L’Iran dévoile un plan de sécurité pour le Golfe Persique
Le noble objectif d’un accord de sécurité collectif dans le Golfe Persique a reçu un important coup de pouce quand un représentant du chef suprême de l’Iran l’Ayatollah Ali Khameini a dévoilé une proposition en dix points qui, si elle est suivie, stimulera sûrement la stabilité dans cette région volatile, secouée par les crises.
Dans une déclaration lors du Forum Mondial Economique de Doha, Qatar, Hassan Rowhani, un puissant dirigeant religieux qui a été chef négociateur sur le nucléaire de l’Iran durant la période du président Mohammad Khatami, a offert à ce jour la vision la plus intelligible par l’Iran sur le problème épineux de la sécurité du Golfe Persique, faisant le lien avec la coopération nucléaire civile.
Les 10 points de la proposition sont les suivants :
1. Etablissement d’une Organisation de Sécurité et de Coopération du Golfe Persique, comprenant les six états membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) de même que l’Iran et l’Irak en accord avec la Clause 8 de la Résolution 598 du Conseil de Sécurité de l’ONU.
2. Préparer des bases communes de sécurité pour combattre le terrorisme, le crime organisé et le trafic de drogue, de même que d’autres problèmes conjoints de sécurité.
3. Elimination graduelle de toutes les restrictions dans les domaines politique, de sécurité, économique et culturel.
4. Développement de relations commerciales en prenant en compte les potentiels des pays et mener des projets économiques d’investissements conjoints pour réussir un mécanisme de libre échange régional.
5. Garantir la sécurité et l’exportation d’énergie des pays régionaux en sécurisant leurs intérêts et construire un mécanisme durable pour la demande énergétique mondiale.
6. Construire la confiance parmi les pays régionaux dans le domaine du nucléaire.
7. Mettre en place un consortium conjoint pour l’enrichissement de l’uranium parmi les pays de la région pour se procurer du combustible nucléaire et pour d’autres activités nucléaires pacifiques sous la supervision de l’AIEA.
8. Etablir une coopération sérieuse parmi les pays régionaux pour avoir un Moyen Orient libre de tout ADM.
9. Mettre fin à la course aux armements dans la région en fournissant des ressources ayant pour but le développement économique et la lutte contre la pauvreté.
10. Faire en sorte que le personnel militaire étranger quitte la région et établir une sécurité totale par les pays de la région.
Malheureusement il y a peu de chance que cette proposition soit acceptée par les états arabes du CCG qui ont défini leur propre version de la « sécurité collective » qui n’inclut pas les deux états les plus peuplés de la région, l’Iran et l’Irak, et qui se sont traditionnellement appuyés sur le pouvoir de protectorat des US et sont par conséquent opposés à tout plan de sécurité qui pourrait éventuellement augmenter leur sentiment de vulnérabilité vis-à-vis de leur voisin non arabe qui s’affirme, l’Iran. Le CCG comprend le Bahrain, le Koweït, l’Oman, le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.
Néanmoins, l’important dans la proposition de l’Iran, c’est moins le fait qu’elle soit adoptée immédiatement dans la région que celui de construire un sentiment de confiance sur les intentions non hostiles, de bon voisinage de l’Iran. La volonté déclarée de l’Iran de forger des relations étroites avec la CCG pour combattre le terrorisme est un exemple excellent de comment la communauté du renseignement du Golfe Persique peut engranger des ressources pour combattre le fléau du terrorisme de même que les narco trafics qui ont un volet sécuritaire.
Mais, vu sous l’angle du monde arabe, la volonté de l’Iran de partager la technologie nucléaire et la proposition d’établir un consortium régional, est peut être encore plus importante, particulièrement du fait que Rowhani a lié cela à l’effort de créer une zone sans arme nucléaire au Moyen Orient.
Tandis que certains experts arabes écarteront de telles idées comme étant un stratagème de propagande, la réponse de leurs gouvernements sera certainement plus nuancée, certains plus petits états du CCG cherchant à ne pas s’aliéner l’Iran et revenir au sentiment d’amertume des années 80 quand l’Iran révolutionnaire cherchait à les saper.
Cependant, depuis le début des années 90, l’Iran a pris un « virage pragmatique » dans sa politique étrangère, aboutissant à des accords modestes de coopération sur la sécurité avec un certain nombre d’états du CCG, dont le Koweït, et l’Arabie Saoudite. L’enseignement tiré par les états du CCG, en lien avec la crise récente concernant les marins britanniques, c’est que malgré sa rhétorique radicale, l’Iran porte toujours les mêmes éléments de réalisme politique et de pragmatisme qui invitent à aller plus loin en matière de coopération.
Idéologiquement, la projection par l’Iran d’une image de « patriotisme régional » cherchant l’auto suffisance plutôt que la dépendance vis-à-vis de l’étranger attire le monde arabe et sape les efforts des adversaires de l’Iran à décrire ce pays comme étant l’ »hégémoniste à venir » enclin à la domination régionale. Des tactiques aussi phobiques pour faire peur en ce qui concerne l’Iran, en mettant l’accent sur son programme nucléaire, font abstraction d’un point important sur l’Iran post révolutionnaire détecté par le philosophe français Michel Foucault, c’est-à-dire, le potentiel anti-hégémonique, libérateur de la Révolution Islamique mettant en question les hiérarchies mondiales.
