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« La dette ou la vie »
Par Eric Toussaint et Martine Cornil
Mondialisation.ca, 18 juillet 2011
CADTM.org 18 juillet 2011
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/la-dette-ou-la-vie/25685

« Tout autre chose », émission animée par Martine Cornil (elle a été diffusée en direct sur la RTBF le 7 juin 2011).
Retranscription par Camille Lebouvier, revue par Eric Toussaint

Version audio : http://www.cadtm.org/IMG/mp3/Tout_a…


Martine Cornil :
Bonjour à toutes, bonjour à tous et bienvenue sur la Première.

Aujourd’hui la thématique de l’émission : la dette et particulièrement les dettes publiques en compagnie d’Eric Toussaint.

Eric Toussaint vous êtes Docteur en Sciences Politiques des universités de Liège et de Paris VIII et vous êtes également le président du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde. Avec vous, nous allons évoquer cet ouvrage qui vient de sortir aux éditions Aden en collaboration avec le CADTM, sous votre direction et celle de Damien Millet avec un titre assez choc La dette ou la vie, je le disais tout à l’heure avec François Krish, avant il y avait une phrase à la mode c’était « La bourse ou la vie », « La dette ou la vie » finalement c’est un peu la même chose ?

Eric Toussaint : Mais oui en fait, je crois que ça doit indiquer qu’il y a un choix à faire. Soit on rembourse des dettes illégitimes, soit on donne la priorité à la vie et notamment aux Droits sociaux et économiques fondamentaux des populations. C’est un choix qu’il faut faire et tous le jours on voit en Europe, mais aussi bien sûr en Afrique, en Amérique latine, que c’est un choix très concret qui se pose aux gouvernements et qui amène les citoyens, les citoyennes à réagir par rapport à ce choix.

Martine Cornil : Alors on va parler des alternatives évidemment mais aussi de la situation actuelle même si on a parfois le sentiment en tout cas en Occident que les populations se sentent coincées, piégées peut-être par une forme de système et ne voient pas bien comment en sortir tant on se dit qu’il faudrait totalement changer de paradigme et que ça semble compliqué de changer certains paradigmes. Alors on verra si c’est le cas ou pas. On va vous retrouver dans quelques instants, on va entendre en fait un extrait de reportage qui s’appelait « Le salaire de la dette » de Jean-Pierre Carlon dans lequel vous intervenez. Cela a été diffusé sur Arte en octobre 2010, et là, Victor Nzuzi, du CADTM RD Congo, évoque la dette de l’Afrique.

« L’Afrique sous perfusion de la Banque Mondiale, du Fonds monétaire international croule sous le poids de sa dette extérieure et demeure le continent de la grande pauvreté et des inégalités.

Tant qu’on sera dans cette emprise de la dette, dans cette domination, tant qu’on sera je dirais même dans cet esclavage de la dette, c’est comme ça qu’on ne s’occupe pas du social, de la santé, de l’éducation. Vous vous rendez compte on doit sacrifier des enfants congolais, qui ne peuvent pas étudier car il faut payer la dette, et la communauté internationale parle de générosité, maintenant on parle de l’annulation de la dette comme générosité en confisquant les ressources aux pays. »

Martine Cornil : C’était un extrait de ce reportage qui avait été diffusé en 2010. Avant de vous laisser réagir et avant peut-être de parler de la dette aujourd’hui, ici en Occident, je vais rappeler que cette émission est bien évidemment interactive et que vous pouvez, si vous le souhaitez, intervenir, poser vos questions, profitez-en il vous reste 45 minutes pour le faire. Et n’hésitez pas à nous dire ce que vous aussi vous pouvez imaginer comme alternatives à la situation actuelle.

Eric Toussaint, est-ce que vous pouviez imaginer qu’un jour le CADTM s’occuperait aussi de la dette des pays occidentaux ? Que vous feriez aussi un ouvrage collectif ou pas d’ailleurs ? Que vous interviendriez sur ce sujet là ? Franchement ?

Eric Toussaint : Oui et non. Franchement plutôt oui parce que je m’attendais tout à fait à cette évolution, des effets d’une explosion des dettes privées dans les pays du Nord qui seraient transférées au public parce que ça s’est déjà passé dans l’histoire. D’une certaine manière, c’est une répétition de ce qu’on a connu à d’autres moments au 20ème siècle. Mais effectivement, la réponse c’est aussi non parce qu’il y a quinze ans ce qui était au centre des préoccupations c’était la dette de l’Afrique, la dette de l’Amérique latine ; ça le reste pour nous, mais il est clair qu’un changement s’est opéré. Effectivement, la majorité des gens et des commentateurs n’auraient jamais accepté par exemple qu’on puisse parler de plans d’ajustement structurel appliqués à un pays comme la Grèce ou l’Irlande alors que c’est le cas depuis un an.

Martine Cornil : Oui et au Portugal et bientôt d’autres vraisemblablement en Europe. Alors, samedi dernier dans « samedi plus », on parlait des plans d’austérité et Michel Visard a terminé l’émission avec, de mémoire, une phrase comme : « Voilà, pendant des décennies, nous les pays occidentaux, nous les pays d’Europe nous avons regardé de loin finalement le travail du FMI avec les fameux ajustements structurels concernant l’Afrique et d’autres pays du Sud et aujourd’hui et bien nous sommes concernés, nous sommes aussi dans ce cas. » On en est là effectivement Eric Toussaint ?

