La Chine doit éviter de jouer un rôle dans la destruction de l’Amazonie

Pékin pourrait être ternie à jamais si elle fait de « sales affaires » avec le gouvernement Bolsonaro au Brésil.

La Chine est le premier partenaire commercial de l’Amérique du Sud. Ensemble, les banques stratégiques de la Chine – la Banque de Développement de Chine et la Banque d’Import-Export de Chine – sont la principale source de financement du développement pour l’ensemble de l’Amérique Latine.

Au cours des dernières décennies, le gouvernement brésilien, des entreprises nationales de premier plan et des multinationales ont configuré ce que Fernando Mires, déjà en 1990, définissait comme le « mode de production amazonien » : un mode de production et de destruction terriblement prédateur, à forte intensité technologique, incluant la soumission des populations indigènes à des conditions de travail basées sur l’esclavage, avec tout orienté vers les marchés internationaux.

L’Amazonie s’étend sur 6,5 millions de kilomètres carrés couvrant les deux cinquièmes de l’Amérique Latine – la moitié du Pérou, un tiers de la Colombie, une grande partie de la Bolivie, le Venezuela, la Guyane, la Guyane française, le Suriname, et surtout, 3,5 millions de kilomètres carrés au Brésil.

La diversité de la population d’origine était stupéfiante. Avant l’arrivée des Européens au Brésil en 1500, il n’y avait pas moins de 1 400 tribus, dont 60% en Amazonie. Les ethnologues s’émerveillaient de ce que nulle part ailleurs dans le monde la diversité linguistique de l’Amérique du Sud tropicale n’était comparable à celle de l’Amérique du Sud.

La tribu Tupi-guarani constituait même une sorte « d’empire », occupant un vaste territoire allant des Andes aux Pampas dans le sud du Brésil. Une sorte de « proto-état » commerçant avec les Andes et les Caraïbes. Tout cela a mis fin au mythe occidental d’une Amazonie « sauvage » et non civilisée.

Passons maintenant rapidement à l’actuel tollé occidental sur la destruction de l’Amazonie par le gouvernement de Jair Bolsonaro.

Le Brésil, pendant le second mandat présidentiel de Dilma Rousseff – plus tard mise en accusation sous de faux prétextes – a signé l’accord de Paris sur le changement climatique en 2015. L’article 5 de l’accord prévoit que les parties « doivent prendre des mesures » pour préserver les forêts menacées. Brasilia s’est engagée à protéger l’Amazonie en restaurant 12 millions d’hectares de forêts d’ici 2030.

Et pourtant, sous Bolsonaro, « doivent prendre des mesures » se métastase en « action inverse ». Le nouveau mantra est « le développement de l’Amazonie ». En fait, une version 2.0 turbocompressée et encore plus prédatrice du « mode de production amazonien », à la grande horreur des environnementalistes occidentaux, qui craignent une transformation imminente de l’Amazonie en savane sèche, avec de terribles conséquences pour la planète entière.

Des richesses naturelles stupéfiantes

L’armée brésilienne aime à noter que la richesse naturelle de l’Amazonie a été évaluée à 23 billions de dollars. Il s’agit d’un chiffre de 2017 annoncé par le général Eduardo Villas Boas, qui ajoute :

En fait, il existe un projet national (militaire) pour « développer » l’Amazonie à un rythme effréné, tout en empêchant, par tous les moyens, la « balkanisation de l’Amazonie » et l’action des ONG occidentales.

En avril de cette année, l’un des fils de Bolsonaro a posté une vidéo de son père engagé dans une conversation « surprenante » avec quatre autochtones de Brasilia.

Une zone déboisée au milieu de la jungle amazonienne trouvée dans l’état de Para, Brésil en 2014. Greenpeace a déclaré que les camions transportaient des arbres abattus illégalement vers les scieries la nuit, qui ont ensuite été exportés.

