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La Corse se dirige vers l’autonomie en se méfiant de Paris
Par Olivier Renault
Mondialisation.ca, 23 mars 2022
Observateur continental
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La tentative d’assassinat du nationaliste corse, Yvan Colonna, dans une prison française l’a transformé de héros national en martyr. Les partisans de l’indépendance de la Corse organisent de nombreuses manifestations qui débouchent sur des flambées de violence à Corte, Ajaccio et Bastia.

Se précipitant sur l’île, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est dit prêt à discuter de l’autonomie. «Le débat sur l’inscription de la Corse [dans la constitution], les compétences de la Collectivité de Corse et éventuellement l’autonomie n’est pas un tabou», a assuré le président français Emmanuel Macron lors de la présentation de son programme électoral jeudi dernier.

Les troubles en Corse ont commencé après que le nationaliste corse Yvan Colonna, âgé de 61 ans, a été violemment attaqué à la prison d’Arles. Il purgeait une peine d’emprisonnement à perpétuité pour le meurtre du représentant de la France sur l’île, le préfet Claude Erignac.

Le 6 février 1998, avec l’aide d’autres militants du Front de libération nationale de la Corse (FLNC), il tire mortellement sur le responsable du gouvernement français dans la rue du Colonel-Colonna-d’Ornano à Ajaccio. Le terroriste s’est enfui, caché pendant plusieurs années avec des sympathisants jusqu’à ce qu’il soit capturé en 2003, jugé et envoyé en prison pour toujours.

En prison, Yvan Colonna s’est marié et a eu un enfant. Le nationaliste a demandé à plusieurs reprises sa libération ou son transfert en Corse. Mais, le 2 mars, il a été agressé dans la salle de sport de la prison d’Arles par un autre détenu, Franck Elong Abé, un citoyen français de 36 ans et originaire du Cameroun qui est un terroriste islamiste qui a combattu en Afghanistan. Il a été arrêté par les Américains et condamné à neuf ans de prison.

Le fanatique religieux n’aimait pas le fait que le Corse aurait manqué de respect au prophète. L’attaque a ensuite été qualifiée d’acte terroriste. Il a affirmé qu’Yvan Colonna avait «craché sur Dieu» quelques jours avant l’agression.

Dans un état grave, Yvan Colonna a été transporté dans un hôpital d’Arles, puis transféré dans un hôpital de Marseille et se trouve depuis entre la vie et la mort. La nouvelle de l’incident dans une prison française a provoqué la colère de ses compatriotes corses. Des émeutes , qui ont commencé à Corte, Ajaccio, Bastia et Calvi le 9 mars, se sont souvent transformées en affrontements violents avec la police. Le 13 mars à Bastia, des manifestants ont tenté de prendre d’assaut la préfecture, 44 policiers et 23 assaillants ont été blessés.

Le sort d’Yvan Colonna et de ses deux complices, Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, détenus en prison inquiète depuis longtemps les habitants de l’île, dirigée depuis 2017 par des nationalistes qui prônent la restriction maximale de l’influence française. Un groupe de députés corses à l’Assemblée nationale a demandé à plusieurs reprises le transfert des trois prisonniers corses vers leur patrie. Mais, cela a été refusé sous prétexte que la prison locale de Borgo n’était pas adaptée à la détention de criminels aussi dangereux.

Après le déclenchement de l’attaque contre Yvan Colonna et des manifestations violentes contre l’Etat français en Corse, le Premier ministre français, Jean Castex, a été contraint de retirer le statut de «protection spéciale» aux trois Corses, un statut qui avait empêché leur transfert sur la Corse.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a reconnu qu’ «il y a une responsabilité de l’Etat en tant que protecteur des personnes qui sont sous sa responsabilité, en l’occurrence des prisonniers». Face à de violentes manifestations impliquant la jeunesse de l’île, le ministre s’est envolé en urgence pour la Corse afin de mener un cycle de discussions avec tous les élus et forces vives de l’île.

La veille, il avait sérieusement commencé à parler du fait que la Corse pourrait bénéficier d’une large autonomie. En France, un certain nombre de territoires d’outre-mer disposent de tels droits. En particulier, la Nouvelle-Calédonie a depuis 1998 le statut d’entité territoriale spéciale au sein de l’Etat français. La métropole a conservé un minimum de compétences dans des domaines vitaux: défense, sécurité intérieure, justice et circulation de l’argent.

Les partenaires des pourparlers sont des hommes politiques corses favorables à l’autonomie de l’île, comme Gilles Simeoni, l’actuel président du Conseil exécutif de Corse ou l’ancien président de l’Assemblée de Corse,  Jean-Guy Talamoni, qui sont pour une indépendance totale vis-à-vis de la France. Parmi leurs revendications, il faut faire du corse la deuxième langue officielle de l’île avec le français, établir le statut des habitants de l’île avec des privilèges dans la possession de maisons et de terres, ainsi qu’un avantage dans l’embauche. Après que les nationalistes corses aient abandonné la lutte armée en 2014, ils ont attiré non seulement des radicaux, mais aussi des modérés à leurs côtés. Cependant, le Front de libération nationale de la Corse (FLNC) évoque désormais la possibilité d’un retour aux tactiques militaires.

La tâche immédiate du gouvernement français est évidente. Il doit commencer les négociations, mais pas les terminer avant la présidentielle 2022. Ainsi, cela donnera aux habitants de l’île le sentiment que leur avenir est entre les mains de l’actuel président. La Croix rappelle qu’ «après s’être montré ouvert comme candidat, en 2017, sur une éventuelle évolution du statut de la Corse avant de l’exclure en tant que chef de l’Etat, Emmanuel Macron esquisse une autonomie qui conférerait au conseil exécutif de Corse tous les pouvoirs en matière d’économie, de santé ou de social». Cependant si cela était adopté par l’Elysée, l’Etat français conserverait la gestion de la justice, de la police et de l’armée.

Le 16 mars dernier lors d’une conférence de presse, Gilles Simeoni, a déclaré: «nous sommes vigilants car trop souvent la Corse et le peuple corse ont été méprisés, trompés» en évoquant, peut-être, «une volonté de manœuvre en raison de la présidentielle 2022 et des émeutes récentes en Corse». Il a fait savoir «la situation de déni démocratique et de refus de prise en compte du suffrage universel [par Paris] à travers lequel les Corses ont très majoritairement exprimé leur choix en 2015, 2017, 2021» et dénoncé «la tentative d’assassinat contre Yvan Colonna, la non application du droit au rapprochement» et martelé: «Nous sommes porteur d’un idéal et d’un combat qui s’est prolongé depuis 50 ans».

Olivier Renault

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