« L’armée américaine terrifie les gens pour leur faire faire ce qu’elle veut »

Chris Teske, vingt-sept ans, a été déployé deux fois en Afghanistan. Il a été témoin de violences contre les civils afghans, avant de déserter en octobre.

« Dans ma famille, c’est une tradition : un homme a combattu dans chaque guerre depuis la révolution américaine. Je me suis engagé dans l’armée – début 2001. J’avais commencé l’université, mais j’ai vite été à court d’argent. L’armée m’offrait une bourse. Un mois après le 11 septembre 2001, j’ai participé à l’invasion de l’Afghanistan comme mitrailleur dans l’infanterie. J’étais volontaire pour le combat, j’étais très en colère à l’idée qu’on s’attaque aux – civils américains.

Mais là j’ai été témoin de la manière dont les prisonniers et les habitants étaient maltraités. Quand on partait pour une mission, le commandant choisissait un point sur une carte. On – défonçait la maison, on parquait les femmes dans une pièce et on perquisitionnait les lieux. En clair, on démolissait la maison. On n’a quasiment jamais rien trouvé. L’idée, c’était que tout le monde était taliban jusqu’à preuve du contraire. L’atmosphère était très hostile, des soldats traitaient les civils de hadji (1). On n’a – jamais fait quoi que ce soit d’humanitaire, ne serait-ce que distribuer des vivres. En 2001, les Afghans étaient chaleureux et ouverts, il arrivait même qu’ils nous invitent à dîner. Quand je suis revenu dans le pays, en juillet 2003, la situation avait complètement changé. La résistance des taliban était plus dure, notre présence dans une ville les – attirait comme un aimant. J’ai essayé de m’en ouvrir à mes supérieurs. Ils m’ont dit : « Tais-toi et occupe-toi de tes affaires. »

Je suis rentré aux États Unis en décembre 2003, où j’ai été congédié avec les honneurs. Comme j’avais signé pour trois ans de service, je pensais en avoir fini avec l’armée. Je n’avais pas compris que mon contrat courait sur huit ans. Ce contrat, c’était un paquet de 50 pages avec tout un tas de clauses, et cette phrase : « Ce contrat est fondé sur les besoins de l’armée. » En août 2005, un sergent s’est pointé chez moi pour me dire de me préparer. Les factures, la voiture, la maison, le travail : tout cela n’avait aucune importance.

Ma femme et moi avons – déménagé en Allemagne, où je devais être stationné, pour un travail non combattant dans les communications. En arrivant là-bas, ils m’ont mis comme mitrailleur. Exactement comme avant. J’enseignais des techniques de combat et le maniement de la mitrailleuse lourde de calibre 50 à des jeunes de dix-huit ans qui allaient partir en Irak. Un jour, je leur expliquais que cette arme était très puissante et dangereuse, qu’en essayant de viser quelqu’un dans une maison on pouvait tuer les autres personnes qui s’y trouvaient. Tout le monde a ri. Personne n’avait envie d’entendre ces – recommandations morales.

Dans le même temps, mes supérieurs m’ont dit d’arrêter la thérapie que je suivais pour soigner mon stress post-traumatique, parce que ça me faisait partir une demi-heure plus tôt de mon travail. C’est la mentalité « dur à cuire » : si vous ne saignez pas, vous n’avez aucun problème. Avec ma femme, on a décidé de partir. En octobre 2006, nous avons vidé notre compte en banque, pris des billets aller-retour pour ne pas éveiller les soupçons et sommes rentrés en Caroline du Nord avec deux valises. Heureusement, ma voiture n’avait pas encore été envoyée en Allemagne. Nous avons passé un moment avec nos familles, puis nous avons traversé le Peace Bridge près de Buffalo pour nous retrouver au Canada. On parle de l’Amérique comme du pays de la liberté. Mais je ne me suis vraiment senti libre qu’après avoir traversé ce pont.

« La décision fut difficile à prendre : l’armée américaine a cette façon de terrifier les gens pour leur faire faire ce qu’elle veut. Mais c’est une bonne décision. Quand j’aurai des enfants, je veux qu’ils sachent que je suis fier d’une chose dans l’armée : d’avoir déserté. Ma famille a bien – réagi. Elle a vu le changement radical qui s’était opéré en moi après mon retour d’Afghanistan. J’étais toujours armé, je pensais à la guerre tout le temps, je faisais des cauchemars. Aujourd’hui, je me sens mieux. Je pense que j’étais un bon soldat. Mais c’est dur d’être un bon soldat dans une mauvaise guerre. Certaines guerres sont nécessaires, mais pas cette guerre illégale. J’ai des amis en Irak, à qui on demande de rassembler les gens aux check-points et de tirer dans le tas. Je n’ai jamais commis un crime de ma vie. Mon plus grand crime, c’est d’avoir refusé d’aller tuer des gens. »

(1) Ce terme désigne dans l’islam les musulmans qui ont accompli le pèlerinage à La Mecque.

Propos recueillis par L.B.



Articles Par : L.B.

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