L’héroïne, « c’est bon pour la santé » : Les forces d’occupation appuient le trafic de stupéfiants afghans

Un trafic qui rapporte des milliards de dollars au crime organisé et aux institutions financières occidentales 

Les forces d’occupation en Afghanistan appuient le trafic de drogue, qui rapporte entre 120 et 194 milliards de dollars de revenus au crime organisé, aux agences de renseignement et aux institutions financières occidentales.

Les recettes de cette contrebande lucrative qui se montent à des milliards de dollars sont déposés dans des banques occidentales. La quasi-totalité de revenus reviennent aux grandes entreprises et aux syndicats criminels hors d’Afghanistan.

Le trafic de drogue du Croissant d’or, lancé par la CIA au début des années 80, continue à être protégé par les services de renseignement US, en liaison avec les forces d’occupation de l’OTAN et l’armée britannique. Récemment, les forces britanniques d’occupation ont fait la promotion de la culture du pavot par des annonces de radio payées. 

 « Un message radiodiffusé dans la province a assuré les paysans locaux que la Force internationale d’assistance de sécurité (ISAF), dirigée par l’OTAN n’interférerait pas dans la récolte en cours sur les champs de pavot.

« Personnes respectées du Helmand. Les soldats de l’ISAF et de l’ANA (Armée nationale afghane) ne détruisent pas les champs de pavot », disait le message. « Ils savent que beaucoup de gens en Afghanistan n’ont pas d’autre choix que de cultiver le pavot. L’ISAF et l’ANA ne veulent pas empêcher les gens de gagner leur vie. » (cité dans The Guardian, 27 avril 2007) 
 
Alors que les annonces controversées sur l’opium ont été superficiellement rejetées comme étant une erreur malheureuse, tout indique que l’économie de l’opium est favorisée au niveau politique (y compris par le gouvernement britannique de Tony Blair).

Le Conseil de Senlis, une boîte à idées internationale spécialisée dans la sécurité et le politique, sous contrat avec l’OTAN, propose le développement des exportations licites d’opium en Afghanistan, en vue de favoriser la production des calmants comme la morphine et la codéine. Selon le Conseil de Senlis,  « le pavot est nécessaire et, s’il est régulé correctement, il pourrait fournir une source licite de revenus aux paysans afghans appauvris tout en privant les seigneurs de la drogue et les Talibans d’une grande partie de leurs revenus. » (John Polanyi, Globe and Mail, 23 Septembre 2006).

Le Conseil de Senlis propose une alternative dans laquelle « la production régulée de pavot en Afghanistan » pourrait être développée pour produire les calmants nécessaires. Le rapport de Senlis, cependant, n’aborde pas la structure existante des exportations licites d’opium, qui est caractérisée par la surproduction. La campagne de Senlis fait partie de la campagne de propagande. Elle a contribué à fournir une fausse légitimité à l’économie de l’opium de l’Afghanistan, (voir les détails du projet Senlis), qui sert en dernière analyse des intérêts privés puissants.

Quelle est la surface cultivée en pavot nécessaire pour approvisionner l’industrie pharmaceutique ? Selon l’Organe Internationale de Contrôle des Stupéfiants (OICS/INCB, International Narcotics Control Board), chargé d’examiner les questions liées à l’offre et à la demande en opiacés utilisés dans des buts médicaux, « l’offre en opiacés de ce type a pendant des années été bien au-dessus de la demande mondiale » (Asian Times, février 2006). Vu la surproduction, l’OICS a recommandé de réduire la production d’opiacés.

Actuellement, l’Inde est un des plus grands exportateur légal d’opium. La Turquie, l’Australie, l’Espagne et le Royaume-uni  sont également des producteurs important d’opium licite.

Le latex de pavot de l’Inde « est vendu à des fabricants pharmaceutiques et/ou chimiques sous licence tels que Mallinckrodt et Johnson & Johnson, selon les règles établies par la Commission des Nations unies sur les stupéfiants et l’OICS, qui exigent une paperasse considérable.»

Augmentation de la production afghane d’opium

Les Nations Unies ont annoncé que la culture de pavot en Afghanistan a augmenté. Les surfaces cultivées ont augmenté de 59% en 2006. On estime que la production de l’opium a augmenté de 49% par rapport à 2005.

Les médias occidentaux blâment en choeur les Talibans et les seigneurs de guerre. Selon des responsables occidentaux, « le trafic est contrôlé par 25 trafiquants, dont trois ministres du gouvernement » (Karzaï) (Guardian, op. cit.). 

