La déstabilisation de la Bolivie et « l’option Kosovo »

La sécession des provinces de l’est de la Bolivie relève d’une opération clandestine financée par les États-unis, coordonnée par le Département d’État et en lien avec le renseignement américain.
Les escadrons de la mort, munis d’armes automatiques et responsables de la mort de sympathisants d’Evo Morales à El Porvenir, sont appuyés clandestinement par les États-unis. Selon un rapport, « USAID a un « Bureau de transition » en Bolivie, par lequel des millions de dollars sont acheminés dans le but d’entraîner et d’appuyer les gouvernements et les mouvements d’opposition de droite en région. » (The Center for Economic and Policy Research, septembre 2008). Les États-unis soutiennent également divers groupes d’opposition par le biais de la fondation National Endowment for Democracy (NED).
L’ambassadeur américain expulsé de Bolivie, Philip S. Goldberg, travaillait sous les ordres du Secrétaire d’État adjoint, John Negroponte, lequel supervise entièrement les diverses « activités » des ambassades américaines à travers le monde. À cet égard, Negroponte, qui agit en coulisse, joue un rôle de loin plus important que la Secrétaire d’État Condoleeza Rice. Il est par ailleurs connu comme étant l’un des principaux architectes du changement de régime et de l’appui clandestin aux escadrons de la mort en Amérique Centrale et en Irak.
Le mandat de Philip S. Goldberg en tant qu’ambassadeur en Bolivie consistait à déclencher la fracture du pays. Avant d’être nommé ambassadeur au début de 2007, il œuvrait comme Chef de mission des États-unis à Pristina au Kosovo (2004-2006) et entretenait continuellement des rapports avec les leaders du groupe paramilitaire UCK (Armée de libération du Kosovo), qui se sont intégrés à la politique publique à la suite de l’occupation de l’OTAN au Kosovo en 1999.
Soutenue par la CIA, l’UCK, dont les leaders sont maintenant à la tête du gouvernement kosovar, était connue pour ses liens étroits avec le crime organisé et le trafic de narcotiques. Au Kosovo, Goldberg a contribué à préparer la séparation du Kosovo de la Serbie, menant à l’instauration d’un gouvernement kosovar « indépendant ».
Au cours des années 1990, Goldberg a été un acteur important dans l’éclatement de la Yougoslavie. De 1994 à 1996, il était responsable du Bureau de la Bosnie au Département d’État. Il travaillait en étroite collaboration avec l’envoyé spécial de Washington, Richard Holbrook, et a joué un rôle fondamental en tant que Secrétaire général du comité de négociations des États-unis à Dayton, négociations ayant conduit à la signature des Accords de Dayton en 1995. Ces accords étaient favorables au morcellement de la Bosnie-Herzégovine. Dans l’ensemble, ils ont provoqué la destruction et la déstabilisation de la Yougoslavie. En 1996, Goldberg a travaillé en tant qu’Assistant spécial du Secrétaire d’État adjoint Strobe Talbott (1994-200), qui, en collaboration avec la Secrétaire d’État de l’époque, Madeleine Albright, a contribué de façon décisive au déclenchement de la guerre contre la Yougoslavie en 1999.
Le rôle central de John Negroponte
Le Secrétaire d’État adjoint, John Negroponte, est un acteur déterminant dans la mise en œuvre des opérations clandestines. Il a été ambassadeur au Honduras de 1981 à 1985. En tant qu’ambassadeur à Tegucigalpa, il a joué un rôle clé dans le soutien et la supervision des mercenaires de la Contra du Nicaragua situés au Honduras. Les attaques transfrontalières de la Contra contre le Nicaragua ont causé la mort de 50 000 civils. Durant la même période, Negroponte a contribué à la mise sur pied des escadrons de la mort du Honduras, qui, « agissant avec l’appui de Washington, ont assassiné des centaines d’opposants du régime soutenu par les États-unis. » (Voir Bill Venn, Bush Nominee linked to Latin American Terrorism, Global Research, novembre 2001)
« Sous le règne du général Gustavo Alvarez Martinez, le gouvernement militaire du Honduras était, d’une part, un proche allié de l’administration Reagan, et d’autre part, faisait « disparaître » des dizaines d’opposants politiques à la manière classique des escadrons de la mort. » (Voir Peter Roff et James Chapin, Face-off : Bush’s Foreign Policy Warriors, Global Research, juillet 2001)
Cela n’a pas empêché la nomination de John Negroponte au poste de représentant permanent des États-unis à l’ONU sous l’administration Clinton.
