La démocratie en Occident vacille

Aux États-Unis, en Italie, en Hongrie, aux Pays-Bas et bientôt en Autriche aussi, des gouvernements d’extrême droite sont au pouvoir. En Allemagne et en France, le gouvernement est tombé, et en Corée du Sud, il y a eu un coup d’État et le président a été arrêté. De nombreux pays occidentaux font face à une profonde instabilité politique. Quelles en sont les causes et quelle pourrait être une issue possible ?
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Surtout les pays du G7, le club des grandes nations industrialisées, sont confrontés à de nombreux problèmes politiques internes.
En France, le gouvernement est tombé en décembre 2024 parce qu’il n’a pas réussi à faire adopter un budget. Bien qu’un nouveau Premier ministre ait été nommé, les problèmes persistent et certains spéculent que le président Emmanuel Macron démissionnera avant la fin de son mandat en 2027.
Le gouvernement allemand a manqué de leadership au cours de la dernière année. En décembre, la coalition « feu tricolore » d’Olaf Scholz s’est finalement effondrée, et le pays se prépare à de nouvelles élections.
Au Japon, le Parti libéral-démocrate japonais a perdu pour la première fois depuis 2009 sa majorité, ce qui conduira probablement à de nouvelles élections.
Au Canada, le leadership de presque dix ans de Justin Trudeau vient de prendre fin. Sa popularité a chuté de façon spectaculaire et il était sous forte pression pour démissionner.
Au Royaume-Uni, le Premier ministre social-démocrate Keir Starmer a remporté une énorme victoire électorale, mais après seulement cinq mois en fonction, il est déjà moins populaire que tout autre Premier ministre britannique des quarante dernières années.
Aux États-Unis, on peut s’attendre à tout avec un cabinet rempli de faucons, de personnages excentriques, de milliardaires activistes et dirigé par un président autoritaire et impulsif. Avec l’assaut du Capitole, le pays s’est retrouvé il y a quatre ans à un cheveu d’une crise politique très grave. Ses déclarations sur le Groenland, le canal de Panama et le Canada ainsi que son discours d’investiture ne présagent rien de bon.
Le seul pays qui semble stable est l’Italie. Giorgia Meloni, leader d’extrême droite, bénéficie (pour le moment) d’un certain soutien des électeurs.
Même en dehors du G7, la démocratie vacille. La Corée du Sud a connu un coup d’État manqué en décembre 2024. Aujourd’hui, le pays est en pleine impasse politique, avec des tentatives d’arrestation de l’ancien président destitué.
En Autriche, après l’échec des négociations, un dirigeant d’extrême droite a été chargé de former un gouvernement. La Belgique, elle aussi, peine à former un gouvernement stable.
Aux Pays-Bas, un cabinet d’experts a été constitué après de longues négociations, mais la coopération est particulièrement difficile et la cohésion reste fragile. En novembre 2024, le gouvernement a failli tomber à cause de déclarations racistes dans le conseil des ministres.
En Roumanie, les élections présidentielles ont été invalidées en raison de supposées ingérences étrangères et d’irrégularités dans le financement de la campagne. Mais ces allégations sont infondées.
Dans de nombreux pays, les gouvernements semblent soit fragiles, soit en place pour une durée limitée. Non seulement ces gouvernements peinent à gouverner leurs propres pays, mais ils ont également de plus en plus de mal à assumer leur rôle international.
Causes
Cette instabilité a plusieurs causes. Dans des pays comme le Japon, les scandales de corruption jouent un rôle important, tandis que des dirigeants comme Macron et Trudeau ont perdu de leur éclat après des années au pouvoir. Ce sont certainement des facteurs qui entrent en ligne de compte, mais ils n’expliquent pas la crise plus profonde.
Le fait que tant de pays traversent en ce moment des turbulences politiques montre qu’il existe des tendances plus larges qui posent problème partout. Dans presque tous les pays, on observe un ralentissement de la croissance, une pression fiscale croissante, le vieillissement de la population, l’effondrement du centre politique et la montée de l’extrême droite.
Partout, les budgets sont sous forte pression. Les aides et stimulants offerts par les gouvernements pendant la pandémie, puis lors de la crise énergétique en Europe (due aux sanctions contre la Russie), ont fortement augmenté le niveau d’endettement. À cela s’ajoute une croissance économique lente, des dépenses sociales en hausse en raison du vieillissement de la population et des dépenses de défense fortement accrues en raison de la fièvre guerrière.
Augmenter davantage les dettes n’est pas une option immédiate. Quelle est alors la solution ? Comme il n’y a pas de volonté de rechercher les fonds nécessaires auprès des grandes fortunes pour combler les déficits budgétaires, on essaie de faire supporter la facture, comme après la crise financière de 2008, par la population active.
Mais cela a un coût politique. En raison de leurs politiques antisociales, les partis centristes perdent beaucoup de leur soutien et finissent par être sanctionnés électoralement.
Au Royaume-Uni, par exemple, les hausses d’impôts destinées à rétablir les finances publiques ont entraîné une forte baisse de la popularité du gouvernement de Starmer. En France, le gouvernement est tombé précisément à cause du financement du déficit budgétaire. En Belgique, les négociations gouvernementales sont difficiles pour cette même raison, et en Autriche, elles ont échoué pour des raisons similaires.
Il faut également considérer le facteur migratoire. En raison du vieillissement de la population, de nombreux secteurs en pénurie ne trouvent plus de candidats aujourd’hui, et le besoin de migration de travail est de plus en plus pressant. L’Allemagne, par exemple, a besoin de 400 000 immigrants qualifiés par an, car sa population active vieillissante diminue. Dans les autres pays, la situation est à peine différente.
