La corruption planétaire : Un non-événement
« Les belles âmes arrivent difficilement à croire au mal, à l’ingratitude, il leur faut de rudes leçons avant de reconnaître l’étendue de la corruption humaine ».
Honoré de Balzac Illusions perdues
«Les proverbes que vous voyez au mur de cette classe correspondaient peut-être jadis à une réalité disparue… aujourd’hui on dirait qu’ils ne servent qu’à lancer la foule sur une fausse piste, pendant que les malins se partagent la proie.»
Topaze
Un scoop en apparence! Un groupe de journalistes qui s’autoproclament défenseurs de la veuve et de l’orphelin, en l’occurrence contre la corruption. «Le Consortium international des journalistes d’investigation (Icij) donne en pâture 11 millions de fichiers provenant des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Ces données s’étalent de 1977 à 2015. Elles révèlent que des chefs d’Etat, des milliardaires, des grands patrons, des figures du sport, de la culture, de l’économie recourent, avec l’aide de certaines banques, à des montages de sociétés afin de dissimuler leurs avoirs.
Dans chaque pays où la liberté n’est pas un vain mot, on cloue au pilori les contrevenants. C’est le cas admirable de l’Islande. Comment en effet, dans un petit pays de 300.000 personnes 20.000 personnes se mobilisent pour demander la démission du Premier ministre? C’est peut-être cela la force de la démocratie et de la liberté car, sous toutes latitudes et à des degrés divers, la corruption sévit puisque c’est dans l’essence même de la nature humaine de ne jamais se satisfaire de sa condition quitte à dépasser les fils rouges de la morale du bien commun… Cependant, dans les pays où cette liberté n’existe pas, l’impunité des contrevenants est le facteur principal d’instabilité, de mal-vie et de remise aux calendes grecques du pays sur les rails.
«Les faits décrits dans des médias nationaux et internationaux sous l’appellation « Panama Papers » vont faire l’objet d’une enquête», a fait savoir le ministère public du pays, lundi 4 avril. Plusieurs pays ont ouvert des enquêtes pour blanchiment, dans la foulée de la publication des premiers éléments tirés des quelque 11,5 millions de documents provenant du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca. Celui-ci a déclaré, dimanche, que ces révélations étaient un «crime» et une «attaque»contre le Panama, régulièrement accusé d’être un paradis fiscal, ce que contestent les autorités. Le gouvernement du Panama a assuré qu’il «coopérerait vigoureusement» avec la justice. Les «Panama Papers» révèlent «qu’outre des milliers d’anonymes, de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.» (1)
Qui a organisé la fuite?
On est en droit de se demander pourquoi ces révélations sont à géométrie variable: «Comme le remarque le site ZeroHedge, pas un seul patronyme américain de premier plan, alors que le nom de Poutine (à travers certains membres de son entourage) est cité tout en haut de la liste des personnalités publiée par les médias occidentaux, suivi de près par le président chinois Xi Jinping et l’ancien président du Brésil Lula… Et quand on s’intéresse de plus près à l’Icij, le ‘consortium international de journalistes d’investigation » qui a coordonné le travail d’analyse des fichiers, on s’aperçoit que parmi ses « funding supporters » figurent l’Open Society de George Soros et l’Usaid, deux de ces organisations qu’on retrouve derrière chaque ´´révolution de couleur´´ parrainée par l’Empire…» (2)
«Mais où sont les Américains? s’interroge le site Sputnik. La récente fuite de données sur les avoirs cachés de leaders politiques mondiaux, qui a provoqué une onde de choc médiatique, ne concerne curieusement aucun responsable américain. (…) L’absence de noms de citoyens US dans la liste s’explique peut-être par le fait que les Américains sont peu disposés à conserver leurs gains acquis illégalement à Panama après la conclusion en 2010 d’un accord entre les deux Etats qui a mis fin aux tentatives de riches Américains de trouver un refuge fiscal dans ce pays. Cependant, il reste toujours possible que des noms américains fassent surface dans les documents de Mossack Fonseca, à condition que les Etats-Unis ne se trouvent pas derrière la fuite de ces informations. Il est curieux que l’individu ayant remis à la presse les données en question se présentait au Süddeutsche Zeitung comme John Doe.» (3)
Les «Panama Papers» sont un moyen de chantage idéal
Au risque d’être traité d’adepte de la théorie du complot, nous devons savoir tout ce que cela veut dire, non pour protéger les contrevenants qui doivent en théorie rendre compte, mais nous sommes en droit de poser la question qui est derrière tout cela et ce que cela veut dire ne terme d’agenda politique . Beaucoup de sites alternatifs s’intéressent à cela.
