L’avenir de l’eau en Algérie : Un trésor insuffisamment protégé

«Oua dja’alna min el ma koulou cha’ian hayyan»
«…Et nous avons créé, à partir de l’eau, toute chose vivante».

 

(Sourate El Anbyya, les Prophètes 21, Verset 30)

  

Le 22 mars a vu la célébration de l’eau partout dans le monde et en Algérie. Parmi les défis les plus sûrs pour l’humanité, la disponibilité de l’eau dans le futur. Au plan mondial, la question de l’approvisionnement en eau devient chaque jour plus préoccupante. Le constat unanimement partagé est simple: déjà précaire dans certaines régions du globe, la situation ne pourra qu’empirer dans les années à venir. Le formidable essor démographique que va, en effet, connaître notre planète dans les vingt-cinq prochaines années, va nécessairement s’accompagner d’une explosion de la consommation en eau et d’une dégradation de sa qualité. Face à ce risque vital de pénurie d’eau, les rencontres internationales se multiplient pour tenter de développer au niveau mondial une vision partagée de la gestion des ressources en eau.

 Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, les hommes prélèvent environ 3800 kilomètres cubes d’eau douce chaque année pour leurs différents usages. Aujourd’hui, un tiers de l’humanité vit dans une situation dite de «stress hydrique», avec moins de 1700 mètres cubes d’eau douce disponibles par habitant et par an. L’eau douce est donc une denrée rare. Pourtant, à l’échelle de la planète, elle semble ne pas manquer: environ 40.000 kilomètres cubes d’eau douce s’écoulent chaque année sur les terres émergées, lesquels, partagés entre les 6 milliards d’individus vivant sur Terre, devraient fournir 6600 mètres cubes d’eau douce à chacun. Mais si ces réserves sont globalement suffisantes pour répondre à l’ensemble des besoins, elles sont réparties de façon très inégale à la surface du globe. Neuf pays seulement se partagent 60% des réserves mondiales d’eau douce: le Brésil, la Russie, les États-Unis, le Canada, la Chine, l’Indonésie, l’Inde, la Colombie et le Pérou. À cela s’ajoute le fait que la répartition de la population est elle aussi très hétérogène ce qui augmente encore parfois les disparités. D’un pays à l’autre, les situations peuvent donc être très dissemblables. Ainsi, par exemple, entre la bande de Ghaza, en Palestine, très pauvre en eau douce (59 mètres cubes par habitant et par an), et l’Islande, où la ressource est pléthorique (630.000 mètres cubes par habitant et par an), le rapport est de un à dix mille. Le manque d’eau est structurel dans le vaste triangle qui s’étend de la Tunisie au Soudan et au Pakistan, c’est-à-dire dans plus de 20 pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient: chaque habitant y dispose en moyenne de moins de 1000 mètres cubes d’eau douce par an, une situation dite de «pénurie chronique».

L’eau, une source de conflits entre nations

Au cours du XXe siècle, la population mondiale est passée de 1,7 milliard d’individus en 1900 à plus de 6 milliards en l’an 2000. Mais alors que la population triplait, la consommation en eau de l’humanité était multipliée par plus de six, soit une augmentation deux fois plus importante! Le formidable essor de la consommation en eau est, en effet, dû non seulement à cette démographie galopante, mais aussi à l’augmentation de la demande moyenne en eau par habitant, une conséquence de l’accès de plus en plus facilité à l’eau potable, et de l’exceptionnel développement industriel et surtout agricole qu’a connu le XXe siècle. Car pour subvenir aux besoins alimentaires d’une population sans cesse croissante, il a fallu augmenter les surfaces agricoles et intensifier l’agriculture. La moyenne mondiale de consommation d’eau par jour est de 137 litres. Les écarts entre les pays sont très importants. La consommation d’eau est de 781 litres. Le Canada possède 3% des réserves mondiales d’eau potable, les Américains, en 2006, ont consommé près de 600 litres par habitant, la consommation moyenne des Français est estimée à 137 litres par personne. En Argentine elle est de 341 litres. Au Royaume- Uni elle est de 95 litres. Seuls 38% de l’eau qu’il utilise proviennent de ses propres cours d’eaux.(1)