Eric Toussaint : Tout à fait, et au cours des quatre derniers mois j’ai effectué quatre voyages en Amérique latine et notamment j’ai été en contact avec des présidents : le président de l’Equateur, Rafael Correa, le président du Paraguay, Fernando Lugo et leurs conseillers et ils me disaient : « Mais enfin comment est-il possible que vous les Européens vous soyez en train d’appliquer chez vous des recettes qui ont montré leur caractère tout à fait néfaste pour nos pays. Nous on en est sorti. Comment se fait-il que vos gouvernements appliquent ces remèdes ? » « N’ont-ils décidément rien appris ? », me demandaient-ils.

Martine Cornil : Alors, il y a une question ici, elle est frontale mais elle est au cœur du sujet évidemment, c’est Anne qui la pose. C’est le genre de question qu’à mon avis tout le monde se pose un jour ou l’autre : « Pourquoi ne pouvons-nous pas annuler les dettes de tous les pays et remettre les compteurs à zéro ? » On n’a pas cinq heures et il faudrait au moins ça, mais c’est vrai que c’est la question que tout le monde se pose et d’autant plus maintenant que nous sommes touchés dans notre chair nous aussi. Pourquoi effectivement est-ce qu’on ne peut pas effectivement annuler les dettes de tous les pays et remettre les compteurs à zéro ? Vous me direz que c’est parce qu’il y a des créanciers…

Eric Toussaint : Oui, mais je me pose exactement la même question et, en terme de solution, je pense qu’il faut annuler la partie illégitime, odieuse, illégale dans certains cas, des dettes publiques. Et ça peut représenter dans toute une série de pays des quantités extrêmement importantes, et donc annuler une bonne partie de la dette allégerait évidement la charge de la dette sur le budget des différents pays et permettrait dès lors de faire des dépenses beaucoup plus orientées vers le social, la création d’emplois, le soutien aux personnes qui en ont besoin, l’amélioration de la santé, des transports publics, de l’éducation, la lutte contre le changement climatique qui demandent aussi des moyens.

Et donc, effectivement, je pense que l’auditrice a tout à fait raison de dire « pourquoi ne peut-on pas annuler ». Alors, pour annuler, et bien il faut scanner, auditer, passer au crible de la critique les dettes.

Martine Cornil : Oui, parce que vous venez de parler de dette illégitime, odieuse, illégale. Il y a des voies légales et vous l’expliquez dans « La dette ou la vie » : il y a légalement la possibilité pour les pays d’annuler une partie de la dette si cette dette effectivement se retrouve dans cette définition-là qui est notamment celle de la dette illégitime ou odieuse. Alors ce sont deux choses encore différentes, peut-être brièvement parce que ça c’est important, définir rapidement qu’est-ce qu’on appelle une dette odieuse et qu’est-ce qu’on appelle une dette illégitime quand on parle de dette publique.

Eric Toussaint : Oui, en fait, je dirais qu’il y a une gradation dans la valorisation négative de dette. On dira qu’une dette odieuse, c’est celle qui est la plus inacceptable et celle-là elle est contractée par des gouvernements qui ne tiennent pas compte des besoins réels et de la vie des populations.

Martine Cornil : Des dictatures ?

Eric Toussaint : C’est notamment des dictatures mais on pourrait élargir et on élargit cette doctrine parce que c’est une doctrine du droit international qui existe depuis le début du vingtième siècle et qui s’est appliqué à de multiples reprises au cours du vingtième siècle. On pourrait considérer que des dettes contractées sous la pression, sous le chantage d’organismes internationaux comme le Fonds monétaire international qui impose des violations des droits économiques et sociaux pourraient aussi rentrer sous la catégorie « dette odieuse ». Alors, dette illégale, là ce sont des dettes qui sont reliées à des contrats qui contiennent des vices, des éléments illégaux par exemple par rapport au droit interne des pays qui ont contracté des dettes, ou par rapport au droit international et là, il y a différents critères dans les arguments juridiques qui peuvent amener un pays à considérer que les dettes qu’on lui réclame sont illégales.

Martine Cornil : Ca c’est du factuel, c’est donc quelque chose que l’on peut prouver.

Eric Toussaint : Tout à fait.

Martine Cornil : Et puis, il y a la dette illégitime.

Eric Toussaint : Là, c’est une notion plus large et qui inclut évidemment des dettes odieuses et des dettes illégales mais c’est plus large dans la mesure où des dettes peuvent ne pas être odieuses, ne pas être marquées par des signes évidents d’illégalité mais quand même pouvoir être caractérisées d’illégitimes. Le parti que je prends dans le livre, avec les autres auteurs qui ont écrit ce livre avec moi, c’est de dire que si on regarde ce qui s’est passé dans les trente dernières années ici en Europe, en fait, la situation critique de la dette publique dans nos pays est reliée à une politique consciente de gouvernements qui ont décidé de réduire de manière très importante les impôts qu’ils prélevaient sur les bénéfices des sociétés privées et sur les catégories de revenus les plus élevées. En créant de multiples occasions pour être exonéré d’impôt dans une série de circonstances qui fait que le taux d’imposition réel payé par les plus riches et par les sociétés privées a été abaissé d’une manière tout à fait radicale, et cette baisse des recettes a été comblée par deux choses : une augmentation de la TVA, ça c’est un impôt indirect que tout le monde paie et qui est considéré comme le plus impopulaire parce que même si l’on a très peu de revenus et bien on va payer le même taux qu’un riche, et si on a peu de revenus on va devoir consacrer son revenu à l’achat de bien et de service sur lequel pèse une TVA qui peut varier entre 6 mais souvent c’est du 18%, du 21%. Et on a augmenté aussi le poids de l’impôt sur le travail.

