L’extension progressive du fichage génétique, une atteinte intolérable au droit des gens

Récemment, la police a retrouvé non seulement le sccoter Piaggo volé à un des fils de Nicolas Sarkozy, mais, fait très rare, les auteurs de ce vol. Et cela grâce au « fichier ADN ». Un fichier qui gagne à être connu.

Vous êtes interpellé dans une manifestation et emmené à la police ou à la gendarmerie. Lors de votre garde à vue, l’Officier de police judicaire veut prélever votre salive pour effectuer le relevé de votre empreinte génétique. Vous refusez. Vous serez alors convoqué au tribunal et vous risquerez d’être condamné à un an de prison et à 15 000 Euro d’amende. Vous vous en sortirez avec 500 Euro d’amende, comme cela a été le cas de Benjamin, paysan cévenol confédéré et faucheur volontaire de champs d’OGM.

Vous êtes interpellée au volant de votre voiture par la gendarmerie, qui découvre à son bord un narguilé, une pipe à eau. Malgré l’absence de toute trace de cannabis, vous êtes suspectée de consommation de stupéfiants et le gendarme veut donc prélever votre salive. Vous refusez. Vous êtes convoquée au tribunal. C’est le cas de Camille B., qui comparaîtra devant le tribunal de Mâcon le 21 mars 2007, à 14 heures.

Vous participez à une manifestation devant la prison de haute sécurité de Lannemezan, pour soutenir les prisonniers politiques qui y sont détenus. Ayant eu la bonne idée de remplacer un drapeau tricolore par un drapeau bicolore (noir et rouge), vous êtes interpellé. Vous refusez qu’on prélève votre salive. C’est le cas de Laurent. Il sera jugé à Tarbes le 5 juin à 13 h 30.

Je pourrais continuer à égrener la liste déjà longue des personnes jugées pour refus de prélèvement de leur salive. Étudiants anti-CPE, faucheurs volontaires, manifestants divers, tagueurs, fumeurs de hasch, clients de discothèques, en un mot n’importe qui et tout le monde court le risque, aujourd’hui, en France, de voir son ADN inscrite au Fichier automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), et, en cas de refus, d’être condamné.

Mais voici l’histoire la plus incroyable

Pour avoir refusé de se plier au fichage génétique, Yvan s’est vu bloquer son passeport qui était en cours de réalisation. Comme il devait impérativement se rendre à l’étranger, il a fini par donner son ADN mais à pourtant été poursuivi pour refus et condamné à 300 € d’amende. Il a fait appel. L’appel sera examiné le 10 mai à Grenoble.

Aujourd’hui en France, 400 000 personnes sont déjà fichées génétiquement. Le FNAEG contient les empreintes génétiques de :

35 000 personnes condamnées pour crimes et délits

165 000 personnes condamnées pour atteintes aux biens ou aux personnes ou pour consommation ou trafic de stupéfiants

200 000 personnes mises en cause, c’est-à-dire n’ayant commis aucun délit mais ayant été suspectées.

D’ici la fin de l’année, le nombre des personnes fichées pourrait s’élever à 600 000. Objectif fixé par le gouvernement : 1 million. On est encore loin des 3 millions de fiches stockées en Grande-Bretagne, championne du monde du fichage ADN, ou des 50 millions prévus par John Ashcroft, l’ancien ministre de la Justice de George Bush, aux USA, mais la France sarkozyenne arrive en en deuxième position en Europe pour ce qui est de cette nouvelle version de Big Brother.

Petit historique du FNAEG

En 1996, Alain Marsaud, député RPR et ancien chef du service central de Lutte antiterroriste du Parquet de Paris, propose de créer un fichier centralisé d’empreintes génétiques.

En janvier 1997, il dépose un projet de loi “relative à la constitution d’un fichier national des empreintes génétiques destiné à l’identification des auteurs de crimes et délits sexuels commis sur des enfants mineurs de quinze ans”.

En juin 1998, la loi sur la prévention et la répression des infractions sexuelles crée le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), dont la mise en place effective est prévue pour 1999, et sera finalement reportée à 2001.

À l’occasion du procès de Guy Georges, le fameux « tueur de l’Est parisien » début 2001, Marylise Lebranchu, alors Garde des Sceaux, est prise à partie à la télévision par le père d’une des victimes du tueur en série, qui avance qu’au moins deux d’entre elles seraient encore en vie si le FNAEG avait été déployé, et non limité aux seules personnes condamnées pour infractions à caractère sexuel. Mme Lebranchu se déclare personnellement favorable à l’élargissement du fichier et propose de

lancer un débat public sur la question.

Dans la foulée du 11 septembre 2001 aux USA, le gouvernement socialiste rajoute à son projet de Loi sur la sécurité quotidienne (LSQ) un amendement qui étend le champ d’application du FNAEG aux crimes d’atteintes graves aux personnes (homicides volontaires, violences et destructions criminelles, crimes de terrorisme, etc.), prévoit de sanctionner tout refus de prélèvement, et autorise le fichage des simples suspects, mais pas la conservation de leur empreinte génétique.