Par une ironie amère, la présence militaire des USA a servi à reconstituer plutôt qu’à supprimer le trafic de drogue, qui a été multiplié par 21 depuis l’invasion menée par les USA en 2001. 

Ce que les médias omettent de rappeler est que le gouvernement taliban avait été pour beaucoup  été dans la mise en œuvre du programme réussi d’éradication de la drogue, avec l’appui et la collaboration de l’ONU, en 2000-2001.

Mis en application en 2000-2001, le programme d’éradication des Talibans a provoqué une diminution de 94 pour cent de la culture de pavot. En 2001, selon des chiffres de l’ONU, la production d’opium était tombée à 185 tonnes. Juste après l’invasion US d’octobre 2001, la production s’est accrue considérablement, regagnant ses niveaux historiques. 

Le Bureau des Nations Unies sur les Drogues et la Criminalité (UNODC), basé à Vienne, estime que la récolte 2006 sera de l’ordre de 6100 tonnes, soit 33 fois le niveau de production atteint en 2001 sous le gouvernement taliban (3200 % d’augmentation en 5 ans). 

Les cultures ont occupé en 2006 165 000 hectares, contre 104 000 en 2005 et 7606 en 2001 sous les Talibans.

Un trafic de plusieurs milliards de dollars

Selon l’ONU, l’Afghanistan fournit en 2006 environ 92 pour cent de l’offre mondiale d’opium, qui est employé pour préparer l’héroïne.

L’ONU estime qu’en 2006, la contribution du trafic de drogue à l’économie afghane est de l’ordre de 2.7 milliards de dollars. Ce qu’il ne mentionne pas est le fait que plus de 95 pour cent des revenus de ce trafic lucratif reviennent aux syndicats d’affairistes, au crime organisé et aux institutions bancaires et financières. Un pourcentage très faible revient aux paysans et aux trafiquants dans le pays producteur.  (voir également UNODC, L’économie de l’opium en Afghanistan, Vienne, 2003, p. 7-8).

« L’héroïne afghane se vend sur le marché international des stupéfiants pour 100 fois le prix auquel les paysans vendent leur opium à la sortie du champ » (Le département d’État US cité par la Voix de l’Amérique, 27 février 2004).

Si l’on calcule sur la base des prix de gros et de détail sur les marchés occidentaux, les revenus produits par le trafic de drogue afghane sont colossaux. En juillet 2006, le prix au gramme dans la rue en Grande-Bretagne pour l’héroïne était de l’ordre de 54£ [=80 €, 108 USD, 120 CAD].

Les stupéfiants dans les rues d’Europe occidentale

Un kilo d’opium produit approximativement 100 grammes d’héroïne (pure). 6100 tonnes d’opium permettent la production de 1220 tonnes d’héroïne avec un degré de pureté de 50 pour cent.

La pureté moyenne de l’héroïne vendue au détail peut changer. Elle est en moyenne de 36%. En Grande-Bretagne, la pureté est rarement au-dessus de 50 pour cent, alors qu’aux USA elle peut être de l’ordre de 50 à 60 pour cent.
Si l’on calcule  à partir des prix au détail de l’héroïne en Grande-Bretagne, les revenus du trafic d’héroïne d’origine afghane seraient de l’ordre de 124.4 milliards de dollars, en supposant un degré de pureté de 50 pour cent. En calculant sur la base d’un degré moyen de pureté de 36 pour cent et du prix britannique moyen, la valeur en liquide des ventes d’héroïne d’origine afghane serait de l’ordre de 194.4 milliards de dollars.

Même si ces estimations ne sont pas précises, elles donnent néanmoins une idée de l’ampleur du trafic de drogue en dehors de l’Afghanistan, qui brasse des dizaines de milliards. Basé sur la première estimation, qui est prudente, le montant des ventes au détail sur les marchés occidentaux est supérieur à 120 milliards de dollars par an (voir aussi nos bilans estimatifs détaillés pour 2003 dans The Spoils of War: Afghanistan’s Multibillion Dollar Heroin Trade). L’UNODC estime le prix au détail moyen de l’héroïne pour 2004 à 157 $ [=115 €, 175 CAD] par gramme, sur la base d’un degré moyen de pureté.

Les stupéfiants en troisième position après le pétrole et les armes

Les estimations susdites sont conformes à l’évaluation faite par les Nations unies  des dimensions et de l’ampleur du trafic mondial de drogue.

Le trafic d’opiacés afghans (92 pour cent de la production totale mondiale) constitue une grande part du chiffre d’affaires annuel mondial des stupéfiants, estimé par les Nations Unies à 400-500 milliards de dollars.