La deuxième politique qui a été reliée à cette baisse des revenus d’impôts venant des riches et des sociétés privées, ça a été de recourir de plus en plus à l’emprunt public. La dette publique a augmenté, elle avait fortement augmenté dans les années 1980/1990 en Belgique, on avait dépassé 100% du produit intérieur brut, dans les années 2000, on est passé un tout petit peu en dessous mais maintenant on atteint de nouveau un peu moins de 100% |1|. En résumé, l’augmentation de la dette publique au cours des trente dernières années est due à une politique délibérée, injuste socialement, injuste fiscalement, c’est-à-dire que cette politique a consisté à privilégier fiscalement ceux qui sont déjà privilégiés en termes de revenus et d’aisance. Il faut savoir qu’évidemment, si on diminue les impôts sur les riches, on augmente leurs revenus, leurs patrimoine et qu’est-ce qu’ils peuvent faire avec ça ? Notamment acheter des titres de la dette publique et trouver une rémunération supplémentaire, ils augmentent leur fortune et puis ils ont une rémunération régulière payée par l’État parce que la majorité des titres de la dette publique en Belgique et dans les autres pays européens est détenue par des grandes institutions privées, ce n’est pas le petit épargnant Belge qui détient des OLO ou d’autres titres de la dette publique belge par exemple.

Martine Cornil : Ce qui a été le cas à un moment donné. Mais maintenant il y a une inversion.

Eric Toussaint : A un moment donné, c’étaient les Belges qui détenaient la dette belge mais essentiellement des grandes institutions privées. Mais il est vrai qu’il y a une trentaine d’années par exemple on pouvait acheter, en tant qu’individus, des titres de la dette publique aux guichets des banques. Maintenant, les acquéreurs des titres de la dette belge sont des grands acteurs financiers belges et surtout étrangers, notamment des fonds de pension américains mais aussi des banques françaises, allemandes, etc. Donc, tout ça pour moi marque d’illégitimité cette augmentation de la dette publique parce qu’elle n’est pas le résultat naturel d’une politique normale, elle est le résultat d’une politique illégitime parce qu’injuste. Et enfin, il faut se rappeler ce qui s’est passé ici en Belgique (comme cela s’est aussi passé dans d’autres pays de l’Union Européenne et ailleurs), c’est le fameux sauvetage de très grosses institutions financières privées en octobre 2008. C’était particulièrement le cas ici en Belgique avec le cas de Fortis, qui est maintenant BNP Paribas Fortis, mais aussi d’autres banques comme Dexia, comme KBC et Ethias. Je parle de la Belgique mais dans d’autres pays ça a été ABN Amro au Pays Bas, et la liste est longue… Le sauvetage de ces banques privées qui avaient pris des risques énormes (avec l’argent des épargnants déposés dans leurs coffres) sur le marché des subprime aux Etats-Unis. Ce sauvetage s’est fait avec l’argent public et donc c’est une fois de plus la dette publique qui a été augmentée de manière très importante.

Martine Cornil : Oui, mais là Eric Toussaint, je me fais l’avocat du diable encore que… quasiment tous les ministres des finances de tous les pays d’Europe, puisque ça concerne l’Europe tout entière, et on peut même parler des Etats-Unis, vous dirons : ce n’est pas tant les banques que nous avons sauvées, alors certes nous les avons sauvées, mais en sauvant les banques nous avons aussi sauvé tous ceux qui y avaient placé leur épargne, y compris les petits épargnants qui avaient trimé durement toute leur vie. Et que se passerait-il si tout à coup l’épargne d’une vie disparaissait en fumée ? C’est quand même un des discours prédominant partout en Europe.

Eric Toussaint : Absolument.

Martine Cornil : Cela a été une des raisons invoquées, et même la raison mise en avant tout de même.

Eric Toussaint : Bien sûr qu’il fallait sauver l’épargne des citoyens belges, et dans les autres pays européens aussi. Il fallait sauver l’épargne, garantir l’épargne, mais pas au profit des propriétaires de ces banques qui avaient utilisé cette épargne sans consulter d’ailleurs les épargnants, en faisant des placements absolument risqués dans le marché des subprime aux États Unis. Les banquiers ont pris une responsabilité terrible qui a porté une atteinte très forte aux intérêts de la majorité de la population et on peut parler de ses fameux petits actionnaires de ces sociétés privées qui ont été floués dans cette affaire. Le prix de l’action Fortis, vous vous rappelez, s’est écrasé, le prix de l’action Dexia aussi et là il y avait des petits épargnants qui avaient acheté des titres en bon père de famille…

Martine Cornil : Et qui ont tout perdu.

