La Chine, nouveau nº1 mondial de la construction navale, pousse l’Europe à se consolider

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Dans l’industrie de la construction navale – civile comme militaire –, l’Asie est devenue le poids lourd mondial, d’abord grâce à la Corée du Sud, et maintenant avec la Chine qui écrase tout sur son passage. Face à cette concurrence affichée, l’industrie européenne tente de se mettre en ordre de bataille. Des alliances sont déjà en place, reste à les pérenniser, voire à en créer de nouvelles.

Le président chinois est un homme d’Histoire. Xi Jinping n’a pas oublié les récits des sept expéditions maritimes – mythiques – conduites par Zheng He, sous le règne de l’empereur Ming Yongle au début du XVe siècle. La flotte chinoise était toute puissante, allant bien au-delà des mers asiatiques, jusqu’en Afrique. Six cents ans plus tard, les présidents chinois des vingt dernières années ont ressuscité cette toute-puissance maritime. Sur les deux tableaux, civil comme militaire.

2019, année fantastique

L’année 2019 restera un grand millésime pour l’industrie navale chinoise : en avril dernier, l’actuel président Xi Jinping paradait lors des plus grandes manœuvres navales de l’histoire de son pays. Au programme, quelque 48 navires de guerre, porte-avions, frégates, destroyers, sous-marins… Le message était clair : la Chine est de retour sur les mers et compte bien le faire savoir, à ses concurrents industriels de par le monde et à ses adversaires politiques locaux comme Taiwan.

En matière maritime, la Chine sait aujourd’hui tout faire, et elle livre dans les temps des produits de qualité. Il y a 20 ans, elle est partie de zéro. Aujourd’hui, elle a rattrapé son retard sur les Européens, les Américains et les Sud-Coréens. Les doublant même. Comme le souligne un dossier du Monde, 1989-2019 : la revanche de la Chine, ce retour en force a le parfum de la revanche. Dernier événement en date, majeur mais quelque peu passé inaperçu dans les médias occidentaux : le feu vert donné le 24 octobre dernier par Pékin à la fusion des deux géants chinois de la construction navale, CSSC (China State Shipbuilding Corporation) et CSIC (China Shipbuilding Industry Corporation). Pour oser une comparaison scabreuse, c’est aussi énorme que si Coca-Cola et Pepsi fusionnaient.

Ces deux entreprises sont de véritables mastodontes opérant dans de nombreux secteur, la construction navale chinoise (militaire et civile) générant 66 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulés en 2018, soit 13% du marché mondial. Au nord-est du pays, CSSC est axée sur la construction militaire ; au sud, CSIC est plus portée vers la construction de navires civils. Et leurs débouchés sont nombreux, comme en témoignent les contrats signés en 2018 avec la Thaïlande et la Malaisie pour des engins sophistiqués comme des patrouilleurs et des sous-marins. Avec un catalogue aujourd’hui très étoffé, les constructeurs chinois proposent des arguments choc aux potentiels clients, que ces derniers soient brésiliens, argentins, pakistanais et même européens, les Polonais étant dans la ligne de mire. « Le retard technologique de la Chine a longtemps été compensé par son agressivité commerciale, expliquait en 2018 un industriel sous couvert d’anonymat, cité par Les Echos. Mais la montée en gamme de ses constructeurs navals, comme leur accès à la technologie via les équipementiers européens, les amènera à très court terme à se positionner en concurrent direct des chantiers européens. » C’est chose faite.

Cette stratégie chinoise s’inscrit dans le plan baptisé Made in China 2025, qui vise à changer l’image de marque de l’industrie nationale, passant d’une production de masse bon marché à des produits à haute valeur ajoutée. Une fois finalisé, cet « Airbus de la mer » réunissant CSSC et CSIC deviendra le nº1 mondial du secteur, damant par exemple le pion aux incontournables Coréens de Daewoo et Hyundai Heavy Industry, mais aussi aux chantiers navals européens.

Et les Européens dans tout ça ?

La stratégie de consolidation à la chinoise a quelques points communs avec la vision de certains industriels européens qui poussent depuis quelques années pour créer des géants continentaux, capables de concurrencer les acteurs asiatiques. A noter que dans ce secteur, les Américains sont volontairement absents du marché militaire, n’exportant aucun navire de guerre.

Sur terre, en mer ou dans les airs, les Européens tentent de répliquer. Dans le secteur aéronautique, le futur chasseur européen (le programme SCAF) est sur les rails et réunira des entreprises de pointe françaises, allemandes ou espagnoles. Premier vol prévu pour 2040. Plus proche de nous, dans le secteur naval, Français et Italiens ont scellé un avenir commun en juin dernier avec la création d’une joint venture entre Naval Group (anciennement DCNS) et Fincantieri. Nom de ce programme, annoncé en octobre 2018 par les deux PDG, Hervé Guillou et Giuseppe Bono : Poséidon.

« L’alliance que nous proposons est destinée à envoyer un signal fort à l’Europe, explique alors Giuseppe Bono. Si deux industries comme les nôtres ont entamé un tel rapprochement, il faut que les politiques nous suivent, car un tel rapprochement constitue de grandes opportunités de croissance, surtout si l’Europe se dote d’une politique de Défense commune. »

Ce rapprochement soutenu par Paris et Rome a pour but de former un front commun – sur les plans industriel et commercial –, afin d’éviter également ce que les industriels français appellent le « syndrome TGV », certains constructeurs européens de trains rapides devant s’allier au géant chinois CSR Corporation pour survivre. Autre syndrome à combattre : les appels d’offre dans lesquels Naval Group et Fincantieri se retrouvent face à face, comme au Brésil. Ou encore ceux où Naval Group se retrouve en concurrence avec… Thales, son 2e actionnaire (35%) après l’Agence des participations de l’Etat (62,49%). L’épisode des chasseurs de mines belges et néerlandais – contrat remporté en 2018 par Naval Group face à Thales/STX et au Hollandais Damen – est encore dans tous les esprits.

Pérenniser la stratégie européenne… et française

Côté français, l’horizon 2020 semble dégagé : le carnet de commandes est bien fourni, Naval Group ayant récemment remporté de gros contrats, en particulier en Australie avec les 34 milliards d’euros de la vente de douze sous-marins.

En 2016 déjà, le patron français Hervé Guillou pointait du doigt l’impérative nécessité de se renforcer, et d’insister sur une gouvernance à long terme, ayant en ligne de mire la future génération de bâtiments furtifs. Marchés potentiels : l’Amérique du Sud, le monde arabe, mais aussi l’Asie du Sud-Est, comme une réplique aux tentations chinoises en Europe.

« Il faut sécuriser les intérêts stratégiques de la France, assurait Guillou dans une interview sur FranceInfo, mais aussi les intérêts stratégiques de Naval Group pour l’exportation. Il faut par exemple que nous sécurisions, dans l’intérêt de l’Etat français, l’accès aux ressources des chantiers de Saint-Nazaire, pour être capables de fabriquer nos propres bâtiments et d’exporter notre production. »

Alors que Hervé Guillou sera atteint par la limite d’âge début 2020 en tant que PDG, reste à mettre en place les mécanismes pour rendre pérenne cette double stratégie, franco-française et franco-italienne. C’est en fin de compte l’Elysée qui choisira le cap à suivre, les dossiers aussi sensibles que celui-ci passant par le bureau du secrétaire général Alexis Kohler avant d’arriver sur le bureau du président Emmanuel Macron. Secteur régalien oblige.

François Morin

 

 

François Morin : Officier de marine retraité, consultant export et business development



Articles Par : François Morin

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