Print

La droite vénézuélienne ou l’échec de la cocotte-minute
Par José Roberto Duque
Mondialisation.ca, 02 juin 2017
Mision Verdad 25 mai 2017
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/la-droite-venezuelienne-ou-lechec-de-la-cocotte-minute/5593169

Suite à l’annonce du Conseil National Electoral convoquant à une Assemblée Nationale Constituante et aux élections régionales (1), l’aile la plus dure de la MUD (coordination de la droite vénézuélienne) a annoncé par la voix de Freddy Guevara et Lilian Tintori que son plan d’action basé sur l’agitation et la violence suivra son cours ! Guevara a utilisé une expression qui met à nu tous les dessous de l’échec annoncé de son plan subversif: « augmenter la pression jusqu’à ce que Nicolas Maduro s’en aille ».

A des fins de brève analyse nous allons supposer, même si c’est imaginaire, que Freddy Guevara et la MUD ont le pouvoir de maîtriser la pression sociale ou le mécontentement populaire. Au pire et dans l’immédiat, ça n’aura d’incidence que sur une infime partie de l’action des groupes violents surgis ici ou là sur le territoire vénézuélien au cours de ce mois-ci. Mais à moyen terme il faudra bien mettre publiquement sur la table le rôle des groupes ou éléments qui ont réellement le contrôle des actions des mercenaires et des nombreux criminels actuels ou en puissance qui réclament l’extermination des chavistes ou qui travaillent déjà à cette fin.

D’après la deuxième loi de la thermodynamique, vous ne pouvez pas maintenir ni augmenter la quantité de chaleur dans un système clos, sans une valve d’échappement qui permette de libérer l’excès de chaleur, sinon c’est tout le système qui va exploser, et cela de façon totalement aléatoire et imprévisible. En ignorant que cette simple loi de la nature vaut aussi pour la vie quotidienne ou sociale, on s’expose à des désastres : par exemple les cocottes minutes explosent parce que la valve d’échappement dysfonctionne ; autre exemple encore : les relations de couples, quand elles tournent en vase clos, terminent au pire par des coups ou au mieux par la haine entre les 2 protagonistes ; entre nous : pourquoi Machin ou Machine prétendrait-il garder sous stricte surveillance nuit et jour son conjoint, sans que ce(tte) dernier(e) ne puisse s’échapper ne serait-ce qu’une nuit en solitaire pour boire, danser, se promener ou pourquoi pas baiser (au final des amours clandestins et fugaces ne font-ils pas office de valve d’échappement?) ? Si tu as décidé de contrôler et de cadenasser, alors prépare-toi à l’explosion…

Venons-en au fascisme qui se déchaîne actuellement au Venezuela : si l’on veut avoir la maîtrise de la cocotte-minute (les anti-chavistes qui piaffent d’en découdre pour détruire et tuer) on doit d’abord s’assurer que le couvercle est sous contrôle. On doit être capable de libérer suffisamment de chaleur, mais sans que toute la vapeur ne parte complètement de la marmite sinon l’énergie y perdrait de sa force. Trois options, donc : ne pas libérer la pression, alors la marmite explose et vous emporte ; libérer trop de pression, mais il ne reste plus d’énergie pour arriver à ses fins; enfin la laisser filtrer par un orifice trop petit, et c’est encore l’explosion qui vous dévaste. Ce phénomène vaut aussi pour notre corps quand on doit libérer l’énergie d’une rage terrible ou d’un malaise via l’exercice physique ; certains libèrent cette charge en donnant des coups (à un mur ou à une personne) ou en buvant en excès…

Pour synthétiser :

1. L’énergie libérée durant un mois de marches, de barricades, d’actions et de sabotages a abouti à ce que la violence de la protestation citoyenne se soit finalement canalisée et ait diminué en puissance. On a conduit les citoyens à réaliser des actions et des tâches éprouvantes et surtout stériles . Et le gouvernement n’est toujours pas tombé comme on le leur avait promis ! Ils se résignent alors en se repliant sur leur vie, mais drainent leur haine de manière virtuelle à travers les réseaux sociaux.

2. Pour compenser cette fuite massive de gens (et donc d’énergie), qui comprennent finalement qu’ils ne peuvent pas passer leur vie à incendier, marcher sans fin ou agresser des policiers, les soi-disant dirigeants du fascisme ont activé un plan B qui consiste en l’activation de groupes d’agitateurs ou de délinquants, payés par leurs soins. C’est une des raisons pour laquelle les actes de vandalisme sont chaque fois plus violents mais moins suivis par les citoyens ordinaires.

3. La piètre gestion de l’énergie destructrice de l’anti-chavisme a abouti à ce que les manifestations de rue aient pris une direction autre que celle qu’avaient planifiée les chefs de la MUD : les brigades des défenseurs de la liberté dont ils rêvaient n’existent décidément pas ; à la place sévissent des bandes de délinquants qui rackettent, qui s’attaquent aux citoyens d’un bord politique ou de l’autre en les lynchant de façon indiscriminée, et qui détruisent les biens publics sans raison.