Eric Toussaint : Et qui ont perdu beaucoup, et donc ceux là c’est tout à fait injuste ce qui leur est arrivé à ces petits épargnants, actionnaires. Il fallait donc sauver les épargnes, protéger les petits actionnaires, les vrais petits actionnaires. Mais il fallait demander aux gros actionnaires des banques de passer à la caisse pour le coût du sauvetage de ces institutions bancaires et on aurait pu, au passage, au niveau de la Belgique, se doter d’une banque publique. Car en Belgique il n’y a pas la moindre banque publique. La banque de la Poste n’est plus une banque publique, la moitié de la banque de la Poste est aux mains de BNP Paribas Fortis. Nous sommes un des seuls pays d’Europe où il n’y a plus un seul endroit où on peut placer dans un cadre public son argent.

Donc, à l’occasion de la crise de 2008, je pense qu’on aurait pu et qu’on aurait dû agir d’une toute autre manière, en faisant payer ceux qui étaient les responsables des politiques qui ont amené au désastre financier et, deuxièmement, en se dotant d’un instrument public de crédit qui garantirait d’autant plus facilement dans le futur l’épargne. Parce qu’il faut bien reconnaître que le sort des banques belges n’est pas encore tout à fait garanti mais ça c’est une autre question. Et donc, en résumé, je suis convaincu que si on analyse de manière critique et détaillée les politiques d’endettement public des trente dernières années avec ce dernier événement qui était 2008 et ses suites, avec le sauvetage bancaires aux frais du public, on considérera qu’il y a des signes évidents d’illégitimité et donc de dette odieuse, de dette illégale et de dette illégitime. Cela fait un montant très considérable et là il faut discuter comment on annule cela et qui paie la facture de cette annulation parce qu’il y a une facture à payer.

Martine Cornil : Forcément.

Eric Toussaint : Et nous avons des propositions en la matière.

Martine Cornil : Alors, on a beaucoup de réactions déjà. Je vous en livre quelques unes. Il y a des interpellations, des interrogations et des questions aussi. Charles qui dit ceci « Partant de la constatation que l’argent est créé par les banques et non plus par les États, on est en droit d’interpeller les politiques, surtout de gauche, et de leur demander pourquoi ils ont abandonné cette prérogative vitale pour le développement social de leur peuple à des structures strictement privées dont le seul but est l’engraissement à travers les intérêts du capital lui-même. On est en droit, dès lors, de poser une seconde question aux politiques dits de gauche, pourquoi les États ne reprennent-ils pas le droit de créer eux-mêmes l’argent dont ils ont besoin et ce sans intérêts au lieu d’emprunter à des structures privées ou étatiques qui jouent dans le même jeu avec des taux d’intérêts inversement proportionnels aux capacités de remboursement. Au lieu de payer des intérêts 12 milliards d’euros en Belgique chaque année, ils pourraient investir cet argent dans des politiques sociales plus justes dont l’abaissement de l’âge de la retraite. »

Alors c’est vrai, il y a tout un courant, tout à l’inverse de ce qui est en train de se passer. La question en substance c’est celle là : « Pourquoi les États ne reprennent-ils pas le droit de créer eux mêmes l’argent ? ». Je crois que c’est un peu compliqué ça au jour d’aujourd’hui.

Eric Toussaint : Oui, voilà c’est un peu compliqué et technique pour une bonne partie des auditeurs et auditrices alors je ne vais pas pouvoir entrer dans les détails, mais l’auditeur soulève un point tout à fait important. Et pour que l’on comprenne de quoi il s’agit, il faut un petit mot d’explication. En fait, depuis la construction européenne et notamment le Traité de Maastricht, on a interdit aux banques nationales des États membres de l’Union européenne et à la Banque centrale européenne de prêter de l’argent directement aux États. Et donc, on force les États qui sont membres de l’Union européenne à passer par les marchés financiers pour vendre des titres de leur dettes, ces titres sont acquis par des banques privées, par des sociétés d’assurance, par des fonds de pension.

Martine Cornil : D’où ces fameuses agences de notation et de cotation et quand on décote c’est la panique dans les États et sur les marchés.

Eric Toussaint : Oui, aussi, et là on a confié la notation des risques à des sociétés privées pour lesquelles il y a un conflit d’intérêts alors qu’il faudrait confier cette tâche à des services publics. Ce que l’auditeur certainement voulait dire, c’est qu’il faudrait à nouveau que la banque centrale européenne et la banque nationale de Belgique puissent prêter à l’État à un taux d’intérêt très faible. Il mentionne que le remboursement de la dette publique en Belgique tourne autour de 12 milliards, et bien, en réalité, c’est plus parce que ça c’est seulement la charge des intérêts. Comme tous ceux qui ont un crédit hypothécaire le savent, le service de la dette, c’est la somme des intérêts qu’ils paient et l’amortissement du capital emprunté. Et bien quand la Belgique emprunte, elle paie les intérêts et elle paie l’amortissement du capital. Si on additionne charge d’intérêts et remboursement du capital qui vient à échéance chaque année, on tourne pour le moment à plus de 30 milliards d’euros. Trente milliards qui sont consacrés au remboursement de la dette publique alors que le paiement de l’ensemble des allocations sociales en Belgique aux personnes âgées, aux retraités, les indemnités de chômage, l’ensemble des allocations sociales représentent quelque chose comme 35 milliards d’euros. Donc, rien que pour la dette, on s’approche du montant qui est consacré à des dépenses sociales qui sont tout à fait vitales. Le risque, l’orage qui s’approche de nous, c’est en juillet-août 2011, quand on va nous dire : « Il faut 25 milliards de réduction de déficit d’ici 2015 et il faut l’argent pour payer la dette publique ». « Il faut bien prendre l’argent quelque part » nous dira-t-on. On poursuivra : « Il n’y a pas assez d’argent dans certains domaines, il faut revoir les règles pour les retraites par exemple ». Alors qu’il faudrait plutôt dire : il faut auditer la dette et réduire radicalement les montants remboursés pour la dette publique. Et pour financer ce qu’il faudrait continuer à rembourser, effectivement la banque centrale européenne devrait prêter à des taux d’intérêts très faibles de l’argent aux États qui en ont besoin afin évidemment qu’ils mènent des politiques justifiées socialement, pas pour faire n’importe quoi.