Les perspectives en matière d’eau douce ne sont pas réjouissantes puisque, de l’avis général, sa raréfaction semble inéluctable. Or, un pays qui manque d’eau est un pays qui ne peut ni nourrir sa population, ni se développer. D’ailleurs, la consommation en eau par habitant est désormais considérée comme un indicateur du développement économique d’un pays. Selon une étude des Nations unies, l’eau pourrait même devenir, d’ici à 50 ans, un bien plus précieux que le pétrole. C’est dire toute l’importance de cette ressource que d’aucuns appellent déjà «l’or bleu». Avoir accès à l’eau est donc devenu un enjeu économique puissant à l’échelle planétaire, qui pourrait devenir l’une des premières causes de tensions internationales. Il est vrai que plus de 40% de la population mondiale est établie dans les 250 bassins fluviaux transfrontaliers du globe. La situation n’est pas récente. En 1503 déjà, Léonard de Vinci conspirait avec Machiavel pour détourner le cours de l’Arno en l’éloignant de Pise, une cité avec laquelle Florence, sa ville natale, était en guerre. Des chercheurs américains ont également montré que depuis le Moyen-Âge, les désordres sociaux en Afrique orientale coïncidaient avec les périodes de sécheresse. Aujourd’hui encore, les contentieux à propos de l’eau sont nombreux à travers le monde, notamment au nord et au sud de l’Afrique. Au Proche-Orient Israël draine l’essentiel de l’eau du Jourdain: un colon consomme 10 fois plus d’eau qu’un Palestinien. L’Égypte, entièrement tributaire du Nil pour ses ressources en eau, doit néanmoins partager celles-ci avec dix autres États du bassin du Nil. Quant à l’Irak et à la Syrie, ils sont tous deux à la merci de la Turquie

L’eau est-elle un droit naturel ou un produit marchand?

La perception de la valeur de l’eau a progressivement évolué au cours des deux dernières décennies. A Mar del Plata en Argentine en 1977, l’eau fut définie comme «bien commun», un bien donc auquel chacun devait pouvoir accéder pour ses besoins primordiaux. Mais à cette conception idéale et proprement publique de l’eau, s’est progressivement substituée, au fur et à mesure de sa raréfaction, une vision beaucoup plus marchande: en 1992 à la conférence de Dublin, l’eau fut cette fois clairement déclarée «bien économique». Par la suite, lors du premier Forum mondial de l’eau, en mars 1997 à Marrakech (Maroc), les experts exprimèrent leur crainte que l’eau ne devienne, comme le pétrole, une denrée monnayable et chère à courte échéance, et l’enjeu de nouvelles guerres. Aujourd’hui, le constat est unanime parmi les experts qui diagnostiquent une crise grave si les gouvernements n’améliorent pas leur gestion des ressources en eau. (2)

Tandis que la Commission mondiale de l’eau, plaidait pour une large privatisation de ce secteur à l’échelle mondiale, de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) condamnaient cette vision «technico-économique et marchande» et prônaient l’accès à l’eau comme un «droit fondamental de l’homme», gratuit ou tarifé à prix coûtant. Selon le Conseil mondial de l’eau, d’énormes investissements seront donc nécessaires pour moderniser l’existant et créer de nouveaux équipements (usines de production, réseaux de distribution, stations d’assainissement), mais aussi pour développer de nouveaux systèmes d’irrigation. Ces investissements ont été évalués par le Conseil mondial de l’eau à 180 milliards de dollars par an pour les 25 prochaines années, contre 75 milliards de dollars actuellement investis chaque année. Le défi majeur du XXIe siècle en matière d’eau sera donc vraiment d’assurer la rentabilité de la gestion de l’eau, tout en garantissant aux plus pauvres le droit d’accéder à cette ressource vitale. (2)