4. Ce n’est pas la construction ou la concrétisation d’un projet politique qui a servi de combustible à la mobilisation d’un secteur de la population mais la simple haine personnelle contre les chavistes. Comme la haine laisse des traces, la conséquence en est l’émergence de tendances criminelles y compris chez des gens qui ne s’imaginaient jamais commettre des crimes, ou se complaire dans l’idée d’assassiner. Si vous observez bien, vous détecterez partout des gens qui se croient bons et purs appelant à lyncher des chavistes ou à les ficher pour les exterminer ensuite : (extrait d’un échange de messages via Facebook)

« A l’attention de  Indira, Estefania, Oscar y Angel, administrateurs du groupe : Avec tout le respect qui vous est dû, je demande à travers ce message que vous considériez ou soumettiez aux votes l’expulsion des chavistes et des opposants du groupe, car ils en perturbent la sérénité et le bon fonctionnement. Les habitants de cette commune, leurs enfants et quiconque lutte pour le changement méritent d’être dans un groupe sans qu’ils soient taxés d’être vendus au gouvernement, et pour que ce qui s’est passé hier ne se reproduise plus. J’espère que ma proposition ne vous dérange pas et si vous deviez la refuser, je la respecterai et je chercherai un autre moyen pour que les habitants de San Antonio puissent s’exprimer librement sans risquer d’être poursuivis par le régime. Je comprends que vous n’êtes pas d’accord avec l’exclusion et que vous préconisiez l’union, mais avec les chavistes il ne peut pas y avoir d’union tant qu’ils tuent ou emprisonnent nos jeunes. Cordialement. PS : ceux qui appuient ma demande qu’ils le manifestent avec un « j’aime » et postent un commentaire. Commentaire de Javier Leon : Avant d’éliminer les crevures et les chavistes, il faut noter leurs coordonnées pour aller les débusquer quand le narco-régime tombera… »

En termes strictement tactiques, si le fascisme vénézuélien était dans une université virtuelle pour suivre un cours d’insurrection et se présentait à l’examen pour la matière « laboratoire insurrectionnel », il serait recalé ! Techniquement les fascistes font ce que doivent faire tous les agitateurs qui ne comptent pas avec le soutien majoritaire de la population : créer des foyers de violence sur des points sensibles (paroisse caraquègne de El Valle, état de Tachira, ouest de Barquisimeto, route Panamericana, sud de Valencia) avec pour objectif de provoquer une grande quantité de gens afin de les inciter à s’unir à la protestation, ou au moins au saccage et à la destruction. Mais les résultats ne sont pas ceux qui étaient attendus. Bonne exécution de l’expérience mais très mauvais contrôle des composants actifs !

Vous pouvez générer la « mère des perturbations » dans l’intercommunalité de El Valle avec à peine 50 agitateurs ; mais si vous ne ralliez pas 5 000 personnes supplémentaires, vous et vos 50 agitateurs vous vous fatiguerez et le lendemain El Valle aura retrouvé le calme. A ce jour, l’effet domino escompté ne s’est toujours pas produit. Pourquoi cela ? Parce que El Valle ce n’est pas seulement ces hauts édifices que vous apercevez quand vous passez à 140km/h sur l’autoroute; c’est une communauté gigantesque dont 99% de la population ignore ou refuse les invitations ou les provocations à manifester faites par les jeunes minets de la bourgeoisie.

Témoignage personnel. Le 23 mai dernier, à Barquisimeto, alors que je venais de me procurer des pièces de rechange automobiles et que moi et mes camarades nous nous apprêtions à sortir par l’ouest de la ville, nous nous sommes trouvés face à des « barricades » (ils appellent ainsi tout monticule, poubelle brûlée ou tas de gravats qui empêchent les véhicules de passer). Pour trouver une autre voie de sortie vers Quibor, nous avons dû revenir en ville, dans les secteurs les plus pauvres des faubourgs de la ville. Afin d’éviter les « barricades » érigées par ces individus qui avaient pris possession de l’avenue principale de sortie, on suivait donc une caravane de véhicules qui traversait ces gigantesques communautés que sont Cerrito Blanco, Valle Dorado. Au début on sentait que les gens jouaient avec nous, en nous indiquant des chemins erronés, puis ils ont finalement décidé de collaborer et de nous aider, et de simples panneaux de signalisations en carton indiquant la direction de « Quibor » sont alors apparus.

Si ces communautés étaient vraiment engagées et solidaires avec le plan visant à paralyser la ville et le pays tout entier afin de porter à la présidence de la République Guevara, Ramos Allup ou Maria Corina, leur détermination aurait été telle qu’elles auraient vraiment bloqué toutes les rues et peut-être même elles en auraient profité pour détrousser les étrangers perdus qui passions pour la première fois par là.

De tout cela on peut en tirer la conclusion qu’il n’y a au final qu’une minorité engagée dans des projets macro-politiques (autant de notre côté que de l’autre bord politique) ; en face une énorme masse populaire est lassée de tant de gesticulations qui au lieu d’apporter des solutions, rendent plus chaotique la vie des gens. Les barricades et les manifestations apportent certes leur lot d’émotion, mais vraiment quelle plaie, ces chevaliers à la triste figure qui nous invitent comme peuple à défendre une cause qui n’est pas celle des vénézuéliens.

José Roberto Duque

Article original en espagnol : Presión: cómo (no) hacerla estallar, Mision Verdad, 25 mai 2017

Traduction : Jean-Claude Soubiès, Venezuela Infoshttp://wp.me/p2ahp2-2Fz

Notes

1.Lire Venezuela : en route vers l’élection de l’assemblée constituante, les régionales et les présidentielles

 

Avis de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.