Martine Cornil : Alors, on a aussi cette question : « Quel rapprochement Eric Toussaint fait-il entre plan d’ajustement en Afrique, donc plan d’ajustement structurel du FMI, et les plans d’austérité en Europe ? ». C’est au cœur de votre ouvrage cela aussi.

Eric Toussaint : Oui, je considère, et c’est clair dans le livre La dette ou la vie, qu’il y a un parallélisme absolument évident. Alors pourquoi ? Et bien, les plans d’ajustement structurel sont imposés depuis une trentaine d’années dans les pays dits du tiers monde dans la foulée de ce qu’on a appelé la crise de la dette du tiers monde qui a explosé en 1982. Et depuis l’année passée, ce type de plan est appliqué à la Grèce, à l’Irlande, il va être appliqué au Portugal d’ici peu et il ne faut pas oublier que dans l’Union Européenne, il y a des pays aussi comme la Hongrie, la Roumanie, la Lettonie qui sont aussi sous plan d’austérité très forts. Alors pourquoi peut-on faire un parallélisme ? Parce que on applique les mêmes recettes. On dit : « Il faut réduire les dépenses publiques en matière de santé, d’éducation, il faut réduire le nombre de fonctionnaires publics ». Donc quand des gens arrivent à l’âge de la retraite au lieu de remplacer chaque personne qui part à la retraite et bien on remplace simplement un poste sur trois par exemple. « Il faut payer rubis sur ongle la dette publique », cela fait partie aussi des plans d’austérité. En fait, on réduit radicalement les dépenses publiques qui constituent un élément clé de la demande globale. Ces politiques d’ajustement structurel et d’austérité sont non seulement injustes mais elles consistent aussi à se tirer une balle dans le pied car comment peut-on imaginer qu’on va réellement relancer l’économie dans l’Union Européenne si tous les gouvernements se mettent à réduire les dépenses publiques et en même temps à réduire une série de revenus des gens qui en ont besoin pour leur consommation courante ? Ceux-ci vont donc réduire leur consommation notamment les retraités, les personnes qui perdent leur emploi etc. Comment veut-on relancer l’économie si on réduit la demande ? Or, c’est ce qui se passe, on arrive à une réduction de la demande car on réduit les dépenses publiques et la consommation privée d’une grande partie de la population.

Martine Cornil : Oui, c’est la question qui est centrale quand même, et c’est la question que tout le monde se pose et que n’importe quel bon père de famille ou mère de famille se pose quand ils entendent parler des plans d’austérité. C’est se dire effectivement : comment puis-je participer à un effort collectif pour relancer mon pays et réduire la dette ? Comment puis-je moi participer aussi à la croissance et au bien-être des entreprises qui, elles-mêmes, vont créer de l’emploi, si moi même je n’ai plus de salaire et si je ne peux plus investir dans autre chose que dans le vital. Il y a quand même un non sens économique là dedans.

Eric Toussaint : Oui.

Martine Cornil : A qui est-ce que ça profite ?

Eric Toussaint : Le raisonnement que suivent certains gouvernements et le Fonds monétaire international c’est l’idée suivante…

Martine Cornil : Et c’est valable pour l’Afrique aussi ?

Eric Toussaint : Oui, c’est l’idée qu’en réduisant les salaires, on va devenir plus compétitif sur le marché mondial, donc on va augmenter les exportations et ça va générer de la croissance. Le problème c’est que comme toutes les économies (à part l’économie chinoise qui maintient un taux de croissance élevé), comme tous les gouvernements appliquent le même type de politiques, comment voulez-vous augmenter les exportations si les autres pays font de même c’est-à-dire réduisent leur demande tout en voulant exporter plus ? Il reste la Chine, la Chine est le moteur de l’économie mondiale pour le moment, il n’y a pas d’autres locomotives de l’économie et donc c’est un jeu où finalement chacun fini par y perdre alors qu’on nous annonce le contraire. On nous dit : « C’est un jeu où on sera gagnant », mais non on ne sera malheureusement pas gagnant et les populations risquent de vivre dix années, quinze années extrêmement dures. C’est tout à fait désagréable pour moi de parler à si long terme pour la crise mais franchement, après avoir analysé de manière rigoureuse la situation économique globale et les politiques qui sont menées, notamment celles conduites par le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne, on ne peut que considérer que la crise va durer. Il faudrait un tournant radical dans les politiques menées pour pouvoir générer à nouveau un véritable développement qui serait favorable aux populations et respectueux de l’environnement.

Martine Cornil : Alors dans l’histoire, est-ce qu’il y a ce type de tournants radicaux ?

