L’arbre de la neige fleurît d’étoiles rouges
Castelnuovo des Cheyenne
Le 29 novembre 1864, le régiment du 3ème Cavalerie Volontaires du Colorado massacra à Sand Creek 220 Cheyennes et Aparaho.Cet article est écrit à l’occasion de l’inauguration d’un monument commémoratif, dans un petit village de l’Emilie romagne, en Italie. Cet article est écrit à l’occasion de l’inauguration d’un monument commémoratif, dans un petit village de l’Emilie romagne, en Italie. .
« Nos noms sont des arbres modelés dans la parole du dieu et des oiseaux qui planent plus haut que les fusils. Ne coupez pas les arbres du nom, vous qui venez guerre de la mer. Et ne lancez pas vos chevaux flammes sur les plaines. (…) N’ensevelissez pas Dieu dans des livrs qui vous ont fait promesse d’une terre qui recouvre la notre (…) Et il vous manque une défaite dans les guerres. Et un rocher récalcitrant au déferlement du fleuve du temps véloce ». Mahmoud Darwish.
Ils sont encore parmi nous les 220 Cheyenne trucidés à Sand Creek par le colonel John M. Chivington, ancien pasteur méthodiste, épigone de la culture wasp avec son prétendu universalisme imposé l’arme au poing, qui a rendu fous les fruits purs de l’Amérique et changé leur chant en monnaie. On dit que les esprits n’oublient pas le sang indigène qui court dans les Amériques, événement fondateur de la modernité, du grand processus de spoliation des droits, ressources, identités et Dieux de ce Continent.
(…) Quand le soleil leva la tête entre les épaules de la nuit, il n’y avait que chiens et fumée et tentes renversées… L’arbre de la nuit fleurit d’étoiles rouges…, c’était le chant* de cette boucherie au Torrent de Sable, Colorado, en 1864.
Pour eux, aujourd’hui, en mémoire du génocide des peuples native américains, le premier et unique monument en Europe, en forme de tipi, du sculpteur Sterchele. Il sera inauguré le 2 décembre et ne croyez pas que ce soient des descendants des exterminateurs yankees qui le dressent, mais les habitants de Castelnuovo Rangone, un petit village typique de la région de Modène (Emilie), où l’on trouve une rue avec le nom de l’écrivain beat Jack Kerouac, des jardins dédiés à Le Jeune Holden, de Salinger, et à John Lennon. Il y a même une Colline des Fables… Pas un ensemble de maisons, usines, magasins, rues, mais des personnes, une mémoire historique, une solidarité diffuse dans les relations entre des gens, des lieux, des choses. Ceci veut dire une communauté qui veut faire âme, dit le maire Roberto Alperoli, promoteur de l’initiative avec une de ses concitoyennes, Carla Aurora Panciroli. Tout cela en lien avec les mémoires oubliées, avec des peuples, des histoires, des lieux, les Natives d’Amérique d’hier et d’aujourd’hui, emblème de l’autre de soi, avec Sand Creek, un des nombreux épisodes brutaux de la plus grande purification ethnique de l’histoire. Et avec l’enfer de 300 millions d’Indigènes dans le monde, qui sont aujourd’hui au centre d’un ethnocide silencieux.
Anéantissement et conservation
La campagne d’anéantissement pour chasser les Natives de leurs terres et de l’histoire, s’intensifie avant mais surtout après la guerre civile américaine. Pour le rush final vers la dernière frontière, les divers gouvernements mettent en marche la machine de guerre et planifient le génocide : décimation, éradication de leurs habitats, dés-indianisation et déportation dans des Réserves, -camps de concentration ante litteram- instituées aux débuts du 19ème siècle, et rendues opérationnelles avec la naissance du BIA, l’Office des Affaires Indiennes, 1824, et la loi sur le Transfert des Indiens, 1830, sous Andrew Jackson.
Désormais les Prairies sont traversées par le Cheval de Fer, par des caravanes et par des militaires. Comme des champignons, sortent de terre des fermes, villages et marchés, élevages et enceintes de fil de fer barbelé. Les blancs envahissent, pires que des sauterelles, transforment la nature, imposent leurs coutumes, leur Dieu unique, leur histoire. L’Autre, condamné à la monocivilisation, a le choix entre deux options de mort : homologation ou disparition. Il est facile aujourd’hui de s’adonner à la rhétorique en feignant une démocratie américaine qui serait celle du mythe et pas cette autre aussi, réelle, qui prend appui sur le génocide indigène et sur l’esclavage des Noirs, et leur ségrégation jusqu’à il y a quelques décennies. Au point de faire dire à la dirigeante Cherokee Wilma Mankiller que « les Indiens (et les Noirs) sont la honte vivante de la démocratie américaine ». Plus grave encore parce que les conquistadores n’étaient pas des Huns ou des Mongols, mais des gens qui avaient derrière eux la Magna Carta, l’Habeas Corpus et les Dix Commandements. A partir de 1860 on assiste à un crescendo d’agressions contre les différentes tribus, proportionnel au rythme des installations de colonies blanches, et des expropriations de territoires. Pour développer le flux des colons vers l’Ouest, le Homesteadt Act, en 1862, assigne 160 acres de terre à qui les cultivera pendant un lustre. Ces années là, vont rouler les tambours de guerre des Sioux. Et des Cheyenne, Arapaho, Navajo, Paiute, Bannok, et des Shoshoni massacrés en 1863 à Bear River, au grand soulagement des Mormons installés sur leurs terres qui voient dans l’exploit des Tuniques Bleu « l’intervention de la main de Dieu ».
