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La grippe aviaire: une aubaine pour « Big Chicken » *
Par Grain
Mondialisation.ca, 11 avril 2007
Grain 11 avril 2007
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La crise de la grippe aviaire continue de faire rage. Il y a un an, alors que les gouvernements s’entêtaient à mettre en place des équipes de surveillance dans les zones humides et que l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) montrait d’un doigt accusateur l’abondante volaille élevée à la ferme en Asie et en Afrique, GRAIN et d’autres groupes faisaient remarquer que c’était bien l’élevage de volaille industriel à large échelle et le commerce mondial de la volaille qui propageaient la grippe aviaire – et non les oiseaux sauvages ou ceux de basse-cour. Aujourd’hui, tout le monde le sait, même si on ne fait pas grand chose pour contrôler la source industrielle du problème, et les gouvernements continuent à débiter impudemment la théorie de l’oiseau sauvage afin d’échapper à leurs responsabilités. Il y a à peine quelques semaines, les autorités moscovites ont attribué aux oiseaux migrateurs un cas de grippe aviaire aux abords de la ville – au beau milieu de l’hiver russe.

Cependant, un aspect bien plus sinistre de la crise de la grippe aviaire commence à devenir plus apparent. L’année dernière, nous alertions sur le fait que la grippe aviaire servait à favoriser les intérêts de puissantes compagnies, mettant en danger les moyens d’existence et la santé de millions de personnes. Aujourd’hui, plus que jamais, l’agrobusiness utilise cette calamité pour consolider ses chaînes alimentaires ferme-usine-supermarché alors que ses concurrents des petites fermes sont criminalisés. De leur côté, les sociétés pharmaceutiques exploitent les bonnes volontés investies dans la base de données mondiale des échantillons de grippe pour profiter des marchés captifs prêts à tout pour avoir des vaccins. Deux agences des Nations Unies – la FAO et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) – sont au centre de  cette affaire, utilisant leur stature internationale, l’accès aux gouvernements et le contrôle sur les financements des donateurs pour favoriser les programmes des compagnies.

Mise à mort du secteur de l’élevage à petite échelle.

Les autorités chargées de s’occuper de la grippe aviaire reconnaissent enfin le rôle joué par le commerce de la volaille dans la propagation du virus. Avec beaucoup de retard. La première vague de grippe aviaire en Asie du Sud-Est – Vietnam, Thaïlande, Cambodge, Laos et Indonésie – s’est produite dans des élevages industriels intensifs confinés. Cependant aucune enquête approfondie n’a jamais été menée expliquant pourquoi cette maladie s’est déclenchée précisément dans ces fermes-là et comment elle s’est propagée à partir de là. La même chose est arrivée en Turquie et en Egypte, où les oiseaux sauvages et les volailles de basse-cour ont rapidement été incriminés tandis que les compagnies avicoles qui fournissaient en oiseaux les marchés et les producteurs de « basse-cour» au moment où la maladie faisait rage à travers toute l’industrie, n’étaient pas inquiétées. Même en Corée du Sud, où une volaille saine élevée en plein air peut picorer aux abords de fermes touchées par la maladie, les autorités sont obsédées par le rôle joué par les oiseaux sauvages. Ce n’est qu’en février dernier au Royaume-Uni que le mythe des grandes exploitations « biosécurisées » a volé en éclats et que le voile dissimulant les nombreuses voies de propagation de la grippe aviaire à travers les élevages industriels transnationaux a été levé.  Les autorités locales ont tout d’abord accusé les oiseaux sauvages de la contamination survenue dans un grand élevage industriel appartenant au géant de la volaille industrielle Bernard Matthews et la compagnie a rejeté les informations diffusées par les médias sur un lien possible avec ses activités en Hongrie, déclarant que celles-ci étaient éloignées de la zone où la grippe aviaire s’était récemment déclenchée en Hongrie. Mais les deux explications se sont effondrées lorsqu’un inspecteur assermenté a trouvé un emballage dans les locaux de la compagnie anglaise prouvant que la viande provenant d’un abattoir de la zone infectée par la grippe aviaire en Hongrie avait effectivement été traitée dans l’exploitation anglaise juste avant le déclenchement de la crise.

Maintenant retournons à l’épicentre asiatique de la crise, où le message aux éleveurs de volaille est toujours «  Grandissez, grandissez vraiment ou disparaissez » En 2006, conformément à un programme signé entre son gouvernement et les Nations Unies, le Vietnam a présenté un plan de 10 ans qui, selon les termes de son Ministre de l’agriculture, vise à transformer son secteur avicole en « une industrie moderne et à grande échelle en termes d’élevage, d’abattage et de consommation.» Le gouvernement a commencé par interdire la volaille vivante dans les centres urbains, mettant fin à des milliers d’élevages en basse-cour. Ensuite, de nouvelles réglementations sur le commerce et l’abattage de la volaille dans les zones résidentielles sont entrées en vigueur. Les petits marchés et les bouchers ont fermé, et les abattoirs ont été déménagés dans quelques installations autorisées à la périphérie des villes. A Ho Chi Minh ville, plus de 200 marchés locaux vendaient des poulets avant la crise de la grippe aviaire ; aujourd’hui les poulets ne peuvent être vendus légalement que dans les supermarchés et dans les “points de vente” des exploitations industrielles. Le nombre d’abattoirs dans la ville a chuté de 50 à trois. Ces changements entraînent la ruine des petits producteurs car les supermarchés et les nouveaux abattoirs ne vendent que de la volaille certifiée selon des normes auxquelles les petits éleveurs ne peuvent se conformer. Les trois ou quatre compagnies qui contrôlent la production industrielle vietnamienne de volaille ne détiennent donc pas seulement les marchés urbains, elles disposent également pour leurs activités florissantes de production et d’abattage d’une force de travail à bas prix constituée de paysans contraints à l’exode rural. 