Eric Toussaint : Oui, c’est frappant dans les années trente, c’était extrêmement dur, évidemment, il y a eu la crise Wall Street en 1929 et la crise qu’on a connu avec Lehman Brothers, en septembre 2008, fait penser évidemment à la crise de Wall Street et ses suites. Et ce qu’on sait, c’est qu’en 1933, Franklin Roosevelt est élu président des Etats-Unis et a effectué un rééquilibrage fort important, ce n’était pas du tout un président de gauche, mais confronté à une crise extrêmement importante et sous la pression de la population des Etats Unis, il a fait un tournant.

Martine Cornil : Des gens mourraient de faim quand même.

Eric Toussaint : Oui, et ça rappelle la situation des paysans, « Les raisins de la colère  » le livre de Steinbeck et on se rappelle aussi les films de Charlie Chaplin sur la crise économique des années 30 et ce qui se passe aux États Unis ainsi que d’autres films bien plus sérieux par ailleurs. Roosevelt, qui n’était donc pas un président de gauche, a par exemple imposé les tranches supérieures de revenus, ce qu’on appelle le taux marginal le plus élevé pour les revenus des personnes physiques, a été imposé au taux de 90%. Imaginez aujourd’hui cela, on dirait de celui qui fait cela qu’il est un gauchiste irresponsable. Pourtant, celui qui a fait cela s’appelait Franklin Roosevelt et il a été réélu comme président des Etats-Unis et il reste dans la mémoire. Alors, on peut se poser la question : « Pourquoi Barrack Obama confronté à une crise aussi et alors que lui était perçu comme quelqu’un de gauche, n’a pas fait cela ?  ». Pourquoi d’autres gouvernements en Europe ne font pas de même, par exemple un gouvernement comme le socialiste Zapatero en Espagne, alors il faut se poser la question est-ce qu’il ne faut pas avoir d’importantes mobilisations sociales pour amener des gouvernements à changer de cap ? On dirait que tant que les populations ne manifestent pas vraiment leur mécontentement et pour cela ce n’est pas simplement les urnes, c’est la rue. On dirait que tant qu’il n’y a pas cette pression sociale, il ne peut pas y avoir de tournant. Et quelque part, c’est pour cela que je trouve très important dans les dernières semaines ce qui est en train de se passer en Espagne avec tous ces jeunes indignés…

Martine Cornil : Ou en Grèce…

Eric Toussaint : …et ailleurs en Europe, voilà notamment la Grèce.

Martine Cornil : Histoire de ne pas oublier quand même parce que le temps fonce, file, et je risque d’être à court de paroles dans quelques instants. Bientôt, se tiendra la deuxième université d’été du CADTM…

Eric Toussaint :  Tout à fait.

Martine Cornil : …donc du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde Europe se tiendra du vendredi 1er au dimanche 3 Juillet, ça sera à la Marlagne près de Namur, il y aura forcément toutes les thématiques que nous évoquons ici et pas seulement mais aussi des séminaires, des colloques, des plénières. Pour en savoir plus, je pense que le plus simple c’est de passer par le site internet : www.cadtm.org, et ça se passera du vendredi 1er au dimanche 3 juillet.

Bon, des questions il en pleut. Je vais vous en donner plusieurs et vous réagissez après. « Pourquoi les politiques ne comprennent-ils pas ce qui est du bon sens pour tous ?  » « Pourquoi n’ont-ils pas le courage de prendre radicalement les choses en main ? » Je pense qu’en partie, vous venez d’y répondre puisque vous dites, les politiques sont nos représentants mais je veux dire nous avons nous aussi notre responsabilité, c’est-à-dire que si effectivement les gens ne sont pas dans la rue et acceptent tout, il n’y a pas de raison que ça change. C’est ça ?

Eric Toussaint : Oui, effectivement, là je pense que l’on devrait s’inspirer de ce qui se passe en Espagne, on voit que des centaines de milliers de jeunes sont regroupés sur la place de 60 villes différentes, il y a des hauts et des bas dans la mobilisation mais ça dure maintenant depuis près de trois semaines et on voit que cela a un effet de contagion positif. Sur la Grèce, il y a eu 200 000 personnes face au parlement grec dimanche passé en soirée. Quelque part c’est la suite de ce qui s’est passé au Sud de la Méditerranée, en Tunisie, en Égypte qui a des effets sur la jeunesse en Europe qui se dit, mais enfin… (comment d’ailleurs ce mouvement s’appelle-t-il en Espagne ? Il s’appelle « les Indignés », ça dit beaucoup de choses. Ce sont des gens qui constatent qu’alors qu’on atteint un seuil critique dans la détérioration de la vie quotidienne, le gouvernement applique un plan d’austérité déjà très dur. En Espagne par exemple, le taux de chômage a atteint 20%, il y a une crise de l’immobilier terrible suite à spéculations immobilières, la crise de la dette publique augmente parce qu’on sauve une série de banques notamment de l’immobilier. Or, l’Espagne n’est pas encore directement la victime du chantage des organismes financiers comme la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Ces jeunes disent finalement : «  Les politiques ne réagissent pas comme il faudrait, ils sauvent les banquiers  ». Il y a une très forte critique dans tous les messages qu’ils expriment sur la manière dont on a sauvé les banques. Et ils disent : « Voilà, comme l’ont fait les populations de Tunisie et d’Égypte, on se réunit sur la place publique, sur l’Agora, on débat et on demande aux politiques de changer radicalement leur manière de gérer la crise.  »