Au sud aussi, l’Ouest prend feu. La guérilla apache de Cochise et Mangas Colorado rend les pistes de l’Ouest dangereuses pour les colons, marchands, soldats américains et mexicains. Ces derniers instituent une « bourse des scalps » avec ses cours de marché : un enfant 25 pesos, 50 pour une femme, 100 pour le scalp d’un guerrier… On prépare ainsi le terrain des massacres annoncés, Sand Creek compris.
Tuez les « poux rouges »
On pourrait dire que l’histoire d’un des plus féroces massacres, femmes violées et défigurées, corps d’enfants, de vieillards et de jeunes guerriers mutilés et scalpés encore vivants, commence avec une phrase gonflée par la haine paranoïaque de Chivington devant son 3ème Régiment de Cavalerie des Volontaires du Colorado : « I want you to kill and scalp all, big, and little : nicks make lice ( « Je veux que vous les tuiez tous et que vous les scalpiez tous, grands et petits : des œufs naissent les poux »). Une musique douce aux oreilles de ce régiment « Volontaires pour 100 jours », recrutés pour un engagement bref, en renfort contre des tribus hostiles : un ramassis de réformés et mercenaires de la frontière, vigilantes, pistoleros, chasseurs de tête d’indiens, souvent sans uniformes ni discipline ni scrupules d’aucune sorte.
Après des mois d’affrontements et de représailles entre Indiens, militaires et colons, le gouverneur du Colorado Jim Evans, qui a depuis longtemps ouvert aux blancs les terrains de chasse des Cheyenne du sud et des Arapaho, projette – malgré les accords de paix avec différents chefs de tribu pour la fin des hostilités- une campagne de « pacification », mais en confiant de la poudre et du plomb au prédicateur, boit-sans-soif réputé. Auparavant, Evans avait diffusé deux proclamations « … les citoyens du Colorado sont autorisés, individuellement ou par groupes organisés, à donner la chasse à tous les indiens des Pairies ».
Chivington arrive à Fort Lyon avec sa troupe, il enrôle 120 autres cavaliers sous le commandement du major Anthony, pour ensuite « toucher au sang » les sauvages sans Dieu. Le 28 novembre 1864, avec 700 hommes et quelques canons, il se dirige vers Sand Creek, où il arrive le 29, quand l’aube fait un trou rose dans la nuit glacée. Sur une anse du fleuve se trouvent les Arapaho de Main Gauche et les cent tentes des Cheyennes. Leur chef Marmite noire est considéré comme un modéré. Il a signé des accords de paix, il a rencontré Lincoln, et reçu des médailles et un immense drapeau des Usa, avec 34 étoiles blanches qui flottera au vent inutilement, en signe de paix, avant que l’enfer des tirs et des sabres ne s’abatte sur son peuple et le taille en pièces, scalpé et mutilé, vieux, femmes et nouveaux-nés. Même les Hotamitaniuy, les « Soldats chien », les puissants guerriers cheyennes, les valeureux qui courtisaient la mort, ne peuvent éviter le carnage. C’est le moment de la Lune-Quand-les –Cerfs-Sont-en –Chaleur.
Sand Creek signe à jamais la perte de tous les antiques territoires de chasse que les Blancs appellent Colorado, et le début de la fin des peuples cheyenne et arapaho. Après la boucherie, Chivington rentre à Denver en héros, il se vante d’avoir liquidé pas moins de 800 « diables rouges ». Il pavane avec ses troupes dans une parade au milieu d’une foule en fête, avant que ne surgisse la vérité sur la tuerie et qu’il soit interrogé par une Commission du Sénat des Etats-Unis. Il semble qu’aujourd’hui il n’y ait même plus la stèle qui rappelait la date, le lieu, et le massacre des premiers fils de l’Amérique. Il y a quelques années, le champ de bataille a été vendu à un éleveur qui l’a complètement nettoyé de tout ça. Ils ont désormais changé même le nom du champ de bataille. Depuis lors la zone du torrent s’appelle Big Sandy… En compensation, on trouve dans les alentours deux lieux-dits avec le nom de Chivington, l’auteur du massacre, et de Sheridan, le général, c’est-à-dire le mandant. Vous vous souvenez ? Celui du fameux aphorisme raciste : « Le seul indien bon est celui qui est mort ».
Edition de jeudi 23 novembre de il manifesto, il manifesto
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.
Fiume Sand Creek, la chanson que Fabrizio de Andrè a écrit au début des années 1980 sur le massacre de Sand Creek (voir aussi http://it.wikipedia.org/wiki/Fabrizio_De_Andr%C3%A9_ (L’indiano) et surtout les port folio de Edward Curtis, le photographe « peau blanche-cœur rouge », dans : Les Indiens d’Amérique du Nord, (Ed. Taschen) http://curtis.library.northwestern.edu/aboutwork.html