L’anthropologue Piero Leirner, spécialiste de l’armée brésilienne et de ses activités en Amazonie, explique le contexte. Le gouvernement Bolsonaro a soigneusement choisi quatre autochtones impliqués dans le commerce du soja et de l’exploitation minière. Ils ont parlé pour eux-mêmes. Immédiatement après, une association officielle de peuples autochtones a publié une lettre les reniant.

« C’était un classique de Diviser pour mieux régner, soutenait Leirner. Personne n’a fait attention à la lettre. Pour la plus grande partie du Brésil, l’affaire a été classée en termes de « communication sociale », ce qui a renforcé le discours du gouvernement sur les ONG luttant pour l’internationalisation de l’Amazonie« .

Les géants miniers du Brésil préféreraient que les peuples autochtones soient les porte-parole plutôt que les militaires. En fait, il s’agit d’un labyrinthe d’intérêts imbriqués – comme dans le cas des capitaines et des colonels en affaires avec des entrepreneurs miniers agissant dans des zones autochtones protégées.

Ce qui s’est passé ces dernières années, c’est que la plupart des peuples autochtones ont fini par comprendre qu’ils ne pouvaient pas gagner, quel que soit le scénario. Comme Leirner l’a expliqué :

C’est donc le projet pervers du « développement de l’Amazonie », qui consiste à transformer les peuples autochtones en une main-d’œuvre sous-prolétaire dans les exploitations minières.

Et puis il y a l’angle crucial – pour l’Occident industrialisé – du niobium (un métal connu pour sa dureté). Environ 78 % des réserves brésiliennes de niobium sont situées dans le sud-est, et non en Amazonie, qui en renferme au mieux 18 %. L’abondance du niobium au Brésil durera jusqu’en 2200 – même en tenant compte de la croissance exponentielle et ininterrompue du PIB chinois. Mais l’Amazonie ne concerne pas le niobium. Il s’agit d’or – pour être dûment expédié à l’Occident.

Le long de la rivière

Bolsonaro a à cœur d’acheminer les routes, les ponts et les centrales hydroélectriques vers les régions les plus reculées de l’Amazonie. Sous le mantra de la « souveraineté », il a promis d’imposer la main de l’État dans la zone stratégique Triple-A – Amazonie, Andes, Océan Atlantique – contrecarrant ainsi l’intention présumée des ONG occidentales de créer une bande indépendante pour la préservation de l’environnement.

Alors, comment la Chine s’inscrit-elle dans le puzzle de l’Amazonie ? Un rapport récent aborde certaines des questions difficiles.

Depuis l’année dernière, Pékin a officiellement commencé à considérer l’ensemble de l’Amérique Latine comme un « prolongement naturel » de l’Initiative Ceinture et Route (BRI), ainsi que comme un « partenaire indispensable ». C’est ce qu’a déclaré le Ministre des Affaires Étrangères Wang Yi lors du Forum Ministériel Chine-Communauté des États d’Amérique Latine et des Caraïbes en 2018.

Toutes les directives de la BRI s’appliquent maintenant – et cela inclut l’Amazonie : coopération politique, développement des infrastructures, investissement et facilitation du commerce, intégration financière, et échanges culturels et sociaux.

La dynamique verte interne de la Chine – limiter la production de charbon, soutenir les usines de panneaux solaires, transformer l’île de Hainan en une zone d’éco-développement – devra se traduire dans ses projets en Amazonie. Cela signifie que les entreprises chinoises devront être extrêmement attentives aux communautés locales, en particulier aux populations autochtones. Et cela signifie également que les Chinois feront l’objet d’un examen minutieux de la part des ONG occidentales.

Le Brésil a peut-être ratifié la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail sur les peuples indigènes et tribaux, connue sous le nom de OIT 169, qui consacre le droit des communautés autochtones d’être consultées par l’État sur les décisions qui les concernent directement.

Pourtant, avec moins de sept mois de Bolsonaro au pouvoir, tout cela est en effet nul et non avenu.