«Dans l’affaire de « Panama Papers », lit-on sur l’un d’eux ce n’est ni le doigt, ni la lune qu’il faut regarder, mais le sage lui-même, et tâcher de savoir pourquoi il désigne la lune. Quand un pourri nous désigne en vindicte un monde pourri et qu’il s’en exclut, il y a anguille sous roche. (…) Il y a déjà 16 mois, Ken Silverstein a publié un reportage sur Vice à propos de Mossak Fonseca, un gros fournisseur véreux de sociétés fictives du Panama. (L’Intercept de Pierre Omidyar, pour lequel Silverstein travaillait alors, avait refusé de publier le reportage.) Yves Smith a publié de longs articles sur le business du blanchiment d’argent de Mossak Fonseca.» (4)
Le site Moon of Alabama s’interroge sur la nature de ce site et ses relations et croit y déceler un parti pris d’autant plus coupable que ces dénonciations sont à géométrie variable . Il va jusqu’à reconstituer la genèse de la « manipulation »
Nous lisons :
« Il y a un an que quelqu’un a fourni des tonnes de données de Mossak Fonseca à un newpaper allemand, le Süddeutsche Zeitung, quotidien politiquement à droite du centre et résolument pro Otan. Le Süddeutsche affirme que les données concernent 214.000 sociétés fictives et 14.000 clients de Mossak Fonseca. Combien de sénateurs des États-Unis sont impliqués dans ces sociétés? Quels hommes politiques de l’ Union européenne? Quelles sont les grandes banques de Wall Street et les fonds spéculatifs qui se cachent au Panama? Le Süddeutsche et ses partenaires ne répondront pas à ces questions. (…) La «victime» la plus politique à ce jour est le Premier ministre de l’ Islande Sigmundur David Gunnlaugsson qui, avec sa femme, possédait une des sociétés fictives.» (4)
Le site continue son analyse :
«Le filtrage de ces informations de Mossack Fonseca par les médias d’entreprise suit un agenda gouvernemental ouest direct. La fuite est gérée par le «Consortium international des journalistes d’investigation», qui est financé et organisé entièrement par le Centre des États-Unis pour l’intégrité publique. Leurs bailleurs de fonds comprennent Ford Foundation, Carnegie Endowment, Fonds de la famille Rockefeller, WK Kellogg Foundation, Fondation Open Society (Soros), Le Consortium International des journalistes d’investigation (Icij). Il faut y ajouter le site concernant le projet de déclaration Corruption (Occrp) qui est financé par le gouvernement américain à travers l’ Usaid. La ‘fuite » est de données sélectionnées par l’organisation américaine sur une base de données, probablement obtenue par les services secrets américains.» (4)
On comprend mieux alors comment d’autres informations furent distillées contre Assad dont on dit qu’une société écran a permis à la Syrie d’acheter du carburant pour ses avions. On y ajoute aussi la Corée du Sud dont on dit qu’une autre société écran a permis par l’achat de pièces interdites, sous embargo, de lancer une fusée dernièrement. Si l’on ne trouve pas le nom en première ligne de Poutine, pas de panique Poutine est cité à travers ses amis. Si ce n’est pas toi le corrompu c’est donc ton frère, nous sussure le site Il est vrai que l’on ne dénombre pour le moment aucun nom d’un dirigeant d’un pays américain ou européen. A moins de nouvelles révélations, on sera obligé d’admettre que nous avons affaire à des saints et que toutes ces belles âmes sont des exemples à suivre.
La comédie humaine et le règne de l’argent
Il est dans la nature des choses que l’homme soit corruptible au-delà des fils rouges intrinsèques dus notamment à l’éducation, au respect du bien commun et à ce que l’on peut attribuer à la religion qui apporte, outre le supplément d’âme, un code de morale supplémentaire, il demeure évident que les morales à l’ancienne n’ont plus cours. Je me souviens de toutes les belles sentences que nous collions sur les murs de nos classes et que l’on ânonnait sans trop de conviction: «Bien mal acquis ne profite jamais», «Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée».
