L’armée US pénètre au coeur de l’Afrique

Tout habillé de bleu et loin des tueries d’Irak ou d’Afghanistan, le chef touareg de Tombouctou Alher Ag Metky a pour mission de combattre sur un autre front de la guerre de l’Amérique contre le terrorisme. Depuis la légendaire cité à la lisière sud du Sahara, ses hommes, entraînés par les USA, patrouillent sur des centaines de kilomètres dans la partie malienne de l’étendue désertique, pour tenter de prouver que ce sont eux, et non les terroristes, les bandits armés ou d’autres bons à rien, qui contrôlent le désert.

La mission d’Ag Metky n’est qu’un tout petit aspect de ce que les Américains appellent le partenariat anti-terroriste transsaharien (Trans-Sahara Counter-Terrorism Partnership). C’est dans ce cadre que de petites équipes des forces spéciales US entraînent des soldats tchadiens, mauritaniens, maliens et nigériens et coopèrent avec les armées d’Algérie, du Maroc, du Nigeria, du Sénégal et de Tunisie pour contrôler ce que les USA qualifient de zones « sous-gouvernées » du Sahara : de vastes portions du désert où les populations sont plus ou moins en rébellion depuis des années et visitées tout récemment par des clercs de l’islamisme radical et de nouveaux groupes terroristes.

Les Américains sont particulièrement inquiets de l’éventualité de voir les terroristes réussir à consolider leurs bases dans le Sahel, la frange méridionale du Sahara qui s’étend de la Mauritanie à l’ouest au Soudan à l’est, ce qui leur permettrait de pénétrer dans le ventre mou européen via le Maroc et l’Algérie. C’est cet itinéraire qu’avaient emprunté les auteurs, Marocains pour la plupart, des attentats de Madrid qui avaient tué près de 200 personnes.

  

 

Des soldats US du 1er Bataillon du 10ème Groupe aéroporté des Forces spéciales enseignant la guerre contre-insurrectionnelle aux soldats maliens

La Corne de l’Afrique devient plus effilée

En Afrique de l’Est, les USA sont déjà mêlés de près à une offensive généralisée contre al Qaïda en Somalie. Les USA ont aidé l’Éthiopie à envahir la Somalie à la fin de l’année dernière pour renverser l’Union des Tribunaux islamiques, supposée protectrice des terroristes. Les Américains combattent al Qaïda dans la région depuis 1998, année où cette organisation avait fait sauter les ambassades US au Kenya et en Tanzanie, tuant au moins 225 personnes. Maintenant, leurs forces armées s’impliquent de plus en plus dans le reste de l’Afrique. Un nouveau commandement pour l’Afrique, baptisé AFRICOM, offrira pour la première fois un commandement unifié pour le continent.

Le Général William WardIl s’agit, affirme le général William Ward, un des hommes chargés de mettre en place le nouveau commandement, de la « reconnaissance de l’importance toujours croissante de l’Afrique, » en raison principalement du terrorisme et du pétrole. L’objectif, dit-il, est d’apporter la stabilité aux pays musulmans pauvres qui bordent le Sahara et qui pourraient autrement s’effondrer créant ainsi des repaires terroriste dans le genre de ce qu’était devenu l’Afghanistan sous les Talibans.

L’inquiétude des USA au sujet du terrorisme en Afrique est aiguisée par ses besoins toujours plus grands de pétrole africain. Le Nigeria est le premier exportateur continental de pétrole vers les USA. Le fait que la moitié de ses 140 millions d’habitants sont musulmans préoccupe les spécialistes usaméricains du contre-terrorisme. Le Nigeria est déjà confronté à une insurrection – sans lien avec des revendications musulmanes – dans sa riche région pétrolière du Delta.

Encore plus au sud sur la côte atlantique, l’Angola est un autre pays dont le pétrole a suscité un approfondissement de l’implication des USA. Les USA n’ont reconnu l’Angola qu’en 1983, après 20 ans (sic ! The Economist est brouillé avec les dates : l’Angola n’est indépendant que depuis 1975, NdR) d’hostilité envers le gouvernement soutenu par les Russes pendant la Guerre Froide. Actuellement les USA y bâtissent une de leurs plus importantes ambassades en Afrique et versent des aides. L’Angola est déjà le second exportateur africain de pétrole et pourrait détrôner le Nigeria.

Les officiels usméricains insistent sur le fait qu’AFRICOM ne se consacrera pas seulement à la construction de base et de pistes aériennes mais coopérera également avec des agences de développement, des ONG et des diplomates pour gagner les coeurs et les esprits des Africains et empêcher ainsi les terroristes de disposer de bases à partir desquelles ils pourraient agir. Le Contre-Amiral William McRaven*, chef des forces spéciales qui opèrent actuellement dans le Sahara affirme que ses hommes auront certainement plus à forer des puits et à construire des maisons qu’à tirer sur qui que ce soit.