L’option Salvador
John Negroponte est devenu ambassadeur en Irak en 2004, où il a mis sur pied « un cadre sécuritaire » pour l’occupation américaine, amplement modelé sur les escadrons de la mort de l’Amérique Centrale. Plusieurs auteurs y font référence sous l’appellation « option Salvador ».
Lorsqu’il était à Bagdad, Negroponte a engagé un ancien chef des opérations spéciales au Salvador, le Colonel Steele, comme Conseiller sur les questions de sécurité. Les deux hommes étaient de proches collègues dans les années 1980 en Amérique Centrale. Pendant que Negroponte organisait les escadrons de la mort au Honduras, le Colonel Steele était responsable du groupe militaire consultatif du Salvador (1984-1986) « où il était responsable du développement des forces d’opération spéciales au niveau de la brigade au plus fort du conflit. » :
« Ces forces, composées des plus brutaux soldats disponibles, reproduisaient le type d’opérations des petites unités avec lesquelles Steele s’était familiarisé lorsqu’il était en service au Vietnam. Plutôt que de se concentrer sur la prise de terrain, leur rôle était d’attaquer le leadership des « insurgés », de leurs sympathisants, de leurs sources de munitions, ainsi que de leurs camps de base. » (Max Fuller, For Irak, « The Salvador Option » Becomes Reality, Global Research, juin 2005)
En Irak, Steele « a été désigné pour travailler avec une nouvelle unité d’élite iraquienne de contre-insurection connue sous le nom de « commandos spéciaux de la police ». Dans ce contexte, l’objectif de Negroponte était d’encourager les divisions ethniques et la fracture conflictuelle en déclenchant des attaques terroristes clandestines contre la population civile iraquienne.
En 2005, John Negroponte a été nommé Directeur du renseignement national (Directorate of National Intelligence) et a obtenu le poste numéro deux au Département d’État en 2007.
L’option Kosovo : Haïti
Ce n’est pas la première fois que le « modèle Kosovo », le soutien aux terroristes paramilitaires, est appliqué en Amérique latine.
En février 2003, Washington annonçait la nomination de James Foley comme ambassadeur en Haïti. Les ambassadeurs Goldberg et Foley font partie de la même « écurie diplomatique ». Foley a été porte-parole du Département d’État sous l’administration Clinton, pendant la guerre au Kosovo. Auparavant, il a contribué à orienter le soutien vers l’UCK.
Le financement de l’UCK (Armée de libération du Kosovo), par l’argent de la drogue et son soutien par la CIA sont amplement documentés. (Voir Michel Chossudovsky, Kosovo Freedom Fighters by Organized Crime, Covert Action Quarterly, 1999.)
À l’époque de la guerre du Kosovo, James Foley, alors ambassadeur en Haïti, était responsable des séances d’information du Département d’État et collaborait étroitement avec son homologue de l’OTAN à Bruxelles, James Shea. À peine deux mois avant l’assaut mené par l’OTAN le 24 mars 1999, James Foley appelait à une « transformation » de l’UCK en une organisation politique responsable :
« Nous voulons développer une bonne relation avec eux [l’ALK] pendant qu’il se convertissent en une organisation engagée politiquement, ‘’ […N]ous croyons pouvoir leur fournir beaucoup d’aide et de conseils s’ils deviennent précisément le type d’acteur politique que nous souhaitons qu’ils deviennent […].’’ Si nous pouvons les aider et s’ils veulent qu’on les aide dans leur effort de transformation, je crois qu’il n’y pas lieu de discuter […]. »
En d’autres termes, le motif de Washington était un « changement de régime » : faire basculer l’administration Lavalas et instaurer un régime fantoche américain docile, intégré par la « plateforme démocratique » et l’autoproclamé Front pour la libération et la reconstruction nationale (FLRN), dont les dirigeants sont d’anciens membres du Front pour l’avancement et le progrès en Haïti (FRAPH) et d’anciens terroristes tontons macoutes. (Pour plus de détails, voir Michel Chossudovsky, The Destabalization of Haiti, Global Research, février 2004)
À la suite du coup d’État de 2004, ayant mené à la chute du gouvernement Aristide, l’Agence pour le développement international des États-unis (USAID) a amené les conseillers de l’ALK en Haïti afin d’aider à la reconstruction du pays. (Voir Anthony Fenton, Kosovo Liberation Army helps establish ‘’Protectorate’’ in Haiti, Global Research, novembre 2004)
Les conseillers de l’UCK devaient spécifiquement aider à restructurer les forces policières haïtiennes, en amenant dans leurs rangs d’anciens membres de la FRAPH et d’anciens tontons macoutes.
