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La criminalisation de la lutte des Mapuches au Chili
Par Global Research
Mondialisation.ca, 17 novembre 2006
Noticias Aliadas 17 novembre 2006
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https://www.mondialisation.ca/la-criminalisation-de-la-lutte-des-mapuches-au-chili/3893

Jaime Madariaga de la Barra : « Je doute qu’on cesse de criminaliser la lutte des mapuches »

Au milieu de la décennie 90, des communautés mapuches du sud du Chili ont entamé un processus de revendication territoriale consistant en l’occupation de propriétés – majoritairement aux mains d’entreprises d’exploitation de bois – pour la production d’aliments. L’Etat a durement répondu à cette stratégie en ayant recours à la législation anti-terroriste de 1984. L’avocat pénaliste Jaime Madariaga de la Barra a participé entre 2001 et 2005 à la défense des membres et ex-membres de la Coordinadora Arauco Malleco – jugés pour les délits d’« association illicite terroriste », « menace terroriste » et « incendie terroriste » – et a dénoncé la violation du droit à un procès équitable de ses protégés devant la Commission interaméricaine des droits de l’Homme.

Hernán Scandizzo, correspondant de Noticias Aliadas, a discuté avec Madariaga de la Barra du mouvement social mapuche, de la loi et de ses usages, dans la ville méridionale de Temuco.

Actuellement, il y a 10 dirigeants mapuches détenus et autant ont été jugés auparavant. A quoi répond tout ceci ?

Il s’agit de la criminalisation d’un conflit social, car non seulement le Ministère public poursuit les mapuches mais, en outre, le gouvernement intervient à travers le ministère de l’Intérieur. C’est-à-dire que la présidente est en train de se quereller avec les membres des communautés, qui se voient confrontés aux principaux pouvoirs qui existent dans le pays : le pouvoir politique – ministère de l’Intérieur-, le pouvoir qui exerce l’action pénale – Ministère public – et le pouvoir économique le plus important, qui est celui des entreprises forestières qui sont aux mains des hommes les plus riches du Chili.

Comment l’Etat justifie-t-il l’application de la loi anti-terroriste, législation utilisée par la dictature militaire pour poursuivre les dissidents politiques et qui, au cours de la dernière décennie, a été utilisée uniquement contre des dirigeants mapuches ?

Il n’y a pas de doute qu’on exagère des conduites, parce qu’aucune perte de vie humaine, ni d’atteintes à l’intégrité physique ou à la liberté des personnes ne sont imputées à des mapuches dans ce conflit. Le concept de terrorisme suppose un mépris de la vie humaine, de la liberté des personnes et est normalement lié à des délits où on ne connaît pas la victime ou où le nombre de victimes n’importe pas.

Vous avez dénoncé le fait que l’application de cette législation viole le droit à un procès équitable.

L’application de la loi anti-terroriste implique une violation du droit à un procès équitable fondamentalement parce que le secret de l’enquête peut être maintenu jusqu’à six mois et la détention préventive durer au delà de ce qui est normal. Pour mettre un terme à celle-ci, l’unanimité des votes des ministres de la Cour d’appel est requise. Le point le plus grave a trait à l’utilisation de témoins anonymes. Dans le procès pour « association illicite terroriste » [en octobre 2004] contre la Coordinadora Arauco Malleco 42 témoins anonymes ont été présentés. Il ne s’agit pas de témoins dont l’identité est protégée pendant l’étape de l’enquête mais de témoins anonymes pour toujours, ce qui signifie qu’ils peuvent mentir impunément au cours du procès oral et qu’ils ne peuvent pas être poursuivis pour délit de faux témoignage.

Vous avez aussi soutenu que les membres des communautés mapuches sont condamnés pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils ont fait.

Non seulement on fait une distinction quant à la qualité de mapuche des personnes poursuivies mais aussi quant à l’importance de ces personnes à l’intérieur de la société mapuche. Les lonkos [autorités politiques des communautés] font l’objet d’une persécution spéciale à cause du leadership traditionnel qu’ils exercent au sein de leurs communautés. Leur famille l’est aussi, comme c’est le cas des fils du lonko Pascual Pichun Paillaleo : Pascual [qui en décembre 2005 a demandé l’asile politique en Argentine] et Rafael [emprisonné pour l’incendie d’un camion d’une entreprise forestière].

Quand un délit a lieu, les organes de l’Etat ne mènent aucune enquête sérieuse, mais ils s’en prennent directement aux familles. Cela signifie l’application d’un droit pénal d’auteur [qui poursuit un individu pour ce qu’il est non pour ses actes] ; cela signifie que la Doctrine de sécurité nationale et de contrôle social au Chili – des héritages de la dictature- continue d’être appliquée.

Je crois qu’une doctrine du droit pénal de l’ennemi a été imposée. Le peuple mapuche qui exige le respect de ses droits est vu comme un ennemi de l’ordre social chilien et en le voyant comme un ennemi ses droits fondamentaux ne sont pas respectés.

Au début, suite à leurs mobilisations, on a imputé aux membres des communautés mapuches des délits communs, ensuite leurs actions ont été jugées dans le cadre de la loi de sécurité de l’Etat et puis dans celui de la loi anti-terroriste. Quelle différence y a-t-il entre la loi de sécurité de l’Etat et la loi anti-terroriste ?

La loi anti-terroriste prévoit l’application de peines bien plus lourdes ; pour n’importe quel fait, on peut être condamné à la prison à perpétuité et les aspects politiques des faits ne sont pas pris en compte [ils sont considérés comme de simples délits]. La loi de sécurité de l’Etat, par contre, a un composant plus politique, les peines sont moins lourdes et ne prévoit pas l’existence de témoins anonymes.

La présidente Michelle Bachelet a promis de ne pas appliquer la loi anti-terroriste contre les membres des communautés mapuches. C’est une promesse qu’elle n’a pas tenue. Peu de temps après son accession à la présidence [en avril 2006], un procès contre des mapuches a débuté pour « incendie terroriste ». Le ministère de l’Intérieur a requis l’application de la loi anti-terroriste. Peut-être [plus tard] tiendra-t-elle sa promesse ? Je doute toutefois qu’elle cesse de criminaliser les mobilisations sociales mapuches. [1]

Actuellement le Parlement est en train d’examiner deux projets pour modifier la loi anti-terroriste. Quelles possibilités y a-t-il que cette loi soit annulée ou modifiée ?

Qu’elle soit annulée, aucune, et qu’elle soit modifiée, pas beaucoup. Il n’y a pas de véritable intérêt de la droite ni peut-être de la majorité du parti au pouvoir [la Concertation démocratique] à ce que les mapuches retrouvent la liberté. Les lonkos Pichun et [Aniceto] Norin [détenus depuis 2003], pourraient déjà profiter de la liberté pour une question simplement administrative ; la législation nationale le permet, aucune modification n’est requise, mais s’agissant de prisonniers politiques on n’a pas voulu le faire.

Notes:

[1] Le 5 septembre, le Sénat a rejeté un projet de loi qui cherchait à accorder la liberté aux mapuches condamnés pour des délits qualifiés comme terroristes.

Noticias Aliadas (http://www.noticiasaliadas.org/), octobre 2006.

Traduction, Cathie Duval, pour le RISAL.

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