La destitution de la présidente Dilma Roussef: «Un coup d’état» selon l’ex-ministre du gouvernement brésilien Jacques Wagner

La vague des mouvements progressistes qui a déferlé dans l’ensemble latino-américain depuis le début du siècle en apportant liberté et démocratie pour le bénéfice premier des peuples, un processus développé avec l’ALBA sous le leadership de plusieurs chefs d’État et, en particulier, Fidel Castro à Cuba, Hugo Chavez Frias au Venezuela, Evo Morales en Bolivie et Rafael Correa en Équateur, a ébranlé les assises de l’ordre impérial dicté par les grandes puissances et, tout spécialement, par les États-Unis. Pour arrêter cette vague ceux-ci se sont évertués depuis à utiliser toutes sortes de stratagèmes et de subterfuges afin de confiner et de neutraliser les efforts de ces visionnaires et de ces leaders. L’impérialisme ne peut supporter des gouvernements nationaux qui veillent au bien-être de leurs peuples. Celui-ci veut dominer et tout contrôler en fonction de ses intérêts.
Les États-Unis n’ont jamais cessé de dominer la scène politique et économique en Amérique latine. Depuis près de deux siècles ils veillent au maintien de leurs intérêts selon les préceptes de la doctrine Monroe. Ces intérêts doivent être sauvegardés en tout temps. Pour ce faire Ils ont, dans le temps, fait appel, pour le sous-continent, aux formes de gouvernance propres à assurer leur mainmise sur l’ensemble et tout spécialement au régime des dictatures comme ce fut le cas au Brésil, en Uruguay, au Chili et en Argentine au cours de la dernière partie du XXème siècle. Pour exercer leur suprématie sur toutes les composantes de la politique et de l’économie ils sont intervenus fréquemment en fomentant des coups d’État propres à renverser des gouvernements démocratiques tels que celui du Chili en 1973, celui du Honduras en juin 2009 et celui du Brésil auquel nous assistons en mai 2016, en faisant disparaître des chefs d’État, en appuyant financièrement les forces de l’opposition aux pouvoirs hostiles à Washington comme c’est le cas présentement au Venezuela ou en procédant à une invasion armée.
Les États-Unis ont envahi et occupé environ 70 pays depuis leur Déclaration d’Indépendance, dont environ cinquante depuis 1945. Ils ont envahi et occupé 17 pays latino-américains à partir de 1836.
Il importe de le rappeler. Les forces armées des États-Unis sont intervenues directement dans plusieurs pays afin d’assurer « l’ordre et la stabilité ». Quand leur suprématie a été réellement remise en question les États-Unis ont tout simplement procédé à une invasion et c’est ce qu’ils ont fait dans 17 pays latino-américains depuis leur indépendance et, dans plusieurs cas, à de multiples occasions (tableau 1). Aujourd’hui, la IVème Flotte veille dans les eaux entourant l’Amérique du Sud.
Tableau 1. Liste des pays de l’Amérique latine envahis par les États-Unis depuis 1836
– Mexique 1836-1846, 1913, 1914-1918, 1923
– Nicaragua : 1856-1857, 1894, 1896, 1898, 1899, 1907, 1910, 1912-1933, 1981-1990
– Argentine : 1890
– Chili : 1891, 1973
– Haïti : 1891, 1914-1934, 1994, 2004-2005
– Panama : 1895, 1901-1914, 1908, 1912, 1918-1920, 1925, 1958, 1964, 1989
– Cuba : 1808-1902, 1906-1909, 1912, 1917-1933, 1061, 1962
– Porto Rico : 1898, 1950
– Honduras : 1903, 1907, 1911, 1912, 1919, 1924-1925, 1983-1989
– République dominicaine : 1903-1904, 1914, 1916-1924, 1965-1966
– Guatemala : 1920, 1954, 1966-1967
– El Salvador 1932, 1981-1992
– Uruguay : 1947
– Grenade : 1983-1984
– Bolivie : 1986
– Iles Vierges : 1989
– Colombie : 2002
Les événements qui ont marqué le devenir des nations latino-américaines au cours des dernières années laissent présager un avenir difficile pour les peuples de cette région du monde. Les changements substantiels observés dans la gouvernance de plusieurs États doivent nous inquiéter au plus haut point. L’assaut perpétré par les forces réactionnaires de la droite appuyées par les grandes puissances met en péril les avancées sociales obtenues au cours des 20 dernières années.
