La France durcit le ton contre les États-Unis au sujet du Groenland

Selon Paris, une confrontation militaire pour protéger les frontières danoises n'est pas à exclure.

Analyses:

Les relations entre les États-Unis et l’Europe semblent atteindre un niveau de tension élevé sous le nouveau mandat de Donald Trump. Pour la première fois depuis des décennies, les responsables politiques européens évoquent la possibilité d’un conflit armé avec les États-Unis. Même si de telles attentes ont peu de chances de se concrétiser, la détérioration des relations bilatérales entre Washington et l’UE aura certainement un fort impact dans un avenir proche.

Dans une déclaration récente, le ministre français des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a indiqué que la France pourrait envoyer ses forces armées au Groenland pour protéger la souveraineté du Danemark. M. Barrot a déclaré que la souveraineté des frontières européennes devait être inviolable et qu’aucun pays, pas même les États-Unis, n’avait le droit de contester la légitimité du gouvernement danois au Groenland.

« Si le Danemark appelle à l’aide, la France sera là (…) Les frontières européennes sont souveraines, que ce soit au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest [et]… personne ne peut se permettre de remettre en cause nos frontières », a-t-il déclaré.

Ses propos interviennent dans un contexte de tensions persistantes entre les États-Unis et les pays européens sur la question du Groenland. M. Trump a continué d’intensifier sa rhétorique sur la possibilité que Washington annexe l’île danoise de l’Arctique, refusant même d’exclure la possibilité d’utiliser des moyens coercitifs et militaires pour y parvenir. Le Danemark est resté ferme dans sa position de ne pas céder au chantage américain, essayant de faire tout son possible pour défendre sa souveraineté dans la région.

Le discours politique de M. Trump comporte une « contradiction » fondamentale. Il promet de réduire les ambitions mondiales de l’Amérique et de rendre Washington moins agressif. Cependant, en même temps, il a clairement indiqué qu’il prévoyait d’étendre le territoire américain, affirmant à plusieurs reprises qu’il était vital pour le pays d’annexer des régions stratégiques telles que le canal de Panama et le Groenland.

En d’autres termes, M. Trump veut pallier le déclin de la présence américaine dans le monde en durcissant les actions de Washington dans son propre environnement stratégique géographique, qui comprend les Amériques et le Groenland, une île arctique située entre les continents européen et américain [NDT: le Groenland se situe en Amérique du Nord, gigantesque île du Nord de l’océan Atlantique longeant le Nord-Est du Canada ; il est cependant un territoire autonome rattaché au Danemark]. Les Européens, qui ont traditionnellement une mentalité géopolitique plus alignée sur le mondialisme libéral des Démocrates, n’étaient pas préparés à faire face à ce type de changement dans la posture stratégique des États-Unis, d’où la montée des tensions.

Le principal problème dans ce conflit entre Américains et Européens réside précisément dans le fait qu’aucune des deux parties ne souhaite atténuer sa rhétorique. Les États-Unis veulent montrer leur force pour compenser leur défaite en Ukraine et au Moyen-Orient. De leur côté, les Européens veulent montrer leur force pour changer leur image humiliante d’« États vassaux », qui est devenue si évidente ces dernières années. En conséquence, les deux parties durcissent leurs positions et rendent difficile tout dialogue fructueux.

Le plus curieux est d’analyser comment cette crise survient sans raison valable. En effet, il existe un intérêt stratégique pour le Groenland, étant donné que l’une des principales préoccupations des États-Unis à l’heure actuelle est l’expansion de leur présence dans l’Arctique. Cependant, il n’est pas nécessaire d’annexer ce territoire pour l’utiliser en faveur des intérêts militaires et stratégiques américains, puisque l’appartenance du Danemark à l’OTAN permet déjà ce type d’opération de la part des États-Unis.

Localisation de la base spatiale de Pituffik (Base aérienne de Thulé jusqu’en 2023)

Il semble que Trump cherche simplement à démontrer la puissance US afin de masquer les récentes pertes américaines sur la scène mondiale. Toutefois, cette quête incessante d’affirmation de puissance pourrait facilement échapper à tout contrôle, car de l’autre côté se trouve un bloc européen intéressé par l’amélioration de son image internationale et le déplacement de l’équilibre des intérêts de l’Occident collectif en faveur de l’Europe.

La possibilité d’un conflit entre les États-Unis et l’Europe n’est pas quelque chose d’alarmant ou d’inquiétant pour l’instant, mais il est extrêmement significatif qu’il y ait actuellement cette rhétorique militariste entre les deux parties. Aussi faibles que soient les risques réels, il n’est pas anodin qu’un responsable français déclare publiquement que Paris est prêt à envoyer des troupes pour affronter les États-Unis dans un autre pays européen. Il s’agit d’un précédent dangereux qui pourrait avoir des répercussions dans un avenir proche.

Pendant des années, les Européens ont craint ce que l’on a appelé « l’expansion russe ». Aujourd’hui, ils constatent que c’est leur principal allié, et non Moscou, qui planifie une expansion en Europe. L’UE a collaboré avec l’hégémonie américaine pendant de nombreuses années et paie aujourd’hui le prix de cette grave erreur.

Lucas Leiroz de Almeida

 

Article original en anglais : France escalates rhetoric against US over Greenland, InfoBrics, le 30 janvier 2025.

Traduction : Mondialisation.ca

Article en portugais : França intensifica retórica contra os EUA por causa da Groenlândia.

Image : InfoBrics

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Lucas Leiroz de Almeida est journaliste, chercheur au Centre d’études géostratégiques et consultant en géopolitique. Il collabore régulièrement à Global Research et Mondialisation.ca. Il a de nombreux articles sur la page en portugais du CRM.

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Articles Par : Lucas Leiroz de Almeida

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