La disparition des abeilles

disparition des abeilles 

Les abeilles désertent leurs ruches et disparaissent par milliards. Le phénomène touche à présent toute la planète. Qualifié de désastre écologique, il menace aujourd’hui l’agriculture et par là même la survie de l’humanité. Pourtant, même s’il est multifactoriel, le dépérissement des colonies d’abeilles semble essentiellement causé par les activités de l’homme et leurs influences sur les équilibres écologiques.

Un phénomène pas si nouveau

En 2006 et 2007, les Etats-Unis tirent la sirène d’alarme : les abeilles disparaissent de manière massive et brutale. En fait, partout dans le monde, une très forte mortalité des abeilles est enregistrée à la fin de l’année 2006 ou après l’hiver 2007 : perte de 60 % des colonies aux USA et jusqu’à 90 % dans certains états de l’Est et du Sud ; 40 % des ruches se sont vidées au Québec, 25 % des colonies sont décimées en Allemagne, idem à Taiwan, en Suisse, au Portugal, en Grèce et dans de nombreux autres pays d’Europe. Pour la première fois, une estimation des pertes financières potentielles liées à la disparition des abeilles est annoncée : près de 15 milliards de dollars pour les seuls Etats-Unis. Devant cette nouvelle marquante, les médias alertent l’opinion publique. Pourtant le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles est décrit depuis longtemps : au moins depuis les années 1960 aux Etats-Unis, avec une première étude assez poussée parue en 1979.

abeille pollen fleur

Le syndrome d’effondrement d’une colonie, un massacre sans cadavre

Depuis le XIXe siècle, on trouve des traces de colonies d’abeilles mourant brutalement. Mais l’épidémie actuelle présente des caractéristiques particulières. Tout d’abord elle est mondiale. Ensuite, la disparition des abeilles est spectaculaire : presque du jour au lendemain la ruche se vide et on ne retrouve aucun cadavre. Ce syndrome d’effondrement des colonies, appelé en anglais CCD (Colony Collapse Disorder) est bien décrit depuis la fin des années 1970. Il est caractérisé par une absence d’ouvrières, seules restent la reine qui continue de pondre et quelques jeunes abeilles. Les rares adultes restant sont infestés par plusieurs virus et des champignons, le couvain est operculé, il reste des stocks de nourriture (miel et pollen) qui, bizarrement, ne sont pas pillés par les autres abeilles et qui sont attaqués très tardivement par les parasites habituels. Dans les ruches qui vont bientôt s’effondrer, on peut noter que les ouvrières sont de jeunes adultes leur nombre ne suffit plus à assurer les soins du couvain et l’essaim refuse de consommer la nourriture apportée (sirop de maïs ou autres suppléments).

abeille collectant du pollen

Les causes : des abeilles attaquées de toute part

Pesticides et autres produits phytosanitaires

En France, en 1993, les apiculteurs accusent une baisse importante de la production de miel. Ils pointent aussitôt du doigt l’utilisation du Gaucho, un insecticide de semence à base d’imidaclopride, récemment mis sur le marché. L’affaire fait grand bruit et les études scientifiques contradictoires se multiplient. Au final, il s’avère que l’imidaclopride est très toxique pour les abeilles, qu’il se retrouve dans le pollen des fleurs même s’il ne sert qu’à l’enrobage des semences et qu’il perdure dans les sols plusieurs années après. Pourtant rien ne prouve qu’il soit la cause directe de la mortalité massive des abeilles. En effet, certaines colonies sont atteintes dans des régions où il n’est pas utilisé. Après le Gaucho, le Régent, à base de fipronil est mis en cause et entre 1999 et 2006, les deux sont progressivement interdits sur différentes cultures en France. Dans tous les cas, il est évident que les abeilles sont affaiblies par tous les insecticides systémiques répandus sur les cultures, qu’ils soient de la famille des néonicotinoïdes comme l’imidaclopride, le thiamethoxam ou le clothianidine, ou de la famille des pyréthroïdes de synthèse comme la deltaméthrine. Ces substances affectent le système nerveux des insectes. Les abeilles deviennent par exemple incapables de retrouver leur ruche. De la même manière, les cultures OGM produisant elles-mêmes leur insecticide comme le maïs Bt de Monsanto, sont source d’empoisonnement pour les pollinisateurs.