A titre d’exemple, les puissants groupes Veolia et Suez se sont vus déléguer, à 80%, la gestion de l’approvisionnement en eau en France. La gestion de l’eau fait l’objet d’un business aux enjeux financiers colossaux. Le documentaire Water Makes Money, diffusé sur Arte le 22 mars montre les manoeuvres des multinationales contrôlant cette filière.(3) Il est pourtant une autre catastrophe, voire même une véritable guerre contre des innocents, qui fait des ravages et qui mobilise si peu médias, opinion publique et responsables politiques. Il est urgent de le rappeler au moment où l’on célèbre dans la plus grande discrétion la Journée mondiale de l’eau. En effet, l’eau insalubre provoquerait, selon les estimations les plus récentes, 3,6 millions de victimes chaque année! Cette mortalité a bien une cause identifiée, les maladies hydriques, notamment le choléra, la typhoïde, les hépatites et la diarrhée qui, à elle seule, tue 1,5 million d’enfants chaque année dans le monde. Mais il ne s’agit que d’une hécatombe silencieuse. (…) 95% de la croissance démographique d’ici 2050 se produira dans des pays en développement. Dans ces pays, 80% des eaux usées sont rejetées sans traitement, provoquant une pollution dangereuse pour l’homme. On estime même que dès 2025, 22% de l’humanité vivra dans des régions de «grande pénurie». Pour le programme des Nations unies pour le développement (Pnud), 90% de nos voisins du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord seront touchés!(4)

Qu’en est-il du futur?

En terme de prévision, il semble désormais acquis que le réchauffement climatique en cours va encore accentuer ces inégalités. C’est du moins ce que prédisent tous les experts (…) Les experts estiment que les seuils correspondant à ce qu’il est possible de prélever au milieu naturel sont déjà dépassés en de nombreux lieux. Ils prévoient même l’épuisement, dans les 30 ans à venir, de plusieurs nappes importantes, dont l’exploitation s’est intensifiée: +144% en 30 ans aux États-Unis, +300% en 10 ans en Arabie Saoudite, +100% en 10 ans en Tunisie; en Chine, en Inde et en Iran, les prélèvements se sont aussi accrus. Le gaspillage d’eau domestique, notamment, peut être grand. Enfin, le problème de l’eau dans le monde n’est pas uniquement quantitatif, il est aussi qualitatif. Les rejets d’eaux usées et d’effluents sont importants, et polluent et dégradent les écosystèmes aquatiques de façon impressionnante parfois. Alors que l’irrigation absorbe déjà aujourd’hui 70% des prélèvements mondiaux, une consommation jugée très excessive, celle-ci devrait encore augmenter de 17% au cours des 20 prochaines années.

 

Que fait l’Algérie dans ce domaine?

Sans conteste, la disponibilité de l’eau pour le consommateur est due à l’investissement massif des pouvoirs publics dans le domaine de mise en oeuvre de barrages, de stations de traitement voire de mise en place d’usines de dessalement comme appoint. L’Algérie manque d’eau. En 2001, la situation avait atteint la cote d’alerte. Le gouvernement s’est alors engagé dans un vaste programme d’investissements. Treize stations de dessalement de l’eau de mer sont en cours de réalisation. Treize barrages sont également en cours de construction, ce qui portera, avec les 57 existants, les capacités de mobilisation des eaux superficielles de 5,4 milliards de m3 à 7,2 milliards de m3. Plus au sud, des travaux sont effectués pour permettre le transfert des eaux souterraines de la nappe albienne du Sahara sur une distance de 750 km, entre Adrar et Tamanrasset. Le mégaprojet de transfert d’eau d’In Salah vers Tamanrasset, sur une distance de 750 km, doit couvrir les besoins en eau potable, estimés à 50.000 m3/j de l’agglomération de Tamanrasset et de ses environs ainsi que des projets de centres de vie situés sur le tracé. A l’horizon 2030, le projet débitera 100.000 m3/jour. Il comprend la réalisation de 48 forages en deux phases, 6 stations de pompage, une adduction en double canalisation de 1 258 km, un réseau de collecte d’eau de 100 km. En outre, les travaux portent sur l’édification de 8 réservoirs châteaux d’eau, un réservoir de tête de 50.000 m3, un réservoir terminal de même capacité, ainsi qu’une station de déminéralisation de 100.000 m3/jour, en raison de la salinité de l’eau. Le ministre des Ressources en eau a inauguré le 15 mars, la première partie du mégaprojet de transfert d’eau potable de In Salah-Tamanrasset Cet approvisionnement correspond aux besoins d’une population de 340.000 habitants, avec une dotation unitaire de 265 litres/jour/habitant. Le projet gigantesque permettra à terme la création de nouvelles agglomérations de quelque 10.000 habitants chacune, tout au long du tracé du transfert. De nouvelles villes seront bâties autour de cités de fonctionnaires chargés, notamment de l’entretien et de la gestion des installations de transfert de l’eau.(5)

