L’Espagne en guerre contre l’Irak de Saddam Hussein: les raisons de José Maria Aznar

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L’alignement impopulaire du gouvernement conservateur espagnol de José Maria Aznar sur les Etats-Unis dans la guerre contre Saddam Hussein repose sur de multiples facteurs qui vont au-delà du dossier irakien.

Lutte contre le terrorisme, réaction aux prétentions hégémoniques de l’axe Paris-Berlin en Europe, foi en un euro-atlantisme, horizon historiquement ibéro-américain, sauvegarde des frontières méridionales de l’Espagne et espoir de mieux faire entendre sa voix sont autant de raisons qui poussent Madrid vers Washington. Mais l’antiaméricanisme ambiant et un style personnel proche de l’autoritarisme desservent José Maria Aznar.

Plus sensible que d’autres au terrorisme pour souffrir en Espagne celui des indépendantistes basques de l’ETA, ayant survécu lui-même par miracle à l’un de leurs attentats, José Maria Aznar a été pris de vertige devant l’ampleur de l’attaque des kamikazes islamistes du 11 septembre 2001 contre New York et Washington.

Aux mains de l’ETA, des doses de gaz toxiques ou de virus mortels, voire à moyen terme une bombe atomique artisanale, pourraient un jour dévaster Madrid. Comme George Bush, José Maria Aznar croit l’Irak de Saddam Hussein susceptible de fournir de telles armes aux terroristes. D’autant plus que le président irakien en a déjà utilisé certaines dans son propre pays, contre les Kurdes et lors de sa guerre contre l’Iran..

« La combinaison des armes de destruction massive et du terrorisme suppose une menace aux conséquences incalculables. Nous devons tous nous sentir préoccupés. » affirmait « L’Appel des huit » (Espagne, Royaume-Uni, Italie, Portugal, Danemark, Pologne, Hongrie et République Tchèque) publié le 30 janvier dernier à l’initiative de José Maria Aznar et de son homologue britannique Tony Blair.

Quelques jours avant la publication de « l’Appel des huit », le couple franco-allemand célébrait le 40e anniversaire du Traité de l’Elysée signé en 1963 par de Gaulle et Adenauer. Le président Chirac et le chancelier Schröder réaffirmaient alors implicitement -et certains de leurs ministres explicitement- que l’axe franco-allemand demeurait, à leurs yeux, la colonne vertébrale de l’Union européenne sur le point de s’élargir à dix nouveaux pays. MM. Chirac et Schröder enrobaient leurs projets bilatéraux d’intégration d’un pacifisme dirigé contre le bellicisme affiché par les Etats-Unis à l’égard de Saddam Hussein.

A l’initiative de José Maria Aznar, qui en rédigea la première mouture, « l’Appel des huit » fut une réponse inattendue et forte à la prétention hégémonique de la France et de l’Allemagne en Europe. Signé ou approuvé par des pays totalisant plus de 250 millions d’habitants de la future Union européenne des 25, l’Appel montre -et c’est une découverte- que des axes alternatifs pourraient inciter l’axe Paris-Berlin à un véritable dialogue, notamment sur les liens euro-atlantiques.

A ce propos, José Maria Aznar aime dire que « l’Europe ne doit pas se construire sur une identité négative », celle de l’antiaméricanisme.

La défense du lien transatlantique, de plus en plus dédaigné par Paris et Berlin, mais considéré, au vu de l’histoire et des réalités contemporaines, comme la « garantie de notre liberté » par « l’Appel des huit », a précipité la rébellion des pays signataires contre le directoire franco-allemand. Pour la première fois sur le Vieux Continent, un barrage institutionnel multinational s’est dressé contre un antiaméricanisme devenu une forme moderne de xénophobie.