«Pour illustrer cette débâcle du monde décrite si bien par Dany Robert Dufour dans le «divin marché», je veux proposer aux lecteurs(ices) un exemple de mutation sociologique de l’individu en la personne de Topaze, personnage d’une pièce de théâtre de Marcel Pagnol écrite en 1928, quelques années après le fameux scandale de Panam, – il y a de cela un siècle- et aussi à la veille de la grande dépression de 1929 dont les prémices étaient visibles. Topaze, modeste instituteur qui croit à la vertu des principes, est respectueux de la hiérarchie, est très honnête, presque d’une façon morbide. Sur les murs de sa salle de classe se trouvent des maximes sur l’honnêteté qu’il enseigne en morale. Il est soucieux de ce que les gens pensent de lui et tient à mériter l’estime de ses élèves. Bref, on peut le décrire comme un personnage bon, loyal et innocent. C’est un pur. Pour lui, il n’y a qu’un principe qui compte pour rendre un homme respectable: l’honnêteté, mais il apprendra bien assez tôt que tout le monde ne pense pas comme lui » (5)
Cette atmosphère, à la pension Muche où il enseigne, ne durera pas. Un jour, la baronne Pitard-Vergnolles exige de Topaze qu’il revienne sur les mauvaises notes de son cancre de fils: bien entendu, le brave professeur, droit dans ses bottes, ne cède pas. Il refuse et Muche, craignant de perdre une cliente, le licencie. Il est renvoyé immédiatement par le père Muche. Pour s’en sortir, il fait des heures supplémentaires au fils de Suzanne Courtois, maîtresse d’un conseiller municipal véreux, Castel Benac qui «l’utilisera» pour signer les contrats à sa place, d’un prête-nom et celui-ci, Topaze, désormais, gagne beaucoup d’argent; on lui décerne même les palmes académiques qu’il avait tant espérées tout au long de sa carrière dans l’enseignement, mais il est malheureux: «Je ne suis plus un honnête homme!». Pourtant il s’aperçoit très vite que tout s’achète. Alors, ses principes moraux bafoués, Topaze, cynique à son tour, se débarrasse de Castel-Vernac. Au nom de ses nouveaux préceptes – «Le mépris des proverbes, c’est le commencement de la sagesse «ou «Pour gagner de l’argent, il faut bien le prendre à quelqu’un «L’argent peut tout».» (5)
«Peu à peu, Topaze s’enhardit et parvient à travailler seul sans être dirigé. À ce moment, un deuxième Topaze naît qui change physiquement et psychologiquement. Du naïf instituteur, il devient un manipulateur dominant qui fait des affaires à son propre compte. Maintenant il a le pouvoir de l’argent, il réalise que la force gouverne le monde C’est alors que Tamise son ancien collègue vient le voir et découvre la métamorphose. Topaze, sûr de lui, lui fait découvrir le catéchisme de la réalité: «Même dans la préhistoire, dit-il, les femmes suivaient celui qui avaient le plus gros beafteck» «L’argent ne fait pas le bonheur, mais on est tout de même content d’en avoir.» Le film suivant avec Fernandel est un régal. (6)
Et l’Algérie dans tout ça?
La corruption est un phénomène qui a pris de l’ampleur depuis une trentaine d’années. D’une corruption artisanale relativement répandue dans tous les pays, même dans ceux qui s’auto-proclament purs et durs. Topaze avec douleur- Je ne suis un honnête homme affirme-t-il d’un ton tragique à son ami Tamise !- nous avait prévenu : La probité n’est pas de ce monde. Kissinger affirmait dit-on que « tout homme a son prix »
Cependant, nous assistons à un phénomène nouveau, le passage à une société ou rien ne se vend mais que tout s’achète. Une gangrène qui est en train de prendre le corps social algérien. L’Algérie n’est pas épargnée, des noms figurent sur les listings des «Panama papers» Si nous avions quelques doutes , nous sommes édifiés.
