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La capture du drone étasunien : Exploit iranien intelligent ou simple panne
Par Chems Eddine Chitour
Mondialisation.ca, 27 décembre 2011
27 décembre 2011
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«Les Américains n’ont pas une compréhension correcte de la puissance de l’Iran en guerre électronique.» 

Mehdi Mahdavinejad, général de brigade iranien

Le  5 décembre 2011, l’Iran annonce avoir capturé un drone américain qui volait à 15.000 m au-dessus de son territoire. Exhibé à la télévision, le drone avait fière allure. On a pu penser que c’est une maquette, mais l’administration américaine, dans un communiqué de la Maison-Blanche, demande la restitution du drone sans s’excuser. L’Iran dépose une plainte aux Nations unies qui, naturellement, restera sans suite. Je veux, dans cette contribution, rapporter deux versions, celle qui pense que le drone est d’une très ancienne génération, qu’il ne présente aucun intérêt et qu’il s’est posé tout seul suite à une panne. L’autre version – qui me parait plus élaborée – par contre, avance au contraire que non seulement le drone était de la dernière génération mais que de plus, et c’est le plus important, dans la guerre électronique, l’Iran a de réelles compétences et qu’elle a tout simplement pris possession du logiciel de guidage pour lui intimer l’ordre de se poser là où elle a voulu.

Une nation scientifique et technologique

Du point de vue contribution au patrimoine de l´humanité, on doit aux Perses la diffusion de l´alphabet et l´écriture, la Route de la soie, les contes des Mille et Une Nuits, l’irrigation par canaux, le jeu d´échecs, les premières climatisations, les premières dissections humaines avec Ibn Sina (Avicenne), les logarithmes avec Al Khawarizmi(…) De nos jours, l´Iran est une puissance technologique. L’Iran construit ses propres avions: le dernier avion de combat baptisé «Azarakhsh» (la foudre) a volé. Le premier du nom est baptisé «Saegheh» (l´éclair). Selon le Global Security (organe du Pentagone), l’armée de terre iranienne est la sixième armée du monde, en mesure de construire des répliques des chars Leclerc… L´armée de l´air iranienne est, quant à elle, capable de construire des avions de chasse type F4 et des F5, et des F-17. Sa marine compte six sous-marins type SSK Kilo et serait en train d´en terminer quatre autres. Ses missiles, sont très divers.

L´Iran a la capacité de les produire en quantité. S’agissant du programme nucléaire, depuis 1977, il y a eu près de deux mille inspections de l´Aiea et aucun rapport objectif n´a pu établir que l´Iran cherchait à mettre au point la bombe. Le 11 avril 2006, le président iranien annonce que l´Iran a enrichi avec succès de l´uranium. «J´annonce officiellement que l´Iran a rejoint le groupe de ces pays qui ont la technologie nucléaire.» Par ailleurs, récemment, en août dernier, l’Iran a créé et a mis en orbite avec ses propres fusées la maquette de son premier satellite – Omid – sans assistance russe, a reconnu Moscou. Cette mise en orbite d’un satellite civil a suscité la préoccupation de l’Occident.

Quel est le secret de ces prouesses?

Daniel Laurent explique: «On apprend que le taux d’alphabétisation était de moins de 50%, tandis que grâce à la révolution, il est maintenant de plus de 86%. En 1979, le nombre d’étudiants s’élevait à 176.000 tandis qu’il atteignait les 2165.000 en 2004, les 3572.000 en 2008. En 1979, seulement 398 articles avaient été publiés dans les journaux scientifiques, alors qu’ils sont passés à plus de 20.000 en 2008 a affirmé le président iranien. De nos jours, l’Iran est une puissance technologique enviable même par les pays développés. «Forget Harvard – One of the world’s best undergraduate colleges is in Iran», c’est le titre d’un article d’Afshin Molavi dans Newsweek le 18 août 2008. En 2003, surprise des responsables du département d’«Electronical Engineering» de l’Université de Stanford, qui constatent que les meilleurs étudiants aux difficiles épreuves d’admission à leur cycle Ph.D. proviennent d’un même pays et d’un même établissement: la «Sharif University of Science and Technology» en compétition avec le MIT, Caltech, Stanford. Quelles sont les raisons d’un tel succès? Une sélection rigoureuse: chaque année 1500.000 lycéens passent un examen d’entrée à l’Université, 10% d’entre eux s’orientent vers les universités publiques les plus prestigieuses et 1% parmi les plus brillants, vers les institutions scientifiques telles que Sharif. Un excellent corps enseignant scientifique. Priorité donnée aux sciences dans les programmes scientifiques des lycées. Un succès certes surprenant, mais qui -c’est certain- ne doit rien au hasard (1).