« Comme l’USAID ou Greenpeace, je ne veux pas voir un État fragile s’effondrer, » déclare-t-il.

Le Contre-Amiral William H McRaven
Le Contre-Amiral William H McRaven

L’intérêt stratégique de la mise en place d’une institution préventive de ce genre découle en partie du fait qu’elle est bien moins coûteuse que des interventions militaires dans des endroits comme la Somalie où des États fragiles se sont déjà effondrés. A la lumière des difficultés que les forces US ont rencontrées après leurs interventions en Irak, en Afghanistan et en Somalie, AFRICOM dit vouloir tirer les leçons du passé pour que les choses se passent mieux.

Cela semble évident. Mais la menace terroriste en Afrique est-elle suffisamment importante pour justifier l’investissement des USA?

Une menace réelle est celle posée par une organisation qui se nomme elle-même al Qaïda dans le Maghreb Islamique – AQIM dans le vocabulaire de l’armée usaméricaine. Elle a été constituée l’an dernier après que la fusion du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat algérien (GSPC) avec des unités combattantes locales d’al Qaïda

Le GSPC lui-même est issu de la guerre civile algérienne des années 90 et ses quelque 200 000 morts. Ses attentats les plus récents, une attaque à la voiture piégée au mois d’avril à Alger, ont tué au moins 30 personnes.

La CIA considère qu’AQIM dispose d’environ 100 ou 150 agents qui pourraient être des « démultiplicateurs de forces, » c’est-à-dire qu’ils pourraient former beaucoup plus d’autres djihadistes dans les camps d’entraînement mobiles que les Américains prétendent avoir découvert dans le désert du nord Mali près de la frontière avec l’Algérie.

Les Usaméricains s’inquiètent de l’éventualité de voir AQIM s’associer avec des organisations moins bien connues comme les Talibans Noirs du nord du Nigeria Cette organisation a été accusée d’un attentat très meurtrier commis en avril à Kano. Mais la responsabilité des Talibans Noirs reste difficile à prouver. Il est également difficile de confirmer que, coiffant les groupes marocains et Algériens, existerait quelque part ailleurs dans le Sahel un réseau terroriste en développement ou même des voies de communication et d’approvisionnement les reliant à la Somalie ou encore à l’Irak. Généralement, l’Afrique de l’Est pratique un Islam tolérant et pacifique. Mais les fondamentalistes musulmans, sous la bannière du salafisme, sont certainement de plus en plus actifs dans la région. Un mouvement islamiste qui semble gagner du terrain est le Jamaat Tablighi. Quoique il n’appelle pas ouvertement à l’engagement politique, sa doctrine, répandue principalement par des Pakistanais, a inspiré un certain nombre de terroristes, dont Richard Reid, le converti britannique qui avait essayé de faire sauter un avion usaméricain en 2001 avec une chaussure explosive, et John Walker Lindh, le « Taliban Américain » arrêté par les forces usaméricaines en Afghanistan en 2001 et condamné à 20 ans de prison pour terrorisme un an plus tard.

En Afrique, le combat des superpuissances pour conquérir les coeurs et les esprits pourrait s’avérer plus facile qu’au Moyen-Orient. Les Africains pensent encore que l’Amérique est un adversaire du colonialisme. Ils sont de plus en plus nombreux, notamment dans les pays anglophones, à partager le protestantisme évangélique qui est populaire en Amérique. Et aux yeux des Africains, le rêve américain a été relancé par la candidature à la présidence de Barack Obama, le fils usméricain d’un Musulman du Kenya.

Et par-dessus tout, les Africains savent que les investissements militaires de la superpuissance apporteront de l’argent et créeront des emplois. Le budget 2007 du partenariat anti-terroriste transsaharien est d’environ 115 millions de dollars et de son côté l’aide non militaire a augmenté d’environ 60 % l’an passé. Fait inimaginable dans de nombreuses régions du monde, il existe une compétition serrée entre pays africains pour héberger le nouveau quartier général d’AFRICOM.

Note

*Le Contre-Amiral William H. McRaven est un penseur militaire éminent. Il a notamment publié en 1996 le livre Spec Ops : Case Studies in Special Operations Warfare, éditions Presidio. Lire la note de lecture rédigée en 2004 par le Lieutenant-Colonel Ludovic Monnera, de l’État-major de l’armée suisse.

Article original ,The Economist, publié le 16 juin 2007

 

 

Traduction de l’anglais:  Djazaïri

 

Djazaïri anime le blog http://mounadil.blogspot.com  et Fausto Giudice est membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.



Articles Par : Global Research

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