L’arme d’autodestruction occidentale : l’aveuglement

Les armes à feu crépitent à Beyrouth - et l'Amérique pense que les choses vont bien

Ils ont donc remis ça ! La belle et merveilleuse démocratie américaine rampe devant les lobbyistes israéliens de l’AIPAC [le Comité des Affaires Publiques Israélo-Américaines] en les flagornant. Elle se rallie encore et toujours à la cause d’un autre pays, celui-là même qui continue de voler la terre arabe.

Ça ne s’arrêtera jamais ? Même Barack Obama – ou « M. Baracka » comme un de mes amis irlandais l’a innocemment et merveilleusement décrit – a trouvé le temps de dire à son auditoire juif que Jérusalem est capitale indivisible d’Israël, ce qui n’est pas le point de vue du reste du monde qui continue de considérer comme illégale l’annexion de Jérusalem-Est, qui est arabe. La sécurité d’Israël ! Répétez-le un millier de fois : la sécurité d’Israël – et menacez l’Iran pour faire bonne mesure !

Oui, les Israéliens ont droit à la sécurité. Mais les Palestiniens aussi. Et les Irakiens, les Libanais et les habitants du monde musulman au sens large, aussi. A présent, même Condoleezza Rice admet – et elle aussi, bien sûr, l’a dit à l’AIPAC – qu’il n’y aura pas d’Etat palestinien d’ici la fin de l’année. Cette promesse de George Bush – que personne n’a cru, de toute façon – s’est envolée. Voici les mots pathétiques de Rice : « L’objectif lui-même se poursuivra au-delà de la direction américaine actuelle ».

Evidemment ! Et le siège de Gaza se poursuivra au-delà de l’actuel mandat présidentiel aux Etats-Unis. Et le mur israélien. Et la construction illégale de colonies israéliennes. Et il continuera à y avoir des morts en Irak au-delà de « la direction américaine actuelle » – bien que « direction » pousse la définition de ce mot un peu loin lorsque cela implique un mou du bulbe comme Bush – et les morts en Afghanistan et, je le crains, des morts aussi au Liban.

Il est étonnant de voir comment voyage l’aveuglement de soi-même. Les sbires de Bush pensent toujours qu’ils soutiennent le « gouvernement » de Fouad Siniora au Liban, soutenu par les Américains. Mais Siniora ne peut même pas former un gouvernement intérimaire pour mettre en place une nouvelle série de règles, ce qui permet au Hezbollah et aux autres groupes d’opposition de conserver un pouvoir de veto sur les décisions du gouvernement.

Ainsi, il n’y aura aucun désarmement du Hezbollah et c’est pourquoi – je le crains, une fois encore – il y aura une autre guerre par procuration entre le Hezbollah et les Israéliens pour prendre le relais de la veille haine des Américains envers l’Iran. Il ne faut pas s’étonner si le président syrien, Bashar Assad, menace à présent de faire un voyage triomphal au Liban. Il a gagné. Et ne devait-il pas y avoir un tribunal international des Nations-Unies pour juger les responsables du meurtre, en 2005, de l’ancien Premier ministre Rafik Hariri ? Ce doit être la plus longue enquête judiciaire de toute l’histoire mondiale. Et je soupçonne qu’elle ne s’achèvera jamais (ou du moins sous « la direction américaine actuelle »).

A Beyrouth, la nuit, il y a des fusillades : des soldats du ministère de l’intérieur libanais en uniforme noir patrouillent la Corniche près de chez moi dans des véhicules blindés également noirs.

Au moins, le Liban a un nouveau président, l’ancien général Michel Suleiman, un homme intelligent qui apparaissait initialement sur des affiches, les yeux tournés vers la gauche, regardant le Liban avec l’inquiétude d’un créancier. Maintenant, il a sagement ordonné que toutes ces affiches soient arrachées dans une tentative pour que les groupes sectaires fassent de même avec leurs affiches de martyrs et de chefs de guerre. Et l’Amérique pense que les choses vont bien au Liban.

