La France : une société de castes

Je viens de relire la préface de Pierre Bourdieu à La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré d’Abdelmalek Sayad (1), juste après avoir lu l’article Immigration – Les espoirs déçus de nos cousins français dans le journal La Presse d’aujourd’hui.

À une époque où la mondialisation n’a jamais été aussi forte et ce, dans tous les domaines, l’intolérance et la violence à leur paroxysme, les guerres et les menaces de guerre omniprésentes, force nous est de constater (si ce n’est déjà fait) que rien ne changera si nous n’acceptons pas notre responsabilité individuelle.

Dans sa préface à La double absence, Pierre Bourdieu nous parle de «… [la] solidarité avec les plus démunis [d’Abdelmalek Sayad] principe d’une formidable lucidité épistémologique, [qui] lui permettait de démonter ou de détruire en passant, sans avoir l’air d’y toucher, nombre de discours et de représentations communs ou savants concernant les immigrés ». Malheureusement les Français n’ont rien appris de cette solidarité. Ils ne veulent rien remettre en cause et encore moins se remettre en cause. La France est un pays de certitudes et c’est ce qui lui a permis de fonctionner (plus ou moins bien selon les époques). Mais rien ne va plus quand on touche à ses certitudes. Les mouvements de grève actuels illustrent à merveille le mode de pensée français. La solidarité n’a rien à voir dans ce mouvement. Chacun lutte pour ses acquis et non pour le bien-être commun. La peur des fonctionnaires dont les régimes spéciaux sont menacés n’est pas tant de voir leur retraite diminuer que de passer à la classe sociale inférieure.

Contrairement à en Amérique du Nord, la hiérarchie sociale joue en France un rôle prédominant. À Paris, les quinquagénaires d’aujourd’hui, sont très souvent issus de la paysannerie pauvre. Leurs grands-parents ont quitté leur village qui ne pouvait pas les nourrir pour monter à Paris. À force de travail, ils ont pu acheter une petite maison, envoyer leurs enfants « aux études ». Ces derniers se sont transformée en petits cols blancs et ont donné naissance à nos petits cadres quinquagénaires qui regardent en tremblant les cheminots manifester dans la rue. Ils sont au-dessus de la mêlée mais ils se savent vulnérables. Un petit cadre est plus facile à remplacer qu’un ouvrier spécialisé. 

C’est cette peur du déclassement social qui fait que les Français et leur gouvernement n’ont rien appris des événements de ces dernières années. Les violences urbaines de novembre 2005 ont pris naissance dans les cités. Deux ans plus tard, le même phénomène s’est reproduit. Les Français ont-ils essayé de comprendre pourquoi? Les Parisiens sont-ils descendus dans la rue pour soutenir les gens des cités? Les cadres quinquagénaires, qui n’ont pas l’excuse de ne pas avoir fait des études, ont-ils compris les causes de cette violence? Ils préfèrent regarder, avec envie, vers le haut de l’échelle (vers le seizième et les beaux quartiers). Leur vision se limite à la caste supérieure, qu’ils respectent, et à la caste inférieure, qu’ils côtoient pour se rassurer. C’est réconfortant de savoir que son voisin de pallier a de la difficulté à payer ses charges.

Nos cousins français déçu du Québec font partie des courageux qui ont voulu découvrir autre chose. Mais le système de caste de l’hexagone ne leur avait pas permis d’approcher ces « ‘personnes déplacées’, dépourvues de place appropriée dans l’espace social et de lieu assigné dans les classements sociaux (2) » que sont les immigrés. Ils se sont retrouvés sans repères et ont réalisé brutalement ce que c’est que de devoir se faire sa place dans un pays d’accueil (le Québec), pourtant plutôt accueillant. Ils étaient devenus des déclassés.

Notes

1. La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Abelmalek Sayad. Paris, Liber, Seuil, 1999. 
2. Ibid.

Claude Herdhuin, auteure, scénariste (française immigrée au Québec depuis 20 ans).



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