Une gestion économique rigoureuse

Georges Stanechy pour sa part, nous parle du rapport du mois d’aôut du FMI dont le moins qu’on puisse dire est qu’il fait un constat de bonne gouvernance en Iran. On mesure sans peine ce lourd aveu d’un pays qui n’a jamais cessé d’être diabolisé. Résumons sa contribution: «(…) En dépit de la fréquence des tremblements de terre (dont celui du 14 août dernier), exceptionnelles sécheresses, embargos, sanctions, anathèmes, et autres «coups tordus». Jusqu’à concéder une croissance annuelle de 3,2% pour le dernier exercice (l’année fiscale iranienne se termine ou commence le 20 mars de chaque année). Avec des réserves en devises de 100 milliards de dollars, estimées à 109,7 milliards pour 2011/2012, pour être précis.» (2)

«(…) Obligés d’admettre que le pays connaît une croissance soutenue, pas seulement grâce aux cours internationaux du pétrole et du gaz, mais aussi sous l’action conjointe d’une forte croissance du secteur agricole. «Au-delà de ces performances, poursuit Georges Stanechy, ce qui est à retenir de la lecture du rapport du FMI c’est le «constat» de la remarquable réussite, à l’étonnement des experts eux-mêmes, portant sur la profonde rénovation en cours du système économique de l’Iran. En décembre 2010, les subventions des prix de l’énergie et des produits agricoles ont été supprimées. (…) Les produits pétroliers, électricité, et blé, en particulier, ont subi une forte augmentation. Pendant une période transitoire, le montant économisé est redistribué aux ménages sous forme d’une allocation en espèces librement utilisable aux entreprises pour activer leur restructuration et leur modernisation en termes d’économies d’énergie et aux administrations publiques pour financer leur modernisation (les experts du FMI, ébahis, parlent de plein succès dans la mise en place de cette réforme).» (2)

Le détournement spectaculaire du drone

Georges Staenchy écrit: «L’événement qui s’est produit le dimanche 4 décembre 2011 présente, pourtant, des implications immédiates et une portée géopolitique d’une colossale importance. (…) Silence, expression d’un déni. Celui d’un désastre militaire et technologique majeur, immense, ravageur, pour les USA, dans leur prétention hégémonique à dominer le monde. Aux conséquences multiples. Ses spécialistes en CyberWars, en «guerre électronique», se sont emparés d’un exemplaire de son drone technologiquement le plus sophistiqué. Avion sans pilote à bord, radioguidé au moyen d’un système satellitaire, qui avait décollé d’Afghanistan. Le faisant atterrir en douceur, après en avoir neutralisé les systèmes de sécurité, avec une parfaite maîtrise, sur une de leurs bases aériennes. L’appareil avait pénétré l’espace aérien iranien, se croyant indétectable pour l’avoir effectué précédemment à plusieurs reprises, sur une profondeur de 225 km au nord-est du pays. Survolant Kâshmar, capitale de la province de Razavi Khorasan».(3)