La loi pour la sécurité intérieure (LSI) de Nicolas Sarkozy, adoptée en mars 2003, étend quant à elle le FNAEG à la quasi-totalité des crimes et délits d’atteintes aux personnes et aux biens, prévoit la conservation des empreintes génétiques des suspects (”personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis” ces infractions), qui peuvent eux aussi être punis, en cas de refus de prélèvement, de six mois à deux ans de prison et de 7 500 à 30 000 € d’amende.

Un marché juteux, un processus d’industrialisation

Le développement exponentiel du fichage génétique, passé de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers en l’espace de 4 ans, a créé un marché juteux. Désormais, à côté des laboratoires de la police et de la gendarmerie, il y a quatre ou cinq laboratoires privés auxquels la police et la gendarmerie sous-traitent les analyses d’ADN. Alors qu’une analyse par un laboratoire privé coûtait 350 € il y a quatre ans, son coût est désormais descendu à 56 €. Un marché qui reste juteux. Le premier à saisir l’opportunité pour conquérir ce marché a été le Professeur Jean-Paul Moisan. En 2003, ce chef du service de génétique du CHU de Nantes, a quitté le service public avec 21 de ses collègues pour créer sa propre entreprise,  l’Institut génétique Nantes Atlantique (IGNA). Dans un accord signé avec l’IGNA, le CHU, où il ne restait plus que deux experts, s’est engagé à ne pas développer son service d’analyses génétiques, pour lequel « un plafond de 5.000 analyses par an » a été fixé. L’IGNA, qui a aujourd’hui une capacité de traitement de 180 000 analyses par an, a augmenté son capital en faisant appel à des fonds d’investissement : les fonds Edmond de Rothschild et Matignon technologies étant désormais actionnaires à 45%. » Parallèlement, les moyens des laboratoires de la police scientifique et de la gendarmerie ont été augmentés, tant en équipement qu’en personnel. Cela s’appelle officiellement l’ « industrialisation du processus de modernisation de l’État. »

Nous nous trouvons donc devant une situation de fait accompli : désormais, la « preuve par l’ADN » prime sur d’autres aspects plus traditionnels d’une enquête judiciaire et, de plus en plus, juges et procureurs ne jurent que par elle. Pourtant, cette « preuve » n’est pas infaillible et la chronique des dernières années relève une série d’erreurs judiciaires ayant pour origine des cafouillages dans le traitement d’empreintes génétiques, aux USA, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas.

Alec Jeffreys, le Britannique qui a inventé le fichage génétique en 1985, propose pur sa part une drôle de solution miracle pour éviter les erreurs : ficher tout le monde…

Que faire, que dire ?

Cette extension progressive du fichage génétique (des criminels sexuels à tous els criminels, des criminels aux délinquants et des délinquants aux suspects) est plus que préoccupante. Elle fait partie du faisceau de mesures adoptées par la plupart des pays occidentaux, à commencer par les USA et la Grande-Bretagne, après le 11 septembre 2001, au nom de la sacro-sainte « guerre contre le terrorisme », qui ont permis de porter atteinte à un certain nombre de droits inscrits dans la législation internationale et dans les textes fondamentaux des pays concernés . Mais cette évolution n’est pas inéluctable et uniforme. Ainsi, voyons l’exemple du Canada :

En 1998, le Parlement canadien a adopté la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques DNA Identification Act. Cette loi établit une banque nationale de données génétiques et modifie le Code criminel de façon à permettre aux juges de rendre une ordonnance après la condamnation autorisant le prélèvement de substances corporelles d’une personne reconnue coupable d’une infraction désignée, prévue au Code criminel, en vue de l’inclusion du profil génétique du délinquant dans la Banque nationale de données génétiques (BNDG). En 2000, de nouvelles mesures législatives ont étendu l’application de ces dispositions au système de justice militaire. Les dispositions en question sont entrées en vigueur le 30 juin 2000.

La Banque nationale de données génétiques, qui se trouve à la Direction générale de la Gendarmerie royale Canadienne, à Ottawa, aide les responsables de l’application de la loi à identifier les auteurs présumés d’infractions criminelles « désignées ». Elle vise strictement à aider à résoudre des actes criminels graves, en permettant de comparer les profils génétiques de certains délinquants condamnés avec ceux qui proviennent d’échantillons d’ADN non identifié trouvé sur les lieux d’un crime.

Les parlementaires ont adopté une approche très prudente relativement à la loi qui a établi la BNDG, en particulier en ce qui a trait à la protection de la vie privée.

On le voit, les Canadiens, malgré leur proximité avec les USA, auxquels ils sont largement inféodés, ont su garder la tête froide et limiter le fichage génétique aux criminels condamnés.

En France, la résistance au fichage génétique a commencé à s’organiser. À l’initiative de Benjamin Deceuninck, paysan cévenol dont je parlais plus haut, un Collectif pour le Refus de Prélèvement ADN est né. Le collectif est composé de personnes qui refusent de se soumettre au prélèvement. On peut les rejoindre ou s’informer auprès d’eux. Adresse de leur site web : http://refusadn.free.fr/ . Pour recevoir leur informations, écrire à [email protected]

Retrouvez toutes les Chroniques de la vie quotidienne dans la France sarkozyenne sur  Basta  ! Journal de marche zapatiste



Articles Par : Fausto Giudice

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