« [En appui du] « Bureau de transition » (OTI) […] l’USAID paye trois conseillers pour aider à intégrer l’armée autrefois brutale au sein de l’actuelle force policière haïtienne. Et qui sont ces trois conseillers? Ceux-ci sont membres de l’Armée de libération du Kosovo. » (Flashpoints interview, 19 novembre 2004, www.flashpoints.net)
Le « Bureau de transition » de l’USAID
L’option Salvador/Kosovo relève d’une stratégie américaine consistant à fracturer et déstabiliser les pays. L’OTI financé par l’USAID en Bolivie assume sensiblement les mêmes fonctions qu’un OTI similaire en Haïti.
Il est aussi important de noter qu’il existait un OTI au Venezuela, où l’on a découvert, selon certaines publications, un complot visant apparemment à assassiner le président Hugo Chavez. Dans son récent livre, Bush Versus Chavez : Washington’s War on Venezuela (Bush contre Chavez : la guerre de Washington contre le Venezuela), Eva Golinger aborde le rôle de l’OTI au Venezuela.
Le but affiché des opérations clandestines des États-unis est de soutenir et d’entraîner les « armées de libération » visant ultimement à déstabiliser des gouvernements souverains. Au Kosovo, l’entraînement de l’UCK (Armée de libération du Kosovo), dans les années 1990 a été confié à une compagnie privée de mercenaires, Military Professional Resources Inc (MPRI), en contrat avec le Pentagone.
Le Pakistan et « l’option Kosovo »
Il est par ailleurs important de mentionner que les récents développements au Pakistan tendent vers des formes d’intervention directes de l’armée américaine, en violation de la souveraineté pakistanaise.
Déjà en 2005, un rapport du Conseil national du renseignement des États-unis (National Intelligence Council) et de la CIA prévoyait « dans une décennie, [un] destin à la yougoslave pour le Pakistan, un pays déchiré par la guerre civile, des bains de sang et des rivalités interprovinciales, tel que vu récemment au Baloutchistan » (Eneergy Compass, 2 mars 2005).
Selon un rapport du Comité sénatorial sur la Défense du Pakistan de 2006, le renseignement britannique était impliqué dans le soutien du mouvement séparatiste du Baloutchistan. (Press Truth of India, 9 août 2006). L’Armée de libération du Baloutchistan (ALB), ressemble étrangement à l’Armée de libération du Kosovo, financée par le trafic de drogue et soutenue par la CIA.
« Washington favorise la création d’un « grand Baloutchistan » [semblable à une grande Albanie] qui intégrerait les régions baloutches du Pakistan à celles de l’Iran et possiblement à la partie sud de l’Afghanistan, conduisant de la sorte à un processus de rupture politique à la fois au Pakistan et en Iran. » (Michel Chossudovsky, The Destabalization of Pakistan, 30 décembre 2007)
Article original en anglais, The destabilization of Bolivia and the « Kosovo option», publié le 20 septembre 2008.
Traduction Julie Lévesque pour Mondialisation.ca
Michel Chossudovsky est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur d’économie à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de Guerre et mondialisation, La vérité derrière le 11 septembre et de la Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial (best-seller international publié en 11 langues).