La danse du sabre de Trump déclenche la guerre des Wahhabites
Le Président US Donald Trump n’a pas pu prévoir les effets secondaires de portée stratégique, issus de sa danse du sabre triomphale lors de son passage à Riyad.
À moins que…?
Le fait est que la Maison des Saoud a pété un câble, s’en prenant tout d’un coup au Qatar et bombardant de l’intérieur ce glorieux projet d’OTAN arabe – appelez-le OTAN-CCG [CCG = Conseil de Coopération du Golfe, NdT] – proclamé avec fanfare autour d’un orbe luminescent.
Un Trump tout excité s’est fendu de trois Tweets pour encenser Riyad dans sa poursuite de Doha.
Trump et l’OTAN-CCG ont mis sur un pied d’égalité Daech et l’Iran comme « terroristes ». La Maison de Saoud en a rajouté une couche – et a dénoncé le Qatar d’être le premier financier du terrorisme, ce qui équivaut à Don Corleone balançant des invectives mafieuses à Tony Soprano.
C’est alors que, dans un retournement inattendu, Da’esh a exposé la stupidité sidérale de toute cette parodie, de façon pratique et graphique – en mettant en scène, ou en tout cas en affirmant de l’avoir fait, une attaque terroriste contre le Majlis iranien (Parlement), ainsi que la sépulture de l’Imam Khomeini, à Téhéran.
L’Émir actuel du Qatar, Tamim bin Hamad al-Thani, désormais « coupable » de n’avoir pas imputé à l’Iran la racine de tous les maux qui affligent la péninsule arabique, pourrait même être en train de suivre les traces de son propre père Hamad, qui a inventé le Qatar moderne et a abdiqué – sous la pression saoudienne – au profit de son fils en 2013.
Il ne nous faut pas oublier que Bandar bin Sultan, alias Bandar Bush, l’ex-notoire rassembleur/armateur des « djihadistes » et « libérateur de la Syrie » frustré, avait fameusement décrit le Qatar dans le passé comme « 300 personnes et une station TV ».
Alors, que se passe-t-il vraiment dans ce marécage de pétrodollars nauséabond?
La connexion Israël-Émirats Arabes Unis
Prenons les raccourcis qui s’imposent, en affirmant que cette autophagie malsaine depuis l’intérieur du CCG n’a rien à voir avec la Guerre Globale contre la Terreur [GWOT, Global War on Terror, NdT].
Au milieu d’un feu croisé de désinformation massive, une piste de preuves remonte à une stratégie concertée, élaborée par le lobby israélien (par le biais de la Foundation for the Defence of Democracies [Fondation pour la Défense des Démocraties, NdT], fondée, entre autres, par l’infâme magouilleur des casinos Sheldon Adelson, qui est aussi très proche de Benyamin Netanyahou); des éléments US néocons/sionards/néolibéraux; et l’ambassadeur des EAU à Washington, Yousef al-Otaiba.
Des courriels ayant fuité révèlent comment Otaiba – largement idolâtré dans le Beltway [quartier gouvernemental de Washington, D.C., NdT] et la Foundation for the Defence of Democracies néoconservatrice ont discuté des façons d’enseigner une leçon au Qatar à cause de son soutien pour le Hamas, ainsi que pour des politiques globalement non-agressives envers l’Iran. Il se trouve qu’Otaiba est aussi un proche de Jared Kushner – ce qui donnerait un sens à la réaction de Trump au blitzkrieg anti-qatari.
Au contraire du Qatar, la Maison de Saoud et les EAU ne sont qu’à une enjambée de l’établissement de relations diplomatiques avec Israël – la condition sine qua non imposée par Washington pour insérer Israël dans un OTAN arabe anti-iranien, orienté depuis Riyad.
Une échauffourée antérieure qui remonte à 2014 permet de mieux installer le décor. Des agents locaux du renseignement confirment qu’à l’époque, il y a eu des manœuvres militaires émiraties non loin des frontières qataries; en l’occurrence, Paris et Londres – par exemple – étaient parfaitement au courant.
Mais la Maison de Saoud alors au pouvoir était commandée par le défunt Roi Abdullah, qui cherchait plutôt l’apaisement. Le Coupeur-de-Tête-en-Chef est désormais le Prince Guerrier Mohamed bin Salman, alias MBS, un connard arrogant qui perd d’ores et déjà misérablement une guerre au Yémen – conduite aux frais de milliards de dollars en armes étasuniennes et britanniques – qui a déclenché une affreuse crise humanitaire au sein de la nation la plus pauvre de la région. C’est MBS qui a ordonné la diabolisation saoudienne du Qatar.
Sortez-moi du train de l’horreur
Prosaïquement, l’alarme « terroriste » saoudienne à propos du Qatar s’applique surtout à l’accusation de soutien qatari en faveur des mouvements de protestation chiites de l’est saoudien. C’est absurde; Doha n’y a rien à voir.
Ensuite, il y a l’accusation du soutien du Qatar envers les Islamistes. C’est exactement ce que font de nombreux donateurs saoudiens – dont beaucoup sont connectés au régime monarchique.
Doha soutient effectivement, et pas qu’un peu, les Frères Musulmans – qui sont plutôt éloignés d’al-Qaeda et/ou de Da’esh, et sont honnis d’une rancœur inassouvie par Riyad et sa marionnette al-Sisi du Caire, qui ne subsiste que par le biais de distributions saoudiennes. Des donateurs qataris ont de fait soutenu al-Qaeda en Syrie (avec jusqu’à $3 milliards), alias Jabhat al-Nosra, étiquetés par de larges secteurs néocons/néolibéraux comme des « rebelles modérés ».