(…) De loin, beaucoup plus perfectionné que les ´´drones-tueurs´´, armés de missiles, spécialisés dans les massacres quotidiens de civils en Afghanistan ou au Pakistan, aux noms sanguinairement évocateurs: ´´Reaper´´ (La Faucheuse), ´´Predator´´… Non. C’était la superstar de l’arsenal US qui franchissait la frontière iranienne, un «drone espion»: le RQ-170 Sentinel. La crème de la crème, en termes de haute technologie aéronautique et militaire, un concentré de tout le savoir et de la technicité la plus secrète, même auprès de ses alliés et vassaux, du complexe militaro-industriel US. Peu d’exemplaires construits. Si précieux que seule la CIA en détient l’exclusivité: mise au point, programmes des missions, pilotage, exploitation des informations recueillies. Son pilotage s’effectue à partir de la base de Tonopah dans le Nevada, via des relais satellite. Le RQ-170 Sentinel, drone à long rayon d’action capable de voler à 15.000 mètres d’altitude, sa forme en delta lui donne une envergure de 26 mètres en largeur, 4,5 mètres en longueur, 1,84 en hauteur. (…) Cette merveille aéronautique a ainsi une ´´signature´´, une identification ou un repérage, parmi les plus faibles: acoustique, infrarouge, visuelle et radar. Quasiment, impossible à détecter, passant inaperçu. Quand il l’est, c’est trop tard, ayant disparu ou déjà frappé. En raison de deux caractéristiques: (…) Il embarque le nec plus ultra de ce que science et technique ont pu rendre opérationnel sur le plan de la détection, de la surveillance, du radioguidage, et des transmissions cryptées: interception de communications, prélèvement par capteurs (sniffers) d’émanations chimiques ou radioactives même à doses infimes.» (3)

«Les ingénieurs Iraniens ont apprivoisé, domestiqué, The Beast. Le transformant en Chihuahua docile, couettes enrubannées au vent, allant sagement se coucher selon leurs instructions, et dans la soumission, sur le coussinet qu’ils lui avaient assigné. (…)Le Président Ahmadinejad, ingénieur de formation, s’en délecte dans l’ironie. Synthétisant, dans un entretien avec une télévision latino-américaine, un des aspects majeurs de cette opération» évoquant un ´´cadeau´´: «Les Américains ont peut-être décidé de nous offrir cet avion espion Malgré cela les Américains nient les compétences iraniennes. Georges Stanechy poursuit: «L’arrogance indécrottable des responsables US et de leurs «experts militaires» demeure. Un analyste du Teal Group Richard Aboulafia, minimise le cataclysme dans une métaphore méprisante: «D’un point de vue du secret, c’est comme si on avait fait tomber une Ferrari dans une culture du char à boeuf».(…) Ce coup terrible, envoyé en pleine figure de l’appareil militaire américain et occidental dans son ensemble, est révélateur. L’opération réussie d’arraisonnement du drone espion, préparée de longue date, méticuleusement mise au point, en est une éclatante démonstration.» (…) Constat implacable: les forces armées iraniennes, sur le plan opérationnel de la «guerre électronique», ont atteint l’excellence. Faisant au moins jeu égal, si ce n’est plus, avec leurs adversaires potentiels.(3)

Le refus de la réalité

A l’autre bout du curseur et dans le plus pur déni, la presse occidentale minimise la prouesse iranienne, nous lisons la contribution suivante: «Une simplicité voulue, au point d’avoir été prévu à l’origine… pour ne pas être récupéré en cas de capture..(…) «Aviation Week» postule que ces éléments suggèrent que les concepteurs ont évité les «technologies très sensibles» en raison de la quasi-certitude de perte opérationnelle éventuelle inhérente à sa conception à un seul moteur et le désir d’éviter le risque de compromettre la technologie de pointe». L’engin décrit par la presse iranienne comme la prise de guerre du siècle est donc en réalité du genre… fort ordinaire. A appareil «low-cost», moteur très répandu: comme ça, si l’adversaire en hérite, il se retrouve avec un modèle tout ce qu’il y a de plus banal. (…) Pour beaucoup d’observateurs, l’appareil, détourné ou en panne, a réussi à se poser mais a dû rater la dernière phase de son atterrissage, fusillant son train, rendu invisible par les Iraniens pour ne pas révéler les conditions exactes de sa capture. (…) Aujourd’hui, annonce Aviation Week, c’est déjà pourtant un appareil largement dépassé! D’au moins 65 fois en collecte de données, affirme même le spécialiste maison! Les Iraniens ont clamé qu’ils avaient réussi à «détourner» le Sentinel en s’introduisant dans ses données GPS: sachant que ces données sont verrouillées (et donc cryptées via un système appelé P(Y)-code), au travers des satellites américains, ça paraît assez improbable, comme le souligne fort justement Wired. (…..) En somme, l’engin a peut-être bien été hacké, mais c’est surtout son mécanisme d’autodestruction qui n’a pas fonctionné.» (4)