Frontières méridionales

L’atlantisme espagnol, au sens géographique du terme, remonte à Christophe Colomb et ne peut donc être assimilé à une attitude antieuropéenne. Le miracle économique qui ranime l’Espagne depuis vingt ans a rouvert son horizon ibéro-américain. Les entreprises espagnoles retraversent en force l’Atlantique. Elles sont, avec les entreprises américaines, les premiers investisseurs en Amérique latine. Les crises argentine et vénézuélienne ont montré que, sur ce continent, Madrid et Washington défendent aujourd’hui leurs intérêts avec une même orthodoxie, concertée au sein du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

L’Espagne et les Etats-Unis sont par ailleurs les deux seuls pays à offrir officiellement au gouvernement de Bogota une aide en matériel militaire contre les guérillas colombiennes d’extrême gauche, considérées comme terroristes tant par Washington que par l’Union européenne.

La sécurité des frontières méridionales espagnoles rapproche aussi José Maria Aznar de George Bush. En juillet dernier, ce sont les Etats-Unis et leur secrétaire d’Etat, Colin Powell, qui ont réglé la crise de l’îlot espagnol Perejil (Persil), occupé brièvement par des soldats marocains.

L’Espagne doute de la volonté de l’Union européenne -et surtout de celle de la France- de défendre, le cas échéant, les enclaves espagnoles de Ceuta et melilla, au nord du Maroc, ou les zones atlantiques potentiellement riches en pétrole qui entourent l’archipel des Canaries et qui pourraient un jour être contestées, notamment par l’Union africaine, en fonction de leur proximité du Sahara occidental.

Enfin, en participant aux grands desseins de l’unique superpuissance de la planète -actuellement à sa guerre contre le terrorisme international- José Maria Aznar ne cache pas qu’il espère placer l’Espagne parmi, dit-il, « les pays qui comptent et qui décident ». L’image du chef du gouvernement espagnol lançant avec George Bush et Tony Blair, avant-hier au sommet des Açores, un ultimatum à la fois à l’Irak et au Conseil de sécurité de l’ONU, prié de décider, est une caricature reflétant cette ambition.

Toutefois, comme le disait récemment Jorge Castañeda, ex-ministre mexicain des Relations extérieures, l’hégémonie des Etats-Unis a pour contrepartie « l’effort du reste du monde pour délimiter et contrôler cette hégémonie ». Les millions d’Espagnols qui ont manifesté le 15 février et le 15 mars derniers pour dire « Non à la guerre » contre l’Irak et non tout court aux Etats-Unis le confirment et jettent un doute sur la continuité à long terme de la nouvelle politique étrangère tracée par José Maria Aznar.

Son style personnel proche de l’autoritarisme le dessert aussi. Sa froideur initiale presqu’inhumaine à l’égard de la marée noire catastrophique du pétrolier Prestige, en novembre dernier face aux côtes galiciennes, a rendu nombre d’Espagnols sourds à la défense supposée de la loi internationale et des droits de l’homme en Irak brandie par José Maria Aznar pour justifier la manière forte contre Saddam Hussein.

Le précédent du Kosovo

Comme Washington et Londres, Madrid estime que les « graves conséquences » menaçant l’Irak dans la résolution 1441 du Conseil de sécurité des Nations unies sont une base légale de la guerre contre Bagdad et qu’un feu vert plus explicite de l’ONU n’est pas nécessaire, même s’il aurait été politiquement souhaitable.

Le président du gouvernement espagnol invoque en outre le précédent de la guerre du Kosovo, menée en 1999 contre le dictateur yougoslave Slobodan Milosevic par les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN, qui ignorèrent alors le Conseil de sécurité dans la crainte d’un veto russe. « Et qui, aujourd’hui, n’applaudit pas la chute de Milosevic? » insiste José Maria Aznar.

Quant à l’accusation de « guerre pour le pétrole » adressée aux Etats-Unis et aux pays qui les soutiennent, le dirigeant espagnol réplique simplement qu’au contraire de l’Espagne, « la France, la Russie et la Chine ont des intérêts en Irak ». Une façon de rappeler que l’argument du pétrole peut aussi viser ces trois pays, hostiles à la guerre contre Bagdad et soupçonnés par Madrid de vouloir conserver les importantes options que leur a octroyées Saddam Hussein sur le pétrole irakien dans l’attente d’une levée de l’embargo international qui frappe l’Irak depuis la guerre du Golfe de 1991.



Articles Par : Christian Galloy

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