L’Otan s’est de plus en plus transformée en une alliance militaire d’agression
Du 15 juin au 12 juillet, 7000 soldats d’une vingtaine de pays de l’Otan se livrent à des manoeuvres militaires au Cap-Vert, à des milliers de kilomètres de l’Europe. L’armée belge y participera elle aussi. Pourquoi?
L’exercice est très important pour les plans d’avenir de l’Otan. Elle doit prouver que la nouvelle force d’intervention lancée par l’Otan en 2002 est prête à passer à l’action. Et la chose est urgente car, conformément aux souhaits américains, l’Otan doit rapidement se transformer en une force d’intervention de portée mondiale capable d’entreprendre en même temps deux grosses et six petites opérations militaires. C’est pourquoi, d’ici peu, les alliés devront tenir 300.000 hommes prêts à l’action.1
Fin novembre, ces plans doivent avoir été approuvés lors du sommet de l’Otan à Riga, capitale de la Lettonie. Dans les textes préparatoires, on peut lire que l’alliance occidentale jouerait volontiers au gendarme du monde et que l’accès aux matières premières (pétrole et gaz) en constitue une importante raison. Naguère constituée comme une armée «censée défendre l’Europe contre la menace rouge», l’Otan s’est de plus en plus transformée en une alliance militaire d’agression.
Il subsiste également de grandes divergences d’opinion entre ceux (surtout les États-Unis et la Grande-Bretagne) qui veulent garder une alliance atlantique forte sous la direction de fait des États-Unis, et ceux qui veulent mettre sur pied le pilier européen au sein comme en dehors de l’Otan et veulent être moins dépendants des États-Unis (surtout la France et l’Allemagne). En tant que partenaire le plus puissant, les États-Unis essaient de mettre sous pression les autres pays de l’alliance.
Le ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht (VLD) veut également une branche européenne forte, mais il insiste pour que la Belgique se profile comme alliée fidèle des États-Unis. Il ne veut plus de relations tendues avec les Américains comme ce fut le cas au début de la guerre contre l’Irak.2
La Belgique paie un quart de plus qu’il y a six ans pour l’Otan
Le ministère de la Défense est plus critique. Ainsi, Régibeau, chef de cabinet du ministre de la Défense Flahaut (PS), a déclaré: « Le choix stratégique consistant à mettre sur pied davantage de forces d’intervention rapide, nous donne du souci. () Nous avons des questions à poser à certains alliés qui considèrent l’Otan comme le gendarme du monde. L’Otan doit-elle être active en Afghanistan, en Irak et au Darfour ? N’est-ce pas plutôt le rôle des Nations unies ? »3
De même, l’idée de devoir payer plus pour les dépenses communes de l’Otan, se heurte à des réticences. André Flahaut veut limiter ces dépenses et propose de ce fait de financer l’Otan via des cotisations volontaires en fonction des missions auxquelles les pays participent. « L’Otan fixe des budgets trop vagues et demande de plus en plus d’argent. Toutes ces opérations à l’étranger sont extrêmement coûteuses. Le paradoxe, c’est que ce sont en fait les petits pays qui paient les opérations pour un grand pays. Est-ce vraiment solidaire ? Nous pensons que non », déclare le chef de cabinet de Flahaut.4
Malgré la critique, Flahaut insiste sur le fait qu’il reste un allié fidèle des Américains. Il indique qu’entre 2000 et 2006, la quote-part belge à l’Otan à augmenté de 27%, soit de 22,7 à 28,8 millions d’euros par an. À cela viennent s’ajouter les frais des investissements spéciaux dans la défense et dans le budget du personnel des Affaires étrangères.5 Avec les futurs plans d’intervention, ces frais ne cesseront de croître plus rapidement encore. Ainsi, l’extension prévue de la participation belge à l’occupation de l’Afghanistan va-t-elle constituer une première augmentation importante. Et qui va payer tout ça, à votre avis ?