Parasites

Cependant, les abeilles ne semblent pas seulement menacées par les produits chimiques utilisés pour l’agriculture, elles sont aussi attaquées par des agents plus naturels, au premier plan desquels on incrimine des parasites de la famille des acariens. Les varroas – Varroa destructor aussi appelé Varroa jacobsoni – sont arrivés en Europe dans les années 1960 et sont des vecteurs importants de transmission de virus pathogènes dans les colonies d’abeilles. Depuis quelques années un peu partout dans le monde, Outre-Atlantique surtout, les varroas sont devenus résistants à la plupart des traitements chimiques habituels. C’est pourquoi ils sont suspectés d’être à l’origine de l’épidémie actuelle. Cependant, là encore aucun lien direct et aucune corrélation claire n’a pu être établie. D’autres maux sévissent dans les colonies d’abeilles : loques américaines et européennes, acarioses provoquées par Acarapis woodi ou d’autres parasites en train d’arriver en Europe. Cependant, une bonne partie de ces parasites, même s’ils sont en augmentation, étaient déjà présents et ne peuvent expliquer la brusque surmortalité apicole.

Champignons

Les abeilles sont aussi attaquées par des champignons, dont notamment Nosema cerenae, que l’on a retrouvé sur le corps des abeilles mortes. Récent en Europe, c’est un champignon présent depuis plus de 10 ans aux Etats-Unis qui semble être davantage un opportuniste qu’une cause réelle de l’épidémie.

Autres insectes

D’autres insectes en provenance d’Asie ou d’Afrique menacent aussi les abeilles européennes, tels que le petit coléoptère des ruches Aethina tumida et le frelon asiatique Vespa velutina nigrithorax qui s’attaque aux ruches et se répand rapidement car il n’a pas de prédateurs naturels en Europe.

Changements environnementaux et climatiques

L’homme contribue aussi à affaiblir les abeilles en restructurant les paysages et en enlevant les haies où elles nichent, en réduisant la biodiversité florale pour ne faire subsister que quelques espèces agricoles en monoculture sur des centaines d’hectares. De plus, les derniers changements climatiques entraînant, au moins pour nos contrées, des sécheresses accrues et des hivers plus doux, affaiblissent les abeilles qui sortent trop tôt de la ruche et souffrent du manque de pollens disponibles.

Ruche et reine

Des exploitations excessives ?

Les abeilles domestiques en particulier peuvent aussi parfois être victimes de formes d’agriculture productiviste. Certaines méthodes d’élevage sont intensives (transhumance constante, prélèvement de miel ou de pollen trop important) voire brutales (enfumage) et toxiques (traitement acaricide et antibiotique). Il résulte de ces pratiques – jugées minoritaires par certains experts du domaine de l’apiculture – des reines épuisées au bout d’un an, au lieu de deux ou trois et des ruches affaiblies.

Pollution électromagnétique

Le dernier élément trouvé pour expliquer la disparition des abeilles est la pollution électromagnétique. Une étude allemande a montré que depuis l’avènement et la massification des téléphones portables, elle empêchait les abeilles de retrouver leur chemin car celles-ci utilisent les mêmes longueurs d’ondes pour communiquer entre elles. La mise en place de la téléphonie dite de troisième génération, dont les antennes sont omniprésentes, serait une hypothèse pour expliquer pourquoi les abeilles ne rentrent pas à la ruche. De plus, ces ondes affectent fortement la capacité de résistance des abeilles qui seraient alors plus sensibles aux parasites qu’auparavant et expliquerait le déficit immunitaire relevé sur beaucoup d’entre elles.