Martine Cornil : Vous avez rappelé tout à l’heure que s’ils s’appelaient les Indignés, ce qu’ils réclament aussi c’est la démocratie réelle, la réelle démocratie et puis il y a peut-être des leçons à tirer de l’histoire, on ne désespère pas une jeunesse, je pense que c’est la pire des choses à faire. Alors, d’abord toutes mes excuses à ceux dont je ne lirai pas les messages. Vous êtes nombreux à nous envoyer des courriels extrêmement longs où vous dites toute votre indignation sur la manière dont fonctionne le système. On l’a dit tout à l’heure, on a déjà un peu parlé de tout ça et on a résumé. Ici, une question qui est au cœur et au centre de votre livre « La dette ou la vie », c’est Sabine qui pose cette question intéressante, interpellante : « Il y a quelque chose qui m’inquiète depuis longtemps, est-il possible pour une société de maintenir ou d’acquérir un bon niveau de vie sans empiéter sur le bien-être d’autres sociétés ? Notre baisse du niveau de vie est parallèle à la hausse du niveau de vie de la Chine ou de l’Inde, est-ce vraiment un hasard et surtout y a-t-il des solutions ? » C’est vrai qu’on a quand même souvent entendu aussi, enfin souvent peut-être pas assez souvent, mais que finalement notre niveau de vie, notre prospérité reposait en partie sur la pauvreté d’autres pays et notamment de l’Afrique. Ce parallélisme entre la hausse du niveau de vie de la Chine et de l’Inde et la baisse chez nous.

Eric Toussaint : Oui, je pense que c’est parfaitement possible de combiner une prospérité bien définie, respectueuse de l’environnement et respectueuse de la justice sociale et réduisant de manière radicale l’inégalité de la répartition des richesses dans nos pays et évidemment entre nos pays et ceux du Sud. C’est parfaitement possible d’avoir une prospérité dans les différentes parties de la planète et c’est même une condition absolument nécessaire pour affronter notamment les défis constitués par le changement climatique. Mais effectivement, je suis bien d’accord avec le point de départ, et la question est pertinente. Effectivement, pendant des siècles la prospérité des pays du Nord s’est basée sur un transfert très important des pays du Sud de la planète vers les pays du Nord, par le biais du pillage colonial, de la Traite des esclaves (ce qu’on a appelé le commerce triangulaire du 16éme jusqu’au 19ème siècle), le colonialisme (et la Belgique en a profité avec sa colonie au Congo de la fin du 19ème siècle jusqu’à 1960). Et c’est clair qu’il y a eu des transferts très importants et que la manière dont le monde est devenu opulent à un pôle produit des déséquilibres tout à fait inquiétants mais c’est parfaitement possible de concevoir un autre développement et non seulement c’est possible mais c’est nécessaire. On devrait, pour faire simple, engager un mouvement vers la décroissance dans les pays du Nord. Décroissance c’est-à-dire réduire un certain nombre de dépenses qui sont inutiles et qui produisent énormément d’éléments contaminants pour l’environnement, donc réduire des dépenses et la production d’un certain nombre de marchandises et de services qui sont inutiles socialement et dangereux du point de vue de l’environnement. Donc, engager une décroissance, ce qui ne veut pas dire aller plus mal en terme d’éducation, de santé, de qualité de vie et de transports.

Martine Cornil : C’est vivre autrement et consommer autrement.

Eric Toussaint : Vivre autrement, tout à fait, réduire l’utilisation de la voiture individuelle et recourir à des transports publics collectifs de qualité par exemple, ce qui réduirait fortement les émissions de gaz à effets de serre. Et dans le Sud (et notamment à partir du Nord) rémunérer d’une manière beaucoup plus élevée les prélèvements que l’on fait sur les ressources naturelles dans les pays du Sud, rémunérer de manière adéquate les travailleurs du Sud. Vous savez que quand on achète une paire de basket, de chaussures ou un costume ou un polo ici dans un grand magasin en Belgique alors que ces produits sont maintenant fabriqués en Chine ou en Inde et bien 1% , 2% du montant que l’on va payer retourne véritablement en terme de rémunération à ceux qui ont produit cela. Alors évidemment, il faut changer cela, il faut augmenter les salaires et les revenus des producteurs des pays du Sud qu’ils soient des agriculteurs ou bien des travailleurs d’usine dans les usines textiles par exemple. Tout irait beaucoup mieux pour la planète si on changeait de cap à ce niveau là, c’est possible pour moi.

Martine Cornil : Alors, il reste vraiment très très peu de temps, je vais vous livrer deux messages, et vraiment désolée pour tout ceux dont je n’aurai pas lu les mails. Je lis : « Eric Toussaint a raison à propos de la politique de Roosevelt mais aucun pays européen, nous dit Pierre, ne pourrait imposer un taux marginal supérieur à 60% sans voir immédiatement le jeu de la concurrence fiscale apparaître même dans l’Union Européenne, car c’est l’UE qui doit pouvoir prendre l’initiative mais l’Allemagne est là pour l’en empêcher. Va-t-elle continuer à faire tourner l’Union Européenne autour de son petit doigt sans que les autres ne réagissent ?  » Et puis ceci aussi, comme ça vous pouvez réagir aux deux en très peu de temps car il reste très peu de temps : « Le système est une simple réplique de l’opposition entre dominant/dominé, l’esprit révolutionnaire du socialisme a été embourgeoisé, le système politique est parcellisé et ne peut plus s’imposer dans les luttes sociales. Pour l’Europe, la faute en revient aux États qui ont lutté contre la fédéralisation de l’Union Européenne alors que l’économie sauvage et spéculative est internationale. Quel rôle votre invité voit-il dans l’évolution de l’Union par rapport au dogme prôné du marché libre poussé à son extrême, parfois naïf, par la Commission européenne. N’est-il pas temps de revenir dans des circuits économiques courts, pas pour autant nécessairement fermés, où les consommateurs sont en contact avec les producteurs quand cela est possible, favorisant ainsi l’ancrage et le développement local ? »