La migration est donc une nécessité. Mais combiner des politiques d’austérité avec une immigration de travail constitue une recette parfaite pour alimenter la xénophobie, ce qui, à son tour, crée un terreau extrêmement fertile pour l’extrême droite.
Quarante-cinq ans de politiques néolibérales ont généré des pénuries dans les services sociaux et les ressources. Cela alimente une concurrence perverse entre les personnes qui en dépendent. Cela suscite une question erronée mais compréhensible : qui a droit ou non à ces ressources ? « L’autre » ou « l’étranger » est alors rapidement perçu comme une menace pour le bien-être propre.
Le démantèlement de l’État-providence conduit donc presque inévitablement à un protectionnisme social et à un chauvinisme du bien-être. Cela sème la division et oppose les gens les uns aux autres. C’est un terrain idéal pour le slogan « Les nôtres d’abord ».
Les tendances décrites ci-dessus expliquent pourquoi l’extrême droite a le vent en poupe. Et ce vent est encore renforcé par les partis traditionnels. Stimulés par le succès de l’extrême droite, ces derniers se déplacent toujours plus à droite. Au lieu de s’attaquer aux causes socio-économiques des problèmes et de contrer le climat toxique, ils reprennent une grande partie de la rhétorique et des propositions de l’extrême droite.
Ils agissent ainsi dans l’espoir de capter des voix de l’extrême droite. Mais en agissant ainsi, ils normalisent l’extrême droite et ne font que la renforcer. Lorsque cela compte, les électeurs préfèrent l’original à la copie. C’est ainsi qu’une spirale droitière s’installe et que l’extrême droite élargit progressivement son électorat.
Offensive
Avec la victoire de Trump aux États-Unis, de Meloni en Italie, d’Orban en Hongrie, de Wilders aux Pays-Bas et les bons résultats de Le Pen en France, de l’AfD en Allemagne et du Vlaams Belang en Belgique, l’extrême droite se sent plus forte et plus confiante que jamais. Ils ne sont plus des parias et passent à l’offensive.
Le porte-drapeau de cette offensive est Elon Musk. Ce milliardaire s’adonne à l’influence des élections et au soutien à l’extrême droite chaque fois qu’il en a l’occasion.
Lors de l’élection présidentielle au Venezuela en juillet 2024, Musk a été particulièrement actif. Via sa plateforme X, il a diffusé de fausses informations pour soutenir le candidat d’extrême droite. Lorsque Maduro a été déclaré vainqueur, il a accusé le gouvernement vénézuélien de « fraude électorale massive ».
C’est également Musk qui, en 2019, a soutenu ouvertement le coup d’État d’extrême droite contre le président démocratiquement élu de la Bolivie, Evo Morales. Plus tard, il a écrit sur X : « Nous allons renverser qui nous voulons! Vous n’y pouvez rien.»
Au Royaume-Uni, il a encouragé cet été les émeutiers d’extrême droite et soutenu ouvertement le parti d’extrême droite Reform. Sur X, il s’est demandé si « l’Amérique devrait libérer le peuple britannique de son gouvernement tyrannique ».
Dans toute l’Europe, Musk a fait les gros titres en publiant sur X : « Seule l’AfD peut sauver l’Allemagne. »
Trump joue également son rôle. Il s’est ainsi efforcé de rabaisser Trudeau en qualifiant le Canada de 51e État américain et le Premier ministre de « gouverneur ».
Dans le monde politique et les médias grand public, il y a eu beaucoup de bruit autour de l’ingérence russe dans les élections, comme récemment lors des élections présidentielles en Roumanie. Pour autant qu’elle existe, cette ingérence est en tout cas insignifiante par rapport à ce que Musk montre aujourd’hui.
Issue
Les partis traditionnels de droite assistent impuissants face à Trump et Musk, qui tissent des liens avec les partis d’extrême droite dans leurs pays respectifs. La politique traditionnelle semble avoir peu de réponses à offrir face à la crise politique actuelle, tandis que des figures comme Trump et Musk jettent de l’huile sur le feu.
Pour inverser la tendance, deux actions principales sont nécessaires.
Premièrement, les partis traditionnels doivent retrouver leur propre identité. Sur la base de leurs principes et valeurs originels, ils doivent promouvoir une vision de la société, plutôt que de copier des éléments de l’idéologie d’extrême droite.
Deuxièmement, ils doivent rompre avec les politiques antisociales des 45 dernières années. Au lieu de démanteler davantage l’État-providence, ils doivent conclure un nouveau contrat social. Concrètement, cela signifie qu’il faut investir dans le logement, l’éducation et les services sociaux.
Ces éléments sont des facteurs cruciaux pour rétablir la confiance fondamentale dans la politique, promouvoir l’intégration sociale et prévenir les tensions croissantes au sein de la société.
Un tel contrat social implique de mettre définitivement de côté le dogme néolibéral de l’austérité. Ce contrat est également incompatible avec les plans ambitieux d’augmentation des budgets de la défense. Les chiffres qui circulent sont hallucinants. Plus de chars signifient moins de pensions, plus de chasseurs-bombardiers signifient moins de financement pour l’éducation, la santé ou d’autres services publics.
Actuellement, nous constatons que les politiciens ne parviennent pas à inverser la situation. Ils ne font qu’aggraver les choses. Pour parvenir à un nouveau contrat social et empêcher les partis traditionnels de céder à la tentation de l’extrême droite, une pression sera nécessaire depuis la société civile, avec un rôle crucial pour les syndicats.
Plus que jamais, la société civile est essentielle pour préserver la démocratie.
Marc Vandepitte
Image en vedette : Capture d’écran. Source : Alternatives économiques. Dessin © Sergio Aquindo
Sources :
– The world’s leading democracies are struggling to govern
– Der Westen wackelt