Aide au développement ?
Début juin, le ministre de l’Aide au développement, Armand De Decker, était en Afghanistan. Se déplaçant dans un hélicoptère équipé d’armes automatiques et protégé par deux hélicos Apache, il a visité un avant-poste d’une sorte d’organisation d’aide militaro-humanitaire de l’armée britannique. Il veut que la Belgique investisse dans ce genre de «développement par les armes». «Nous avons des soldats qui y collaborent à Kunduz, de concert avec des soldats allemands. Je veux examiner la possibilité d’introduire des éléments de collaboration».6 Mais les Afghans se sentiraient beaucoup mieux sans cette aide au développement, maigre os à ronger d’une occupation on ne peut plus agressive
Bientôt deux fois plus de soldats belges en Afghanistan ?
Une révolte populaire a fait au moins 20 morts et 140 blessés, le 29 mai, à Kaboul. La résistance des Afghans à l’occupation militaire qui a débuté, suite au 11 septembre, en octobre 2001, atteint un nouveau point culminant.
Les émeutes ont éclaté après un accident avec un camion américain qui a fait au moins un mort. Une foule en colère voulait empêcher que les Américains s’en aillent. En guise de réponse, les soldats se sont frayé un chemin en tirant dans la foule. Quatre tués de plus. La nouvelle de cet incident s’est répandue dans la capitale. Des milliers de jeunes et d’étudiants criaient « Mort à l’Amérique! Que Karzaï [le président afghan] et Bush s’en aillent ! »7
Quand les manifestants ont tenté de rejoindre le palais présidentiel et l’ambassade des USA, les soldats américains ont à nouveau fait feu à balles réelles. Dans toute la ville, les bureaux de police, les organisations d’aide étrangères, le QG des Nations unies et les bureaux des multinationales sont devenus les nouvelles cibles de la foule. En toute hâte, les soldats de l’Otan ont dû évacuer le personnel des ambassades et des ONG.8
Ces derniers mois, la résistance s’est accrue dans tout le pays. Dans le sud, des convois militaires occidentaux sont régulièrement attaqués.9 Ces dernières semaines, les représailles de l’armée américaine ont fait au moins 400 tués, dont de nombreux civils, femmes et enfants compris. Sans rien dire, le Pentagone a porté sa présence de 19.000 à 23.000 hommes. En outre, il y a également 9.000 soldats européens et canadiens de l’Otan.
Via l’Otan, les Etats-Unis entraînent également les pays européens dans cette guerre d’occupation sans perspectives, qui va ressembler de plus en plus à celle contre l’Irak. Jaap de Hoop Scheffer, le secrétaire général de l’Otan, veut porter le nombre de soldats de l’alliance, de 9.000 actuellement (dont 290 Belges), à 15.000 et, finalement, à 25.000.10 On s’attend à ce que la Belgique elle aussi augmente sa présence (jusque 600 hommes). Pour l’instant, le gouvernement a reporté sa décision. Si le ministre Flahaut veut empêcher que des soldats belges se fassent tuer également, il est grand temps qu’il transforme en actes ses considérations critiques à propos de l’Otan. Ramenez les soldats belges dans leurs foyers !
1 http://french.peopledaily.com.cn/4466321.html
2 Assemblée communautaire des Commissions de la Chambre concernant la défense nationale et les relations étrangères et de la Commission sénatoriale pour les relations internationales et la défense du territoire, 6 juin 2006. (CRIV 51 COM 986)
3 Jean-Arthur Régibeau, discours devant l’Institut royal des Relations internationales, 5 mai 2006. Cité dans De Standaard, 16 mai 2006
4 Ibidem
5 Voir note 2.
6 La Libre Belgique, 16 juin.
7 http://www.legrandsoir.info
8 Ibidem
9 La Libre Belgique, 9 juin 2006
10 http://www.legrandsoir.info