Pendant ce temps-là, les Saoudiens ont soutenu leurs propres « djihadistes » en Syrie – et ailleurs. WikiLeaks a prouvé sans équivoque comment des « donateurs en Arabie Saoudite constituent la source la plus significative de financement pour les groupes terroristes à travers les monde ».
Au-delà de thèmes tribaux complexes traitant de rivalités, le facteur religieux crucial est que le Qatar – au contraire de l’Arabie Saoudite – tolère les non-Salafistes, ou les Salafistes « révolutionnaires » comme les Frères Musulmans, et ne tente pas d’exporter sa version du Wahhabisme à travers le monde. À toutes fins utiles, les imams radicaux saoudiens prennent les Qataris pour des hérétiques. Comme s’ils étaient presque aussi vils que les Chiites « apostats ».
En pratique, le schisme s’est traduit en une guerre par procuration en Libye par exemple. Doha soutient les milices islamistes de Misratah ainsi que ceux qui sont fidèles au « Mufti du Qatar », Sadiq al-Ghariani. Les Émirats et l’Égypte appuient le Général Khalifa Haftar, chef de l’autoproclamée Armée Nationale Libyenne (ANL).
Tout ça pour du gaz…!
Les agents saoudiens de désinformation répandent à l’envi que « la Turquie et le Qatar sont les deux derniers états tenus par les Frères Musulmans. Selon toute probabilité le Qatar connaîtra un changement de régime et cessera d’être le financier de toutes sortes de chaos dans la région pour le compte des Britanniques, et cela inclut aussi les actions en coulisses avec Téhéran. »
Totales inepties dilatoires. La réalité toute simple est que la Maison de Saoud est absolument désespérée. Le prix du pétrole reste bas, autour de $50 le baril. L’énorme OPA saoudienne sur Aramco n’est distante que de douze mois. La Maison de Saoud a besoin de faire bouger les marchés vers un prix plus élevé du pétrole par tous les moyens disponibles – y compris par des ultimatums et des menaces de guerre.
Une source de renseignements US non-idéologique va plus loin, soulignant comment « la Turquie, l’Iran et la Russie se rapprochent. La question demeure concernant qui va contrôler les États du Golfe et le prix du pétrole – qui était jusque-là manipulé pour détruire la Russie. L’accord entre l’Arabie Saoudite et la Russie n’est qu’une légère amélioration. »
Donc, pas étonnant que la confusion demeure la norme – avec des récits éloignant l’attention de la Maison des Saoud pour la placer sur l’Iran, et désormais aussi sur le Qatar.
Et ensuite il y a l’angle essentiel du Pipelineistan, mêlé au fait que le Qatar, en tant que turbine à gaz naturel, agace au plus haut point les producteurs de l’OPEP saoudiens et émiratis.
Le Qatar est le plus grand exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL). C’est ce qui lui a permis d’élaborer une politique étrangère complètement indépendante de la Maison de Saoud. Ajoutez-y le fait que la fabuleuse richesse du Qatar en gaz naturel provient de l’immense champ offshore de North Field, partagé avec l’Iran (qui contrôle ce qu’il appelle South Pars).
Il y a eu des spéculations, évidemment sans confirmation de la part de Téhéran ou de Doha, selon lesquelles l’Iran et le Qatar aient pu trouver un accord sur le partage des droits d’un gazoduc partant de North Field/South Pars vers la Méditerranée orientale en Syrie, à condition que Doha cesse d’alimenter al-Nosra.
Si cela devait se produire, cela signifierait la fin spectaculaire de l’un des principaux motifs à la tragédie syrienne. L’administration Obama avait totalement approuvé un gazoduc depuis le Qatar vers la Turquie – via l’Arabie Saoudite et la Syrie – comme moyen d’essayer de saper Gazprom. Il a fallu de nombreux cadavres et d’horribles destructions pour que Doha se rende compte que Moscou ne le permettrait jamais.
Par conséquent, le pivot stratégique du Qatar vers la Russie – matérialisé, par exemple, via le fonds souverain du Qatar investissant $2,7 milliards auprès de Rosneft. À moyen terme, cela pourrait définir un Qatar beaucoup plus amène envers le lien Russie-Iran-Syrie. Considérant que le Qatar héberge le CENTCOM et Al-‘Udayd, la plus grande base aérienne US au Moyen-Orient, ça n’enchante certainement pas non plus le Pentagone.
En ce qui concerne la partie jouée par les USA, il faut être indécrottablement naïf pour croire que Washington n’a pas donné le feu vert à son satrape saoudien pour s’en prendre à Doha.
Ajoutez-y le fait que le Qatar ouvre le premier centre de négoce en Yuan de tout le Moyen-Orient; c’est une chose qui n’a vraiment pas plus aux Maîtres financiers de l’Univers. Parallèlement, le contrat d’armement de $100 milliards tellement encensé et conclu par Trump a pu être conçu de façon à ce qu’en échange, la Maison de Saoud retarde aussi longtemps que possible les paiements chinois pour le pétrole en Yuan, ce qui outrepasserait le pétrodollar.
Tisser des théories de la conspiration est une occupation oisive. « T. Rex » Tillerson connaît assez bien la direction qatarie, remontant à son temps chez ExxonMobil. Tout comme « Chien Fou » Mattis, l’ancien patron de CENTCOM. Observez-les; leurs actions à suivre dans ce domaine révèleront au moins quelques couches du jeu d’ombres actuel – et si toute la parodie possède ou non beaucoup plus de force que la désespérance saoudienne.
Article original en anglais : US President Donald Trump could not possibly have predicted the game-changing after-effects of his triumphal sword dance in Riyadh. Sputnik News, 7 juin 2017.
Traduit par Lawrence Desforges. Global Relay Network.
Photo AP/Evan Vucci