(Douglas Keh, Drug Money in a Changing World, Technical document No. 4, 1998, Vienna UNDCP, p. 4. Voir aussi United Nations Drug Control Program, Report of the International Narcotics Control Board for 1999, E/INCB/1999/1 United Nations, Vienna 1999, p. 49-51, et Richard Lapper, UN Fears Growth of Heroin Trade, Financial Times, 24 février 2000).

Si l’on se base sur les chiffres de 2003, la drogue constitue « le troisième plus grand produit mondial en termes de revenus après le pétrole et le trafic d’armes » (The Independent, 29 Février 2004).

L’Afghanistan et la Colombie sont, avec la Bolivie et le Pérou, les premiers pays producteurs de drogue dans le monde, qui alimentent une économie criminelle florissante. Ces pays sont fortement militarisés. Le trafic de drogue y est protégé. Il a été documenté que la CIA a joué un rôle central dans le développement des triangles latino-américain et asiatique de la drogue.

Le FMI a estimé que le blanchiment mondial l’argent était situé entre 590 milliards et 1500 milliards de dollars par an, ce qui représente de 2 à 5 pour cent du PIB global (Asian Banker, 15 Août 2003).

Une grande part de l’argent blanchi mondialement, selon les estimations du FMI, est liée au trafic de stupéfiants, dont un tiers est lié au triangle de l’opium du Croissant d’or.

 
Le gouvernement d’Hamid Karzaï (ici, vu par
John Cox) est sans doute le seul gouvernement de narco-trafiquants comptant un ministre « chargé de la lutte contre les stupéfiants ». Il s’appelle Habibullah Qaderi

 

Michel Chossudovsky est l’auteur du best-seller international The Globalization of Poverty (titre français: « La mondialisation de la pauvreté», éd. Écosociété) qui a été publié en 11 langues. Il est professeur d’économie à l’Université d’Ottawa, Canada, et directeur du Center for Research on Globalization Global Research. Il collabore également à l’Encyclopaedia Britannica. Son dernier ouvrage est intitulé « America`s War on terrorism« ,  Global Research, 2005.  Il est l’auteur de Guerre et mondialisation, La vérité derrière le 11 septembre.


Article original en anglais, 29 avril 2007.

Traduit de l’anglais par Fausto Giudice, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.

Note de traducteur

On appelle Triangle d’Or une région à cheval sur la Birmanie, le Laos et la Thaïlande, où des rescapés du Kuomintang, après la victoire des communistes en Chine, se sont lancés dans la culture et le commerce d’opium. Le seigneur de guerre et de drogue le plus célèbre de ce triangle est le fameux Shan Sa. Pendant la deuxième guerre d’Indochine, la CIA a organisé le trafic d’opium, cultivé par une armée secrète de Hmongs dirigés par le général Van Pao au Laos. L’opium était transporté par une compagnie aérienne de la CIA, Air America. Aujourd’hui, le général Van Pao est fermier au Montana (USA). Les USA ont fait appel à lui récemment pour former les unités antiterroristes de l’armée kirghize…

On appelle Croissant d’Or une région située à cheval sur l’Afghanistan, l’Iran et le Pakistan, où est cultivé le pavot.

Le « Triangle d’Or » latino-américain serait, par analogie, la région andine à cheval sur la Bolivie, le Pérou et la Colombie.



Articles Par : Prof Michel Chossudovsky

A propos :

Michel Chossudovsky is an award-winning author, Professor of Economics (emeritus) at the University of Ottawa, Founder and Director of the Centre for Research on Globalization (CRG), Montreal, Editor of Global Research.  He has taught as visiting professor in Western Europe, Southeast Asia, the Pacific and Latin America. He has served as economic adviser to governments of developing countries and has acted as a consultant for several international organizations. He is the author of eleven books including The Globalization of Poverty and The New World Order (2003), America’s “War on Terrorism” (2005), The Global Economic Crisis, The Great Depression of the Twenty-first Century (2009) (Editor), Towards a World War III Scenario: The Dangers of Nuclear War (2011), The Globalization of War, America's Long War against Humanity (2015). He is a contributor to the Encyclopaedia Britannica.  His writings have been published in more than twenty languages. In 2014, he was awarded the Gold Medal for Merit of the Republic of Serbia for his writings on NATO's war of aggression against Yugoslavia. He can be reached at [email protected] Michel Chossudovsky est un auteur primé, professeur d’économie (émérite) à l’Université d’Ottawa, fondateur et directeur du Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) de Montréal, rédacteur en chef de Global Research.

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