Et Bush et ses cohortes continuent de dire qu’ils ne parleront jamais aux « terroristes ». Mais que se passe-t-il pendant ce temps-là ? Eh bien ! C’est exactement ce que font leurs amis israéliens – les amis israéliens de M. Baracka. Ils parlent au Hamas par l’intermédiaire de l’Egypte, ils négocient avec la Syrie par l’intermédiaire de la Turquie et ils viennent juste de finir de négocier avec le Hezbollah par l’intermédiaire de l’Allemagne (en rendant au Hezbollah l’un de ses meilleurs espions qui croupissait en Israël en échange des restes d’Israéliens tués dans la guerre de 2006). Et Bush ne va pas parler aux « terroristes », hein ? Je parie que cette semaine, à Washington, il n’en a pas parlé avec l’autre mou du bulbe, Ehoud Olmert.

Et ainsi, notre démence continue. La semaine dernière, Blair, avec ses yeux de plus en plus déments, sortait devant nous des poncifs sur Dieu et la religion – et je n’ai pu m’empêcher de me référer à un article excellent d’un confrère, publié il y a quelques semaines, faisant remarquer qu’il semblait que Dieu n’avait jamais donné le moindre conseil à Blair. Tout comme avant avril 2003, n’aurait-IL pas pu dire à Blair : Eh, Tony ! Cette invasion de l’Irak pourrait ne pas être une bonne idée.

En effet, la relation qu’entretient Blair avec Dieu est elle-même très étrange. Et je crois bien avoir compris ce qui se passe. Je pense que Blair dit à Dieu qu’il sait absolument tout ce qui est juste – et Dieu approuve ses propos. Parce que Blair, à l’instar d’un grand nombre de politiciens déviants, se prend pour Dieu. Parce qu’il y a deux Dieu ici bas : le Dieu Blair et l’être infini qui bénit chacun de ses mots, si obligeant qu’IL ne LUI dit même pas de se rendre à Gaza.

C’est désespérant ! La Tate Gallery vient juste de m’envoyer un livre magnifique de peintures orientalistes, coïncidant avec sa dernière exposition (le leurre oriental : Peintures Britanniques Orientalistes) et je suis frappé par la redoutable beauté de cet ouvrage. Au 19ème siècle, nos peintres s’émerveillaient des splendeurs de l’Orient.

C’en est fini avec les peintres d’aujourd’hui. A la place, nous envoyons nos photographes et ils reviennent avec des images de voitures piégées, de corps démembrés, de maisons détruites, de Palestiniens suppliant qu’on leur donne de la nourriture et du carburant, des hommes en armes encagoulés dans les rues de Beyrouth et, oui, aussi, des cadavres d’Israéliens. Ce que voyaient les orientalistes était la majesté de cet endroit, mais aujourd’hui nous ne voyons que les terrains vagues que nous avons aidé à créer.

Mais la peur, non ! La sécurité d’Israël vient en premier et M. Baracka veut qu’Israël conserve tout Jérusalem – de même que l’Etat Palestinien – et Condee dit que « l’objectif durera au-delà de la présidence américaine actuelle ». Et il y a un oiseau qui se tient dans le palmier devant chez moi à Beyrouth et piaule à la ronde « piou-piou-piou-piou-piou », pendant environ une heure chaque matin – ce qui explique pourquoi mon logeur a pris l’habitude de lui lancer des pierres.

Mais j’ai un ami très cher qui pense qu’autrefois il y avait tout un orchestre d’oiseaux devant chez moi et qu’un jour, presque tous – ceux qui imitaient les violons et les trompettes – en eurent assez de la guerre et se sont enfuis (vers Chypre, s’ils étaient sages, mais sinon, peut-être vers l’Irlande), ne laissant que les hirondelles avec leurs flûtes discordantes pour me rappeler le monde stagnant du Proche-Orient et nos politiciens menteurs et lâches. « Piou-piou-piou », faisaient-ils encore hier matin. « Piou-piou-piou ». Et je préfère penser qu’ils avaient raison.


Article original :
« Robert Fisk: The West’s weapon of self-delusion » , The Independant, publié le 7 juin 2008.

Traduit de l’anglais, JFG/Questions Critiques.

Robert Fisk est journaliste.



Articles Par : Robert Fisk

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