Par conséquent, une montée en puissance de Iran évoque, en quelque sorte, une montée en puissance régionale qui bénéficie au monde musulman et arabe, et non pas seulement aux iraniens. La déclaration de Rowhani au Qatar à une nouvelle fois servi à noter l’utilité fonctionnelle d’un pouvoir iranien comme « bien commun » pour la région, et la réponse prudente des états du CCG ce n’est pas de mettre en doute sa sincérité mais plutôt de demander à l’Iran de la prouver par l’action.
D’un autre côté, le problème avec ce scénario, alors que l’Iran a poussé à la création d’une zone de libre échange dans la région du Golfe Persique, c’est que plusieurs états du CCC ont entériné des accords bilatéraux à long terme avec à la fois les US et l’Europe, en concordance avec le plan grandiose du « Grand Moyen Orient » compliquant les efforts pour améliorer la coopération inter régionale.
Non seulement cela, mais aussi l’appel de Rowhani à la fin de la course régionale aux armements se heurtent aux intérêts de l’Occident, la Russie et la Chine, et d’autres fournisseurs militaires, qui détesteraient de perdre le marché de milliards de dollars du Golfe Persique.
Néanmoins, la combinaison des besoins économiques de la population en augmentation des états du CCG et le besoin de réduire les dépenses militaires, rend urgent d’établir au moins une sorte de contrôle de la course régionale aux armements conventionnels et balistiques.
L’offre de coopération sécuritaire de l’Iran avec les états du CCG doit être sérieusement explorée dans tous les domaines, dont celui d’établir un Comité de Recherche Militaire Pan Golfe Persique, qui publierait des rapports sur comment gérer la course aux armements au lieu de la laisser hors contrôle comme c’est le cas aujourd’hui. De même, les questions d’exercices communs, d’interopérabilité des systèmes d’armes, et le partage du renseignement et autres, doivent être analysées.
Remarquablement absent de la déclaration de Rowhani, la référence à une coopération sur l’environnement. Pourtant c’est le bon moment pour améliorer la coopération étant donné les problèmes grandissants de pollution et autres risques (industriels et non industriels) qui ne peuvent être appréhendés que par une action conjointe et qui sont d’une certains façon au-delà des capacités d’un seul état.
Dans ce domaine, l’Iran a accumulé une riche expérience en signant la Convention sur la protection environnementale de la Mer Caspienne avec tous les états du littoral de la région, et peut maintenant appliquer sont expérience au Golfe Persique, avec l’aide de douzaines de groupes environnementaux (1).
Comme dans la Mer Caspienne, où les débats sur la coopération environnementale croisent souvent ceux sur la « sécurité environnementale » et des problèmes sécuritaires plus étendus, e.g, aux vues du braconnage rampant dans la Mer Caspienne, dans le Golfe Persique aussi la protection de l’environnement n’est pas séparée, entre autres choses, du rôle de la pollution des eaux par les navires de guerre étrangers.
Malheureusement, les US n’ont à ce jour prêter aucune attention à ce problème particulier, malgré les protestations de plusieurs groupes locaux de protection de l’environnement contre la pollution par les navires de guerre. Pour le gouvernement US tellement attaché à son image au Moyen Orient qu’il dépense des milliards de dollars en relations publiques, consacrer une petite somme à cette cause pourrait grandement aidé pour son image.
Les US pourraient, par exemple, pousser à la création d’un programme de l’ONU pour l’environnement dans le Golfe Persique, identique à celui du Programme pour l’environnement pour la Mer Caspienne. L’aversion des US à un tel programme vient du fait qu’ils craignent que des études systématiques d’un tel programme mettent en évidence la responsabilité des US dans ce domaine, ajoutant à ses problèmes actuels dans la région.
C’est seulement à travers une sécurité commune que les états du Golfe Persique peuvent espérer avec réalisme une paix durable et une tranquillité dans une région ravagée par la guerre, région à la fois bénie et maudite, parce qu’elle possède la part du lion des ressources mondiales d’énergie.
La présence de troupes étrangères exacerbe les sentiments de certains musulmans et est à la racine du radicalisme et du terrorisme, qui ne peut être combattu efficacement tant que les pays arabes de la région sont prisonniers du filet clientéliste tissé par les puissances occidentales.
Kaveh L/ Afrasiabi, PhD, est l’auteur de After Khomeini: New Directions in Iran’s Foreign Policy (Westview Press) and co-auteur de « Negotiating Iran’s Nuclear Populism », Brown Journal of World Affairs, Volume XII, Issue 2, Summer 2005, with Mustafa Kibaroglu. Il a aussi écrit « Keeping Iran’s nuclear potential latent », Harvard International Reviewest est aussi l’auteur de Iran’s Nuclear Program: Debating Facts Versus Fiction.
Article original en anglais, 14 avril 2007.
Copyright 2007 Asia Times Online Ltd.
Version française: Planète non violence
Traduction bénévole (fair use), Mireille Delamarre pour www.planetenonviolence.org
Note
(1) Pour en savoir plus sur le sujet Kaveh L Afrasiabi,
The Environmental movement in Iran, (www.mideasti.org/articles/doc87.htm ) Middle East Journal