Eric Toussaint : Mais les deux auditeurs ou auditrices pointent la question vers l’Europe et abordent d’autres questions et globalement, je partage leurs préoccupations. Je pense qu’il faut refonder l’Union Européenne, il faut une Union Européenne, l’intégration européenne est tout à fait intéressante notamment pour ne pas revenir à des époques dramatiques du 20ème siècle avec des guerres fratricides entre pays européens. Déjà rien que pour cela, il faut une intégration européenne, mais il faut une intégration sur d’autres bases que celles que l’on connaît. On a donné la priorité aux intérêts privés, on a en déjà parlé donc je ne reviens pas là-dessus. Il faudrait refonder l’Europe sur d’autres principes. Et effectivement, dans le modèle alternatif et ça cela renvoie à ce que j’ai dit avant, à la réponse précédente. Lorsque cela est possible, appliquer ce que l’auditeur, l’auditrice appelle un circuit court est tout à fait intéressant. Plutôt que d’importer des produits qui font 10 000 kilomètres et que l’on pourrait produire sur place et bien évidemment il vaudrait mieux développer ici et soutenir une agriculture qui répond aux besoins de la population et qui est aussi contrôlée du point de vue de la qualité pour éviter le drame que l’on connaît en Allemagne aujourd’hui et avec des circuits courts, réduire les émissions de gaz à effet de serre, etc. Cela permettait d’avoir des relations de producteurs à consommateurs d’une autre qualité, parce que l’on est dans une société consumériste qui a un aspect délirant, frénétique. Et je crois que nous sommes beaucoup à s’inquiéter ou à s’indigner de cela. On peut changer par des comportements individuels mais fondamentalement si on veut changer l’Europe, on imagine bien que ce n’est pas des comportements individuels dans les choix éthiques que l’on fait, même si c’est important, c’est dans des changements généraux qui impliquent l’action collective et c’est notamment pour cela qu’une organisation comme le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde joue à fond sur la sensibilisation et sur la mobilisation citoyenne.

Martine Cornil : Vous allez pouvoir annuler le Tiers Monde dans le nom du Comité pour l’annulation de la Dette du Tiers Monde ?

Eric Toussaint : Et bien, je pense que l’on va devoir, effectivement, donner un sens plus large à l’action du CADTM maintenant.

Martine Cornil :  Cela va devenir CADM, le Comité pour l’annulation de la Dette Mondiale. Paul Jorion vient de publier lui aussi un livre chez Fayard qui d’ailleurs s’appelle « Le capitalisme à l’agonie  », vous êtes d’accord avec cela, le capitalisme agonise ?

Eric Toussaint : Oui, mais il ne mourra pas, en fait le capitalisme a une capacité à renaître, ses crises font partie de son métabolisme et donc je ne crois pas à la crise finale, à l’effondrement du capitalisme. En fait, si l’on veut un autre système, il faut une procédure d’accouchement, il faut le procréer ce système et c’est l’action que l’on doit mener tous, collectivement, pour que ce soit un système tout à fait bénéfique parce qu’au fond, on pourrait aussi aller vers des formes de capitalisme encore plus grave pour l’humanité que ce que l’on connaît aujourd’hui.

Martine Cornil : Vous êtes plutôt confiant aujourd’hui ?

Eric Toussaint : Je suis confiant quand je vois ce que fait la jeunesse espagnole, grecque, je suis confiant quand je vois qu’à Liège, à Bruxelles il y a aussi des Indignés qui se réunissent et qui occupent la place publique à différents endroits. Quand je vois qu’au niveau des médias alternatifs, il y a une demande d’information extraordinaire et puis je vois l’écho qu’une émission comme la vôtre et d’autres émissions qui abordent des sujets de fond au lieu de le faire superficiellement, trouvent un écho extrêmement intéressant. Cela veut dire qu’il y a une soif de savoir et une soif de changer aussi et j’espère que l’on va y arriver. Oui, je suis confiant.

Martine Cornil : Voilà, dernier message, il est court alors je le lis vite. « Notre richesse ne provient pas de la pauvreté des autres mais bien de notre usage d’énergie à bas coût. » Voilà, c’est en partie vrai aussi mais tout est dans tout.

Eric Toussaint : Mais, il faudrait vraiment changer ça justement.

Martine Cornil : Absolument, je vous remercie Eric Toussaint, alors je rappelle le titre de cet ouvrage vraiment bien. C’est à lire pour ne pas passer à côté du monde tel qu’il se vit aujourd’hui, « La dette ou la vie » c’est aux éditions Aden, c’est sous votre direction et celle de Damien Millet, c’est un ouvrage collectif. Merci et à tout bientôt.

notes articles:

|1| Voir «  La Belgique ne maîtrise ni sa dette, ni son déficit  » par Olivier Bonfond

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