Pour Djilali Hadjadj, président de l’Association algérienne de lutte contre la corruption:
«C’est la nature, la situation géographique et l’histoire du Panama qui ont fait de ce dernier un des principaux paradis fiscaux du monde. Les nouveaux dirigeants du Panama s’étant engagés à réduire de manière substantielle les activités offshore de leur pays, notamment auprès du Groupe d’action financière (Gafi). D’ailleurs, à propos du Panama paradis fiscal, nombre de commissions dans le cadre d’affaires de corruption internationale où est impliquée l’Algérie, sont domiciliées au Panama ou y font «escale» le temps de brouiller leur traçabilité. (…) Mais si la justice algérienne le voulait, elle pourrait obtenir de son homologue panaméenne l’identité des titulaires de ces comptes. (…) Il y a une technique fréquemment utilisée par les auteurs de ces fuites de capitaux – ou du moins par les gestionnaires de leurs fortunes -, c’est de faire transiter cet argent dans plusieurs paradis fiscaux successifs, tout en clôturant les comptes précédents: la technique dite du «saute-mouton» pour empêcher toute traçabilité et toute découverte par les autorités du pays d’origine des bénéficiaires de ces comptes. La boîte de Pandore n’est qu’entrouverte et il sera très difficile de la refermer. Il est attendu des pouvoirs publics et de la justice de sortir de leur silence face à ces scandales à répétition.» (7)
La corruption et le plagiat: une gangrène de l’Université algérienne
S’il est un domaine où la corruption fait des ravages qui peuvent s’avérer plus ravageurs que ceux de l’argent, c’est celui de l’éducation. Nous voyons dans les universités des catalogues à la Prévert de toutes les «combines» possibles pour évoluer non au mérite, mais à tous les procédés discutables Il est vrai que la corruption existe partout dans le monde et dans tous les domaines. La différence est que dans les pays développés il y a des règles, des normes à ne pas dépasser sous peine de poursuites. Il est vrai que le plagiat est une forme grave de corruption car elle émane d’une institution censée être la référence et la norme pour le pays. Parler de corruption dans le monde scolaire peut paraître, à première vue, sans grand intérêt pour la simple raison que lorsqu’on parle de corruption, l’idée va droit aux sommes énormes que certains grands responsables détournent tous les jours et à bout de bras.
Or, dans le monde de l’éducation, la corruption se présente comme un immense piège qui fait des ravages. Dans les pays développés, en principe, les sanctions sont très dures et le contrevenant est généralement rattrapé par son passé de fraudeur. La médiocrité et le plagiat reflétés dans les thèses produites triomphent sur la qualité, Non! Nous ne devons pas laisser la gangrène s’étendre! Chacun à son niveau doit être comptable de ses actes et devrait s’indigner des dérives. Il n’y a que la charte universitaire qui est une réelle avancée déontologique qui pourrait arrêter l’hémorragie.
Plus largement, cette annonce au-delà des non-dits est une manoeuvre – une de plus dirions nous- de déstabilisation des pays vulnérables. Elle pêche par sa partialité et, d’une certaine façon, ne nous apprend rien. Tout au plus, nous sommes confortés que les slogans de la lutte contre les paradis fiscaux, notamment proclamés par les différents G7 ne sont que de la poudre aux yeux. Sarkozy proclamait en 2009, qu’il n’y a plus de paradis fiscaux.
Les citoyens du monde ont cessé d’être naïfs. Le désenchantement dont parlait si bien Max Weber concernant la sécularisation du monde, touche maintenant le quotidien de chacun. A sa façon, Topaze, le personnage central de la pièce de Pagnol, nous raconte avec amertume son long combat avec lui-même, lui qui était honnête,- jusqu’au bout des doigts qu’il portait de surcroit longs- pour rejoindre l’arène sanglante de la curée mondiale où les valeurs à l’ancienne, n’ont plus cours. Plus philosophiquement parlant, la petite corruption est acceptable dans la mesure elle permet à son titulaire de survivre. Celle qui est répréhensible c’est celle de celui qui en veut toujours plus alors que ses besoins vitaux sont insignifiants et surtout, il oublie qu’il ne peut rien emporter avec lui le jour J. Un proverbe arabe nous incite à une sagesse « le linceul n’a pas de poches ».
On se souvient des mots attribués à Alexandre le Grand qui conquit le monde et qui fut terrassé par une bactérie : Alexandre demanda « que [son] cercueil soit transporté à bras d’homme par les meilleurs médecins de l’époque, que les trésors [qu’il a] acquis (argent, or, pierres précieuses…) soient dispersés tout le long du chemin jusqu’à [sa] tombe, et que [ses] mains restent à l’air libre se balançant en dehors du cercueil à la vue de tous », afin que « les médecins comprennent que face à la mort, ils n’ont pas le pouvoir de guérir, que tous puissent voir que les biens matériels ici acquis, restent ici-bas, et que les gens puissent voir que les mains vides nous arrivons dans ce monde et les mains vides nous en repartons quand s’épuise pour nous le trésor le plus précieux de tous : le temps ». Puissent ils être entendu !
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
2.https://olivierdemeulenaere.wordpress.com/2016/04/04/scandale-panama-papers-qui-a-organise-la-fuite/
3.https://fr.sputniknews.com/international/201604041023923970-panama-fuite-etats-unis/
5.http://www.cinema-francais.fr/les_films/films_p/films_pagnol_marcel/topaze.htm
6.https://www.youtube.com/watch?v=morvwo25dhg
Article de référence :
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_ chitour/239100-un-non-evenement.html