L’Irak sous la menace des escadrons de la mort

Près de 1 500 Irakiens sont abattus de sang-froid chaque mois. La plupart ont été emmenés ou arrêtés par des hommes en uniforme de police.

Ce 9 juin, une maison à Baquba, au nord-est de Bagdad. Deux Irakiens mesurent l’étendue des dégâts après une attaque de mortier dans laquelle quatre personnes ont perdu la vie. Une fois encore, ce sont des victimes civiles qu’il faut déplorer. (Photo Belga/AFP, Ali Yussef)

Bagdad, début mai. Deux longues rangées de cercueils vides sont alignées devant l’entrée de l’hôpital. Des hommes et des femmes attendent. Tous sont là avec l’espoir de retrouver un père, un fils, un époux, un frère. Mais l’espoir de les revoir vivants s’est évanoui. S’ils sont là, c’est parce que la patrouille de police, qui ramasse quotidiennement son lot de cadavres dans les rues ou les nombreuses décharges publiques de Bagdad, a retrouvé ce matin 93 corps. Les chambres froides de l’hôpital ne peuvent en accueillir que quelques dizaines. Les morts non identifiés sont photographiés et numérotés.

Sur les 3 500 exécutions illégales qui ont fait l’objet d’un examen, il apparaît que 92 % des victimes ont été arrêtées par des services de l’ordre, parmi lesquels de nombreux commandos de police, formés en toute hâte et composés de membres de milices spéciales et de groupes de mercenaires.

Les victimes sont des professeurs, des intellectuels, des médecins, des journalistes, des responsables religieux, des dirigeants et des militants d’organisations sociales ­ y compris les mouvements de femmes. Certains corps présentent des traces de tortures, d’autres, les yeux arrachés ou la peau brûlée, sont méconnaissables. Beaucoup ont été abattus d’une balle dans la tête. La plupart ont les mains liées dans le dos.

Le Ministre de l’Intérieur, qui travaille en étroite collaboration avec les forces d’occupation américaines, a déclaré que ses forces de police sont infiltrées par des « radicaux indépendants » dont il a perdu le contrôle. Il a également fait référence aux nombreux groupes paramilitaires et aux mercenaires actifs en Irak. Les autorités américaines s’en lavent les mains et prétendent contrôler la situation. La presse occidentale fait peu de cas de ces escadrons de la mort. « Officiellement », l’Irak serait en proie à une violence ethno-religieuse.

« Option Salvador »

Depuis 2003, les forces d’occupation ont permis le recrutement de mercenaires et de milices pour exécuter des missions de contrôle. Le pays compte actuellement de 25 000 à 30 000 mercenaires étrangers actifs aux côtés des milliers d’hommes des groupes paramilitaires kurdes et religieux radicaux, comme les brigades chiites Badr.

Tous ces groupes ont une chose en commun. Ils travaillent en étroite collaboration avec les forces d’occupation. Les groupes les plus importants sont directement liés au Ministère de l’Intérieur. La plupart du temps, leurs membres n’appartiennent pas exclusivement à une seule et même communauté religieuse. Des spécialistes de la CIA, vétérans de la guerre du Vietnam (dans les années ’70) et d’Amérique Centrale (dans les années ’80), ont joué un rôle important dans la formation de ces groupes, notamment en ce qui concerne les méthodes terroristes.

Face à l’opposition irakienne qui les pousse à la défensive, les Etats-Unis ont opté pour une stratégie radicalement différente, « l’option Salvador ». En janvier 2005, l’hebdomadaire Newsweek rapportait que « le Pentagone envisage d’envoyer des Forces Spéciales en Irak avec pour mission d’enlever et tuer des gens ».

Comme cela s’est fait au Salvador dans les années 1980. A l’époque, une large révolte populaire a tenté de mettre un terme au régime dictatorial. Des escadrons de la mort locaux, dirigés par la CIA et l’armée américaine, ont alors mené une guerre de terreur contre la population. En dix ans, 80 000 personnes sont assassinées. Le Salvador a été le terrain d’application des expériences acquises lors de la guerre du Vietnam. Là, les escadrons de la mort, formés, armés et dirigés par la CIA, ont assassiné pas moins de 50 000 personnes. Nom de code : Phoenix.

Cette stratégie est à nouveau appliquée en Irak. « Nous devons trouver un moyen de lancer une offensive contre l’opposition. Jusqu’à présent, nous sommes restés sur la défensive et nous sommes en train de perdre », a déclaré un fonctionnaire de la Maison blanche à l’hebdomadaire Newsweek.

Les forces d’occupation en Irak semblent directement impliquées dans cette stratégie de terreur. Le 16 mars, Reuters a relaté l’arrestation d’un agent de la sécurité américain pour transport d’armes et d’explosifs. L’an dernier, deux Britanniques, habillés en Arabes, ont été arrêtés pour des faits similaires. Pour libérer ce duo de la prison de Bassora, les forces armées britanniques ont utilisé un bulldozer.

Massacre à Haditha

Le 19 novembre 2005, 20 civils irakiens sont massacrés par des marines US dans le petit village de Haditha. Les victimes sont principalement des femmes et des enfants. Une exception ?

« Ce massacre était prémédité. Les ‘marines’ sont entrés et ont massacré toutes les personnes qui étaient présentes », raconte Khalid Ahmed Rsayef, témoin de cette tuerie. Des mois durant, à l’aide de faux rapports et de pressions sur les témoins, l’armée s’est soigneusement efforcée d’étouffer l’affaire. Mais une fois dévoilée, elle est présentée comme un cas exceptionnel

Au cours de ces dernières années, l’Irak a connu des milliers de massacres comme celui de Haditha. Les nouvelles nous rapportent sans cesse de nouveaux cas de civils innocents assassinés. Voilà deux ans que la ville de Fallujah a été rasée. Les bombes au phosphore et au napalm y ont tué des milliers de civils. Depuis, le terme « urbicide » est en vogue. Il fait référence à la destruction systématique de villes comme Fallujah, Tal Afar, Al Qaim et à présent Ramadi Quand tous ces crimes seront-ils enfin officiellement reconnus ?

Cindy Sheehan, mère d’un fils tué en Irak, a rappelé que c’est l’armée américaine qui forme les jeunes Américains à commettre des meurtres et des incendies criminels, à perpétrer des crimes de guerre, à torturer, à utiliser des armes prohibées, à bombarder des hôpitaux et des écoles,…« If faut démanteler le Pentagone, le récurer à l’eau bénite, le purifier à l’encens et le piller des générations durant en guise de pénitence pour tous les crimes qui ont été planifiés et ordonnés entre ses murs », conclut-elle.

Comment en vouloir aux Irakiens qui tentent par tous les moyens de s’opposer à cette occupation ?



Articles Par : Pol De Vos

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