La France, pompier pyromane

Presque un an après les attentats de Charlie hebdo, c’est reparti pour un tour d’hystérie collective. Entre les tartufferies médiatico-politiques (« on a atteint des sommets dans l’horreur », « une porte s’est ouverte sur l’enfer » …) et l’idiotie collective (« ca y est c’est la guerre », « même pas peur », « la France a été touchée parce que c’est le pays des droits de l’homme » …), beaucoup devraient redescendre sur terre et essayer de s’imposer un minimum de réflexion et d’honnêteté. Oui, les attentats sont une horreur et les victimes méritent notre empathie ; mais non, la France n’a pas été touchée par hasard, ni même vraiment par surprise. Des victimes de Charlie Hebdo en Janvier dernier aux attentats déjoués depuis (dans le Thalys, contre les églises du Val de marne), il est clair depuis un moment que la France est devenue l’une des cibles privilégiée du terrorisme Islamique. Considéré comme l’un des plus grands spécialistes de la question, le juge anti-terroriste Marc Trévidic déclarait d’ailleurs il y a peu que « le pire est devant nous » et que « les Français vont devoir s’habituer non à la menace des attentats, mais à la réalité des attentats ». Et pendant que le même juge dénonçait le manque criant de moyens alloués à la prévention de la menace terroriste en France (« On fait donc le strict minimum … au risque de passer à côté de graves menaces »), que faisaient nos gouvernants ? Ils Jouaient les gros bras face à Assad et son allié Poutine.

Alors que la politique d’ingérence occidentale s’est révélée mortifère en Afghanistan, en Irak ou encore en Libye (repli ethnique ou confessionnel, affrontements civils, règne des bandes armées, nouveaux foyers de terrorisme), la France est depuis 2011 le pays le plus va-t-en-guerre contre le régime Syrien. Bachar el Assad est certes un dictateur, mais depuis quand les dictateurs dérangent nos gouvernants ? La France n’a-t-elle pas soutenu Ben Ali lors de la révolution Tunisienne en 2010-2011 ? La France ne reçoit-elle pas régulièrement en grandes pompes tout un tas de dictateurs Africains (Idriss Deby, Denis Sassou N’Guesso, Paul Biya …). Difficile donc de mettre l’obsession de déboulonner Assad sur le compte de l’humanitaire ou de la liberté. Difficile d’accepter dans le même temps que notre pays s’acoquine avec les pires tyrannies du golfe (vente d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis, financements provenant du Qatar …) … tyrannies qui sont d’ailleurs beaucoup plus hostiles aux pays du croissant Chiite (Iran, Syrie, Hezbollah Libanais) qu’aux groupes djihadistes (Sunnites). Depuis peu, la France a fait de Daech son pire ennemi ; pourtant, il n’y a pas si longtemps, notre ministre des affaires étrangères se félicitait des progrès en Syrie d’un autre grand mouvement djihadiste : « Al Nosra (filiale d’Al Qaïda, ndr) fait du bon boulot ». N’est-ce pas le signe d’une politique étrangère absurde ? C’est ce que les récents attentats djihadistes (qui ont visé tour à tour la Russie, le Hezbollah Libanais et la France) semblent indiquer …

En Syrie comme en Libye, nos gouvernants n’ont pas seulement commis une faute morale, ils ont aussi fait preuve d’une grande incompétence. Dans les deux pays, il était largement prévisible que la déstabilisation des régimes en place cède la place au chaos. D’abord, il faut se rappeler que la plupart des frontières au Moyen-orient et en Afrique sont récentes et artificielles (conférence de Berlin pour le partage Européen de l’Afrique en 1884, accords de Sykes-Picot pour le partage Franco-Anglais du Moyen-orient en 1916) ; ces pays comptent de nombreuses minorités (ethniques et/ou confessionnelles) ce qui n’en fait pas le terreau idéal pour l’installation d’une démocratie (à fortiori à court terme et par la violence). Ensuite, force est de constater que nos dirigeants n’ont tiré aucune leçon des erreurs passées. Que s’est-il passé en Libye ? En voulant armer les rebelles, on a surtout armé les djihadistes et donc participé à l’essor du terrorisme international (c’est d’ailleurs pour cette raison qu’on est ensuite reparti en guerre au Mali). Et qu’a-t-on fait en Syrie ? La même chose. Si la France avait vraiment voulu débarrasser ces pays du joug de la « dictature », elle aurait poussé à la négociation (mise en place de nouvelles élections, sortie/amnistie du pouvoir en place …) au lieu d’instrumentaliser le mécontentement populaire et d’attiser la guerre civile. En hurlant sur tous les toits que « le dictateur devra payer pour ses crimes », quel choix lui a-t-on laissé autre que celui de mener une guerre jusqu’au-boutiste ? Aucun. Dès lors, il ne nous restait plus qu’à choisir les groupes d’opposition à armer et espérer ainsi maîtriser l’issue du conflit (émergence d’un régime ami). Sauf que … raté, ce sont encore les djihadistes qui ont pris le dessus.

En partant en guerre contre Daech, la France a donc joué les pompiers pyromanes. Qu’il est drôle l’exécutif Français de réclamer aujourd’hui l’union nationale alors que les récents attentats ne sont que la conséquence de sa politique étrangère impérialiste. Hollande et Fabius se sont-ils souciés de l’opinion nationale avant de partir faire les cowboys en Syrie ? Bien évidemment, cette union nationale n’est rien d’autre qu’une tentative de mise au pas, une manière de dire : « si vous ne nous soutenez pas, c’est que vous êtes du côté des terroristes ». Personnellement, je ne signerai pas le chèque en blanc de cette politique étrangère belliciste, je ne me replierai pas dans un nationalisme rétrograde du style « mon dieu, on nous a attaqué, nous les Français » (les autres on s’en fout) et je ne me tapisserai pas la figure en bleu-blanc-rouge comme un petit soldat du système. Je suis du côté de toutes les victimes du monde, celles de Daech mais aussi celles (bien plus nombreuses) des USA, de la France et d’Israël. Qui pleure les centaines de milliers de civils tués en Irak, en Libye, en Syrie, etc. ces dernières années ? Pour terminer, voici l’extrait d’un texte d’Howard Zinn qui me semble particulièrement bien résumer l’origine du mal : « La désobéissance civile n’est pas notre problème. Notre problème c’est l’obéissance civile. Notre problème, ce sont les gens qui obéissent aux diktats imposés par les dirigeants de leurs gouvernements et qui ont donc soutenu des guerres. Des millions de personnes ont été tuées à cause de cette obéissance. Notre problème, c’est l’obéissance des gens quand la pauvreté, la famine, la stupidité, la guerre et la cruauté ravagent le monde. Notre problème, c’est que les gens soient obéissants alors que les prisons sont pleines de petits voleurs et que les plus grands bandits sont à la tête du pays. C’est ça notre problème ».

Jérôme Henriques



Articles Par : Jérôme Henriques

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