur la base que la note représentait un danger à la sécurité nationale.
Sir Nigel Sheinwald, le conseiller de Blair en matière de politique étrangère qui était présent à la réunion de Washington, a signé en mars un acte pour persuader le juge que le procès devait se faire en secret, avant même que Keogh et O’Connor ne soient accusés. Cet acte soutenait que le compte rendu « pourrait avoir un impact sérieux sur les relations internationales » du Royaume-Uni, et aurait probablement porté atteinte à la « défense » des intérêts britanniques, incluant ceux des citoyens britanniques en Irak.
Les avocats du gouvernement ont au même moment demandé un ajournement des audiences avant procès jusqu’en avril 2006, sur la base qu’ils avaient besoin d’un certificat de Jack Straw, ministre des Affaires étrangères à l’époque. Straw n’a jamais signé de certificat. Cette tâche fut laissée à son successeur, Margaret Beckett, qui ne l’a fait qu’en juin.
Beckett continue de soutenir que divulguer la note aurait un « impact négatif important sur les relations diplomatiques entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. L’ultime conséquence… serait une atteinte considérable à la sécurité nationale. »
« J’évalue que ce risque est si important qu’il prédomine sur l’intérêt d’une justice publique ouverte », a-t-elle ajouté.
Qualifiant ces arguments de « profondément troublants », Richard Norton-Taylor, rédacteur en chef des affaires relatives à la sécurité pour le Guardian, attire l’attention sur le jugement du juge Aikens qui accepte et même renforce les arguments du gouvernement pour étouffer la vérité.
Il fait remarquer que la décision accepte l’affirmation selon laquelle divulguer le contenu de la note aurait un « impact nuisible » sur les « relations diplomatiques et politiques » entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, et entraînerait de « graves conséquences » pour « la sûreté ou la sécurité nationales du Royaume-Uni dans la présente situation internationale. »
Norton-Taylor continue : « le contenu du mémo pourrait être lu “à travers le monde” a-t-il (le juge) prévenu — une perspective, semble-t-il, trop horrible à envisager. Il y aura « différents points de vue sur les implications de ce qui est déclaré » dans le mémo. « Il est raisonnable de conclure », nous avise-t-il, que certains individus, une partie des médias, et même « certains Etats » pourraient réagir « très défavorablement » au contenu du mémo. Cela pourrait être « pour la seule raison que l’on y discute de la politique des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne face à l’état de l’Irak à un moment délicat. » Il joue ensuite sa carte maîtresse. Il dit : « Il est également légitime pour la cour, selon moi, de garder à l’esprit la menace continuelle à la sécurité nationale qui est posée par la possibilité que des actes terroristes soient commis par des extrémistes en Grande-Bretagne. » »
Norton-Taylor conclut « Ne se contentant pas d’utiliser la menace terroriste, le juge a dit que s’il n’avait pas été d’accord pour un procès tenu en privé, le gouvernement aurait peut-être laissé tomber l’affaire et à l’avenir été réticent à poursuivre “ce type d’affaires”. »
Cet argument n’a jamais remis en cause l’authenticité du procès-verbal ou leur exactitude. Il affirme plutôt que s’il fallait que son contenu — c’est-à-dire une discussion sur les crimes de guerre — soit révélé, alors cela pourrait soulever une colère justifiable internationalement et en conséquence endommager les intérêts nationaux britanniques — particulièrement en fragilisant la relation de Londres avec Washington.
Ce jugement implique que ceux qui demandent que des comptes soient rendus publiquement risquent de donner des munitions et d’aider les terroristes. Et, en forçant le gouvernement à rendre des comptes publiquement, ils vont peut-être l’empêcher de poursuivre des dénonciateurs (whistleblowers) dans cette affaire et d’autres affaires similaires dans le futur.
Mark Stephens, l’avocat de la défense agissant pour Al-Jazeera, a dit aux journalistes, « En bout de ligne, il n’y a pas de question de sécurité nationale [dans cette affaire]. Ce qui ne peut être dévoilé au public, c’est la preuve d’un crime de guerre. »
M. Stephens en appelle à Richard Thomas, le Commissaire à l’information, sur le refus du gouvernement de divulguer le mémo en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.
Les avocats pour Keogh et O’Connor n’ont fait aucun commentaire important.
Les bureaux d’Al-Jazeera ont été frappés par les Etats-Unis à deux occasions différentes. Comme en 2003, lorsque l’attaque à Bagdad a tué Ayyoud, le 13 novembre 2001, deux « bombes intelligentes » ont frappé les bureaux d’Al-Jazerra à Kaboul en Afghanistan, détruisant l’édifice dans lequel ils se trouvaient.
Al-Jazeera a dit que les coordonnées de son bureau à Kaboul étaient connues des Etats-Unis. Et le 23 février 2003, six semaines avant l’assassinat de Ayyoud, Mohammed Jasim al-Ali, d’Al-Jazeera, envoya une lettre avec les coordonnés des bureaux de Bagdad à Victoria Clark, la secrétaire assistante pour la défense des affaires publiques.
La veuve d’Ayyoud a intenté une poursuite contre le gouvernement des Etats-Unis pour la mort de son mari en 2003. Son avocat, Hamid Rifai, a dit aux journalistes que « la cause a été intentée en partie à cause de la révélation publiée dans le Daily Mirror de Londres que le président Bush avait dit au premier ministre Tony Blair qu’il désirait bombarder le quartier général d’Al-Jazeera au Qatar. »
WSWS
Article original anglais paru le 25 octobre 2006