Les synergies : des pistes très inexplorées

La plupart des études scientifiques sur les abeilles et leur surmortalité ont porté sur l’analyse de facteurs isolés les uns les autres. Pourtant, tout porte à croire que les facteurs sont multiples et que des synergies existent entre eux. Ainsi, dans le cas de la pollution électromagnétique, les abeilles affaiblies seraient ensuite détruites par les virus et autres parasites habituels. De la même manière, les champignons qui s’attaquent aux insectes et qui sont utilisés comme arme biologique sont beaucoup plus virulents quand l’insecte est déjà affaibli par des doses sub-létales d’insecticides de la classe des néonicotinoïdes. Ainsi, il est courant de traiter des cultures avec un mélange de spores de champignons du genre Nosema et d’imidaclopride (lutte contre les sauterelles avec Nosema locustea et Nosema pyrausta contre la pyrale du maïs par exemple), dont la synergie est puissante et ravageuse. Rappelons que des doses faibles mais réelles d’imidaclopride ont été relevées dans la plupart des ruches effondrées ou non. Les champignons seraient alors des opportunistes qui profiteraient de l’affaiblissement des défenses des abeilles.

De la même manière, on sait que certains fongicides ou herbicides alliés à des insecticides peuvent accroître de manière spectaculaire la toxicité de ces derniers (plus de 1000 fois).

En bref, il semble évident que les abeilles sont exposées à des cocktails toxiques dont les effets ne se mesurent pas directement, car les dosages ne sont plus ceux des premiers pesticides comme le DDT de l’après-guerre, et que les abeilles meurent de manière plus lente. Les scientifiques américains lors de leur dernier colloque sur les abeilles l’avouent, ils ont retrouvé plusieurs types de pesticides dans les ruches et personne ne sait exactement quelles sont les synergies qui peuvent en découler.

ruche d'abeilles

Conséquences – Du rôle majeur des insectes pollinisateurs

La plupart des études portent sur l’abeille dite domestique, c’est-à-dire Apis mellifera (Europe, Afrique, Amérique, Australie) et Apis cerena (Asie méridionale et orientale). Et si ces deux espèces assurent à elles seules 85 % de la pollinisation des espèces de plantes de nos contrées, il ne faut pas qu’elles cachent ce qui arrive aux autres butineurs sauvages comme les bourdons, Bombus sp., ou d’autres insectes qui eux aussi souffrent des activités de l’homme. Plusieurs espèces de Bombus sont menacées d’extinction, et une récente étude anglo-hollandaise montre l’effondrement parallèle des populations de pollinisateurs et des plantes qui leurs sont associées – sans préciser si ce sont les plantes ou les insectes qui disparaissent en premier. Avec la disparition des abeilles, c’est 65 % des plantes agricoles qui sont menacées, soit 35 % de notre alimentation. Les cultures maraîchères et fruitières dépendent par exemple à 90 voire 100 % des abeilles et déjà, les Etats-Unis ont dû importer massivement des abeilles d’Australie pour leurs vergers de pommes et leurs champs de myrtilles. 80 % des plantes à fleurs dépendent de ce type d’insectes pour leur reproduction et donc pour leur survie. Si elles venaient à disparaître, le changement serait tellement énorme qu’il est impossible d’en mesurer les conséquences pour l’environnement et pour l’homme. L’abeille est considérée et utilisée comme sentinelle de l’environnement dans de nombreuses recherches actuelles. Sa disparition traduit bien l’état de la planète en ce début de XXIe siècle.

abeille ouvrière nectar

Quelles solutions aujourd’hui ?

Malgré l’évidence que le modèle agricole actuel est le premier responsable de la disparition des populations de butineurs (organisation de l’espace, monoculture, produits phytosanitaires, stress intensif…), les solutions envisagées sont bien moins ambitieuses. On continue de rechercher des causes ponctuelles en étudiant les parasitoses et autres maladies, on met en place des espaces tampons sous forme de jachères fleuries (d’ailleurs parfois avec des espèces inadaptées à l’entomofaune sauvage) ou sous forme de corridors plus ou moins étendus, espérant ainsi préserver un stock suffisamment important de biodiversité pour faire face à des enjeux ultérieurs. Bref, des solutions qui risquent surtout de faire office de « rustines », le temps que d’autres dysfonctionnements majeurs apparaissent.

Science.gouv.fr, le vendredi 16 mai 2008.

abeille construisant des cellules

Crédits photos:
Sous licence creative common,  et GNU
Jon Sullivan, Waugsberg, Luc Viatour, Severnjc,Bienen

Texte sous licence Creative Common

creative common



Articles Par : Global Research

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]