Nous reproduisons, ici, l’intégrale d’une entrevue réalisée par Euronews avec Jacques Wagner, ex-ministre du gouvernement brésilien, entrevue diffusée le 18 mai dernier concernant la destitution de la Présidente du Brésil.
Une entrevue d’Euronews avec Jacques Wagner, ex-ministre du gouvernement brésilien (traduction de l’anglais par l’auteur)
Le Brésil connaît un moment sans précédent dans son histoire avec le retrait de la Présidente élue Dilma Rousseff. Son remplacement par le Vice-président Michel Temer comme chef de l’État a été fait dans un processus de mise en accusation et peut-être même plus.
Jacques Wagner a été pour une courte période l’homme de confiance de Dilma Rousseff. L’ancien chef du personnel qui a quitté le gouvernement pour faire place à Lula.
Michel Santos d’Euronews l’interroge sur le processus de mise en accusation et sur l’avenir.
Michel Santos « Jacques Wagner, vous avez dit que ce qui s’est passé est un coup d’État au Brésil »
Jacques Wagner: «En effet, ce que nous vivons au Brésil est un coup d’État. Je l’appelle un «coup d’État» parce qu’ils ont utilisé la disposition constitutionnelle de mise en accusation pour faire une élection indirecte. Le monde a vu la session dans la chambre basse – la Chambre des députés – et la session de recevabilité au Sénat et aucun ou très peu ont parlé de criminalité, parce que la présidente n’a commis aucun crime.
«Je sais qu’ils ont utilisé une disposition constitutionnelle pour quelque chose qui est sacrée dans la démocratie – Quelle signification peut-on donner à une délégation par un vote pour usurper le pouvoir d’un président élu avec 54 millions de voix.
«Depuis la fin de l’élection ils cherchaient tout le temps une façon d’essayer d’annuler l’élection et d’avoir une sorte de troisième tour. Ils ont interrogé les sondages. Ils se sont interrogés sur la légalité de la campagne électorale du Président de la Haute Cour et ce pendant 18 mois, ils ont créé ce fantasme qu’est la destitution ou la recherche d’une raison qui n’a pas existé et continue de ne pas exister».
EuroNews: « Qui sont ces mouvements conservateurs? Y a-t-il un État ou États en particulier? «
Jacques Wagner: «De toute évidence, il y a des forces conservatrices aux États-Unis, en Europe et même en Asie, qui sont intéressées à un autre type de gouvernement en Amérique latine dans son ensemble, Parce que, ici, en Amérique latine, nous avons eu une augmentation de gouvernements populaires.
«Je sais que cette attaque systématique a été faite. Donc, je préfère caractériser les secteurs conservateurs du marché financier, déployés dans le monde entier contre les mouvements sociaux, contre le caractère populaire et progressiste des gouvernements « .
Euronews: « Est-il possible de renverser la situation au Sénat? »
Jacques Wagner: « Oui, il est possible de renverser la situation au Sénat, je ne doute pas qu’il est possible de l’inverser. Ils avaient seulement 55 voix sur la recevabilité. Si nous prenons deux de leurs 55 voix, le processus de mise en accusation sera arrêté. Nous avons déjà 22 … 24 votes – des votes très sûrs, je pense.
«Je sais maintenant que pendant l’exercice de nombreuses contradictions vont émerger et je suis sûr qu’avec les mouvements sociaux dans les rues ainsi que le mouvement du Congrès nous avons tout ce qui est nécessaire pour obtenir une victoire pour la démocratie et son retour pour la continuation de son mandat. »
EuroNews: « Plusieurs pays et organisations d’Amérique du Sud ont réagi négativement à la suppression de Dilma. Croyez-vous que l’Union européenne devrait avoir la même attitude? «
Jacques Wagner: «Je crois que tous les démocrates de l’Union européenne et du monde entier bien sûr, auront à se soucier de pays comme le Brésil – qui est l’une des plus grandes démocraties du monde occidental – quand un processus n’est pas transparent, Lorsqu’un processus de mise en accusation est en cours de fabrication, je crois qu’il est source de préoccupations pour tous. Et à l’interne, au Brésil, nous allons poursuivre la résistance et nous comptons sur la solidarité internationale « .
Références
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