 

L’eau et l’électricité:

Outre ses utilisations pour les usages domestiques et pour l’irrigation, l’eau a permis de produire de l’énergie électrique et ce dès les années vingt du siècle dernier. On apprend ainsi qu’en 1938 il y avait 7 centrales à vapeur qui produisaient 288 millions de kWh. Sur ce total on comptait quelques centrales hydro-électriques avec des débits non régularisés. Les petites centrales au fil de l’eau produisaient 50 millions de kWh. Il fut alors décidé d’édifier de nouveaux barrages à la fois pour irriguer et produire de l’énergie électrique aux pieds des barrages comme à Kherrata, Oued Agrioum avec une production de 110.000 kWh et aux Chutes de Oued Djendjen avec une production de 140.000 kWh. Au total, avec les constructions faites entre 1938 et 1950 c’est en tout une douzaine d’usines avec près de 431 millions de kWh dont 230.000 kWh pour les centrales de Petite Kabylie. Vers 1950, la production totale était de 750 millions de kWh dont 60% étaient hydroélectriques (431 millions de kWh). Ces centrales hydroélectriques ont permis d’économiser la consommation de charbon. A titre d’exemple, la centrale électrique du barrage du Hamiz de 2 millions de kWh a permis d’économiser la production de 1800 tonnes de charbon.(6)

On le voit, il y a 70 ans, les économies d’énergie étaient une réalité et la plupart des barrages érigés avant 1962 étaient hydroélectriques. Peut-on convertir la cinquantaine de barrages que nous avons construits, en barrages hydroélectriques? C’est l’une des voies du développement du durable. Le coût de l’eau est dérisoire ce qui explique son gaspillage. Il faut 4 m3 d’eau pour avoir une bouteille d’eau minérale! Cela ne peut pas durer si on veut réellement avoir une politique de préservation des ressources et si on veut aller vers le développement durable. Seule une stratégie d’ensemble nous permettra de maximaliser nos ressources, rationaliser nos besoins, faire des choix de consommation, bref, préparer l’avenir. C’est cela le type de langage qu’il faut tenir aux jeunes en les invitant à investir aussi les filières technologies (ingénieurs et techniciens) et non pas en leur disant démagogiquement que vous êtes l’avenir, vous êtes les meilleurs, au contraire il faut les inviter au travail, à la sueur, aux veilles technologiques, susciter en eux la mentalité de pionniers bref, les armer scientifiquement pour la conquête du monde autrement qu’en leur servant des soporifiques insipides dont notre télévision a le secret.

1. http://www.economie-d-eau.com/consommation-eau-pays/

2. http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/mondial/07_marche.htm

3. «Water Makes Money»: le business de la gestion de l’eau en accusation Le Monde Télévison 22.03.11

4. Alain Boinet, La bataille de l’eau Le Monde 23 mars 2011

5. http://www.tamanrasset.net/modules/newbb/viewtopic.php?topic_id=3626&forum=8  

6. http://www.alger-roi.net/Alger/documents_algeriens/synthese_1945_1946/synthese_45_46_sommaire.htm

Pr Chems Eddine Chitour Ecole Polytechnique enp-edu.dz



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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