Les peuples autochtones demandent la démarcation des terres à Sao Paulo en janvier 2019. Partout dans le monde, des gens se sont dits préoccupés par la politique du Président brésilien Jair Bolsonaro.

Il y a peu d’espoir qu’un ensemble exhaustif de directives pour les grands projets en Amazonie établi par le Centre d’Études de Durabilité de la Fondation Getulio Vargas à Sao Paulo, en liaison avec la Banque Mondiale, puisse être respecté par le gouvernement. Mais personne ne retient son souffle.

Parmi les principaux projets avec la participation de la Chine, on peut citer la voie navigable amazonienne au Pérou, qui a fait l’objet de consultations préalables avec plus de 400 villages autochtones, selon le gouvernement à Lima.

Mais surtout, il y a les 2,8 milliards de dollars, en construction sur la ligne de transport d’électricité de Belo Monte, d’une longueur de 2 500 km et d’une puissance de 11,2 gigawatts. La sociéte chinoise State Grid fait partie du consortium, dont le financement provient de la Banque Nationale de Développement du Brésil. Les première et deuxième lignes de transport affectent directement l’écosystème amazonien et s’étendent à proximité de 10 zones de conservation et d’un ensemble de groupes ethniques.

Le rapport « La Chine en Amazonie » note à juste titre que :

« Les entreprises chinoises ne sont pas bien conscientes de l’importance d’un engagement direct avec les parties prenantes non gouvernementales locales, et ont dû faire face à des coûts, des arrêts de travail et des retards répétés en conséquence. La déférence de la Chine à l’égard des politiques du pays hôte devrait s’étendre aux engagements des pays hôtes à l’égard des traités et du droit internationaux, comme la Convention 169 de l’OIT et sa norme de consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones. Les organisations autochtones et les organisations de la société civile de la région amazonienne ont une longue et forte tradition de participation active aux décisions gouvernementales relatives à l’utilisation des territoires et des ressources naturelles autochtones » .

Le rapport suggère la création d’un « groupe de travail multidisciplinaire composé d’ONG, de groupes autochtones locaux, d’universitaires et de scientifiques pour examiner les principes et les normes existants » pour les projets d’infrastructure durable.

Les chances que cela soit adopté par l’administration Bolsonaro et approuvé par l’armée brésilienne sont moins que nulles. Le tableau d’ensemble de la situation au Brésil sous Bolsonaro évoque la dépendance néocoloniale, la surexploitation des travailleurs, sans parler des peuples autochtones, et l’expropriation totale des richesses naturelles du Brésil.

Le Président brésilien Jair Bolsonaro prononce un discours à Davos en janvier. Ses politiques sont considérées comme une menace majeure pour les forêts d’Amazonie.

Juste un pion dans leur jeu

La Chine est peut-être le premier partenaire commercial du Brésil, mais Pékin doit aller de l’avant avec prudence – et appliquer strictement les directives de la BRI lorsqu’il s’agit de projets impliquant particulièrement l’Amazonie.

Le Conseil de Sécurité de l’ONU, avec le changement climatique à l’esprit, ne sanctionnerait jamais le Brésil pour la destruction de l’Amazonie. La France et la Grande-Bretagne seraient d’accord. Mais la Russie et la Chine – tous deux membres du BRICS – s’abstiendraient certainement, et les États-Unis sous Trump voteraient contre.

Le Brésil est aujourd’hui un pion privilégié dans le jeu géopolitique le plus important du 21ème siècle : l’affrontement entre les États-Unis et le partenariat stratégique Russie – Chine.

La dernière chose dont Pékin a besoin en termes de relations publiques mondiales, c’est d’être qualifié de complice de la destruction de l’Amazonie.

Pepe Escobar

 

 

Article original en anglais :

China Must Avoid a Role in Destruction of Amazon

Cet article a été publié initialement par Asia Times.

Traduit par Réseau International



Articles Par : Pepe Escobar

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