La déclaration de guerre économique et financière de l’UE contre la Russie pourrait générer des retours de flamme

Ce qui se passe en Ukraine a de très graves implications géopolitiques. Cela pourrait nous conduire à un scénario de troisième guerre mondiale.

Il est important qu’un processus de paix soit engagé afin d’éviter une escalade.

Mondialisation.ca n’est pas en faveur de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Un accord de paix bilatéral est nécessaire.

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Cela devrait terrifier les pays qui résistent au resserrement pratiqué par les États-Unis de leur hégémonie unipolaire en déclin, mais cela pourrait également générer des retours de flamme si ces pays coopèrent davantage pour accélérer la transition systémique globale en cours vers la multipolarité, pourvu que leurs dirigeants continuent de résister aux pressions étasuniennes.

Il ne devrait plus rester la moindre illusion quant à l’utilisation comme arme par l’Occident, États-Unis en tête, des instruments économiques et financiers, après que le ministre français des finances a déclaré que l’UE va lancer une « guerre économique et financière totale » contre la Russie. Voilà qui devrait terrifier le monde : cela signifie que les pays relativement plus faibles que les Grandes Puissances d’Eurasie se trouveront également pointés du doigt au fil du temps. Ils seront pris pour cible, comme la Russie, s’ils osent défier les demandes hégémoniques de l’Occident, États-Unis en tête.

Le président Poutine a annoncé l’opération spéciale de son pays en Ukraine la semaine dernière, sous prétexte immédiat de protéger les populations russes des républiques du Donbass, reconnues quelques jours auparavant par Moscou, mais son grand objectif stratégique est de protéger les lignes rouges de sécurité nationale de la Russie, franchies par l’OTAN dans ce pays. S’il n’avait pas agi ainsi, les capacités de seconde frappe nucléaire de la Russie auraient fini par s’en trouver neutralisées, et ce pays se serait trouvé vulnérable face à une attaque conventionnelle menée par l’OTAN.

La Russie n’est pas le seul pays à être menacé par l’Occident : la Chine et l’Iran figurent également parmi les cibles de choix. Mais ces pays ont longtemps été considérés comme défiant l’hégémonie étasunienne en déclin, si bien que de nombreux observateurs ont été surpris lorsque l’Éthiopie s’est retrouvée elle aussi pointée du doigt par l’Occident. Ce pays, jadis un pilier allié de l’Occident, s’est fait punir du fait de l’équilibrage pragmatique réalisé par son gouvernement entre les superpuissances étasunienne et chinoise.

La tentative menée par les États-Unis de ré-imposer leur hégémonie unipolaire en déclin sur tous les autres pays indique que l’Éthiopie ne sera par le dernier pays du Grand Sud sur la liste des cibles, pas plus qu’elle ne sera le dernier ancien allié étasunien à y figurer. Tout pays résistant aux tentatives menées par Washington de diviser le monde en deux blocs : l’un « autoritaire dirigé par la Chine » et l’autre « démocratique, États-Unis en tête », en fera les frais au travers de Guerres Hybrides multidimensionnelles lancées contre lui, surtout des guerres économiques, financières, et relevant de la sphère d’information.

L’UE s’est déjà complètement alignée sur son parrain étasunien au sujet de la Russie, ce qui induit qu’elle pourrait prochainement en faire autant vis-à-vis de la Chine si les États-Unis le demandent. Les États du Golfe qui se sont récemment fortement rapprochés des deux Grandes Puissances eurasiatiques pourraient également figurer vers le haut de la liste des cibles de l’Occident, États-Unis en tête, même si le levier important qu’ils exercent sur le marché global de l’énergie pourrait faire réfléchir Washington à deux fois avant de trop les provoquer.

L’ASEAN va devoir jouer les équilibristes entre les États-Unis et la Chine dans le proche avenir, car elle ne peut pas se permettre de couper les liens avec la République Populaire, avec laquelle ses membres pratiquent beaucoup d’échanges commerciaux. Le bloc d’Asie du Sud-Est fait également partie du Partenariat économique régional global, avec la Chine et d’autres pays, si bien qu’il reste à voir les effets que les pressions étasuniennes pourront produire sur cette plateforme. Si ces pays ne se soumettent pas aux États-Unis, ils pourraient à tout le moins se retrouver ciblés à tout le moins par des guerres de l’information.

L’Afrique toute entière a déjà vu ce qui est arrivé à l’Éthiopie, si bien que certains pays plus faibles, resté dans un mode de relation néo-colonial avec l’Occident, n’oseront évidemment pas défier leurs parrains, mais ceux qui ont davantage confiance pour œuvrer à leur autonomie stratégique pourrait faire le pari qu’il est préférable pour eux de prendre le risque de dupliquer la décision d’équilibrage prise par Addis Abeba, dans la poursuite de leurs intérêts nationaux. Après tout, l’Éthiopie a posé un exemple éclatant du fait que les pays d’Afrique peuvent résister à ces pressions de guerre hybride menées par l’Occident, États-Unis en tête.

La neutralité adoptée par principe par l’Inde et le Brésil, au cœur des tensions de l’OTAN, pourrait également faire en sorte que ces deux Grandes Puissances multipolaires, ainsi que leurs camarades des BRICS, figureront parmi les prochaines cibles des campagnes de pression menées par l’Occident, États-Unis en tête. C’est un processus qui avait déjà commencé, les médias étasuniens se montrant extrêmement critiques sur les sujets intérieurs à ces pays, que leurs gouvernements considèrent comme des sujets strictement intérieurs, et que les étrangers ne devraient même pas être amenés à commenter.

Casser l’alliance des BRICS a toujours figuré parmi les priorités de la grande stratégie étasunienne, et cette alliance est devenue en grande partie moribonde au cours des années récentes, mais a donné des signes de reprise l’an passé, si bien que ces scénarios sont réalistes. Les conséquences de leur réussite, qui paraît plus probable au Brésil qu’en Inde, pourraient être profondes, et c’est pour cela qu’il est important que ces pays tiennent la barre fermement face à ces pressions.

Il ne s’agit pas d’affirmer que Bolsonaro est le meilleur dirigeant que le Brésil ait eu à connaître, mais simplement de signaler que les décideurs qui sont derrière lui, qui sont les principaux responsables de la neutralité de principe adoptée par leur pays dans ces circonstances, doivent s’assurer qu’ils ne seront pas remplacés si le président se fait destituer par des moyens démocratiques (quoique probablement soutenus indirectement par les États-Unis) à l’issue des prochaines élections. Le scénario optimal serait de voir Lula, ou quiconque deviendra président du Brésil, garder ces experts avec lui à tout prix.

Mais pour en revenir au sujet principal de la présente analyse, la déclaration de guerre économique et financière totale lancée par l’UE à la Russie est également une déclaration de guerre contre le monde entier. Elle devrait terrifier les pays qui résistent au resserrement par les États-Unis de leur hégémonie unipolaire en déclin, mais pourrait également provoquer des retours de flamme si ces pays coopèrent davantage entre eux pour accélérer la transition systémique globale vers la multipolarité, pourvu que leurs dirigeants continuent de tenir bon face aux pressions étasuniennes.

Andrew Korybko

 

Article original en anglais : The EU’s Declaration Of Economic & Financial War Against Russia Might Backfire,

Traduit par José Martí pour le Saker Francophone

 

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.



Articles Par : Andrew Korybko

A propos :

Andrew Korybko est le commentateur politique étasunien qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime(2015).

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