En somme, on imagine mal en effet ses concepteurs ne pas en avoir placé un à bord… alors que tous les avions US en ont un.» Ce drone à 6 millions de dollars pièce (c’est la vision du low-cost au Pentagone) s’est posé «tout seul» comme une fleur, en suivant les directives de son logiciel de bord, alors qu’il aurait dû exploser en vol. Pour ceux qui refusent la réalité, les Iraniens ont joué de chance, et de rien d’autre!

Pourtant un think-tank américain dit que le RQ-170 est une des ´´meilleures plates-formes de renseignement´´ de Washington, ajoutant que la prise de contrôle d’un de ces drones de reconnaissance par l’Iran ´´a donné une sévère claque à la sécurité américaine´´. ´´Il y a un risque certain de compromission d’une variété de capacités au renseignement, incluant de manière très possible des systèmes d’imagerie hyperspectrale, des engins spécialisés dans l’écoute, des ´´reniffleurs´´ de particules nucléaires et des engins de codage et d’encryptage pour les communications´´ a dit David Goure, vice-président de l’Institut Lexington».(5)

Les drones américains ne sont pas à la fête en ce moment. Après l’affaire de l’engin furtif RQ-170 Sentinel récupéré par les forces iraniennes, la semaine passée, voilà qu’un MQ-9 Reaper s’est écrasé sur l’aéroport international de Mahé. Mieux encore, des services de renseignements européens affirment que l’Iran a stupéfait l’Occident en réussissant à neutraliser un satellite espion de la CIA grâce à une technologie de brouillage de pointe au laser, qui aurait rendu le satellite complètement aveugle. C’est la première fois qu’un incident de ce type est enregistré. Ce constat pourrait indiquer que l’Iran a désormais accès à une technologie capable de détecter des véhicules automatiques aériens, une technologie qui lui a peut-être été fournie par la Russie. «Certains rapports établissent que la Russie aurait vendu [à l’Iran] un système de brouillage très sophistiqué, il y a peu de temps», a commenté John Bolton, ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU. Cette information ravive les inquiétudes quant au niveau technologique réel de l’Iran. Jeudi 15 décembre, le président de la société Google, Eric Schmidt, interviewé par CNN, a mis en garde contre l’inexplicable savoir-faire iranien en matière de cybernétique: «Les Iraniens ont un talent inhabituel en matière de guerre cybernétique, et nous ne comprenons pas vraiment pourquoi.» (6)

Peut-être que l’explication est à chercher dans l’endurance de ce pays, qui a compris qu’il n’y a pas à se lamenter, comme le font les Arabes. Il faut se battre avec les armes de la science, sa propre richesse technologique fruit d’une éducation et d’une recherche de qualité moins la démagogie. Inspirer le respect est une question de sueur, de veille de travail acharné et non pas d’a-plat-ventrisme pour se faire bien voir des puissants de ce monde renvoyant aux calendes grecques la mise au travail des peuples.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1. Daniel Laurent: Et si l’Iran nous donnait des leçons en matière d’enseignement supérieur? Education/ Recherche, jeudi 28 août 2008.

2. Georges Stanechy http://www.legrandsoir.info/iran-rapport-fmi-aout-2011.html 

3. Georges Stanechy http://www.legrandsoir.info/l-iran-et-le-drone-un-desastre-ravageur-pour-les-etats-unis.html 

4. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/un-drone-pose-comme-une-fleur-106388 

5. http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=28227  

6. Après le drone, l’Iran neutralise un satellite de la CIA guysen.com 18/12/2011

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