La restructuration est vite devenue une aubaine pour la compagnie qui a probablement été la première à introduire la grippe aviaire au Vietnam. « Charoen Pokphand (CP) réussira à transformer une crise en occasion de se développer,» déclare Sooksunt Jiumjaiswanglerg, président de CP Vietnam Livestock. La multinationale géante basée en Thaïlande, qui fournit des chaînes d’alimentation rapide d’Asie comme KFC, contrôle près de 80 % de la production industrielle vietnamienne de poulet et prévoit une croissance de 30 % par an dans le pays. Au Vietnam, CP est le principal fournisseur de la chaîne de supermarché BigC appartenant à un français et en voie d’ouvrir plus de 100 de ses propres boutiques CP Fresh Mart et 200 à 300 échoppes de poulets rôtis CP.

Cependant, dans un pays où on estimait qu’environ 80 % de la production avicole était, du moins jusqu’à récemment, entre les mains de petits producteurs et où plus de 70 % des ménages vietnamiens élevaient de la volaille, on ne s’étonnera pas que de nombreux éleveurs de volailles indépendants prennent le risque de continuer clandestinement. Phan Anh Tam est un petit éleveur de canards élevés en plein air, il vient de la province de Tay Ninh au Sud-Ouest du Vietnam, et son élevage entier a été abattu pendant la crise de 2003. Interviewé à la chaîne IPS News, il explique qu’il n’avait pas trop le choix, hormis celui d’enfreindre la nouvelle loi et de continuer son élevage. “S’ils veulent les tuer, qu’ils tuent donc mes enfants, car ces canards sont les seuls moyens de les nourrir,” dit ce père de cinq enfants.
 
Malgré leur statut d’ »expert », ceux qui essaient de proscrire la volaille de basse-cour ne s’appuient sur aucun élément tangible. La seule étude scientifique vérifiée par des pairs visant à comparer les risques encourus entre les fermes familiales et les exploitations industrielles, reposant sur des données recueillies lors de la vague de grippe aviaire de 2004 en Thaïlande, a conclu que « les volailles de basse-cour risquent bien moins d’être infectés (par la grippe aviaire) que les poules au pot, poules pondeuses ou cailles des opérations à échelle commerciales. » Ni ces « experts » ni les autorités ne suivent leurs conseils, répondant aux besoins de la grande majorité des personnes touchées. Si des éleveurs désobéissent aux ordres de tuer leurs volailles, ce n’est pas parce qu’ils ne comprennent pas les dangers potentiels de la maladie, mais parce que leurs moyens d’existence sont en jeu et que compensés ou non, ils n’ont pas les moyens d’acheter dans les supermarchés.

C’est la raison principale pour laquelle la FAO et l’industrie ont tellement de mal à imposer des approches normalisées. La Thaïlande a agi uniquement de manière à protéger ses activités exportatrices, c’est pourquoi elle a évité la vaccination et s’est concentré sur l’abattage de masse et la restructuration. La Chine et le Vietnam, contre l’avis international, ont opté pour une vaccination en masse. D’autres pays, comme le Nigeria, font du sur-place s’efforçant de chercher un moyen de plaire aux donateurs et à l’industrie sans déclencher une révolte dans les populations, dont les moyens d’existence et la sécurité alimentaire dépendent des systèmes traditionnels de production de volailles.

L’application de la recette rencontre des problèmes en Indonésie

Les choses deviennent particulièrement délicates en Indonésie où la grippe aviaire fait le plus de dégâts. D’un coté, le gouvernement central tente d’apaiser les donateurs et les grandes entreprises en suivant l’exemple vietnamien et thaï. Il a préconisé l’abattage de masse et l’interdiction des oiseaux vivants, loi qui est entrée en vigueur le 1er février 2007 à Jakarta et dans les neuf autres provinces où la grippe aviaire est la plus installée. Le Ministre de la Santé, Siti Fadilah Supar, a même déclaré que les interdictions couvriraient bientôt tout l’archipel. Les nouvelles réglementations pour l’élevage, l’abattage et la vente au détail de la volaille se décident aussi en coulisses entre l’industrie, le gouvernement et les agences des Nations Unies. Illustrant bien ce qui va se passer, Jakarta a déjà indiqué les sites pour le déménagement des abattoirs, les locaux de stockage et les marchés aux volailles. Et utilisant des mots qui auraient être aussi bien prononcés par son homologue vietnamien, le ministre de l’Agriculture Anton Apriyantono a déclaré aux journalistes, « les élevages de volailles pourraient éventuellement être intégrés aux abattoirs. Et de l’autre côté, le gouvernement laisse la grande industrie tranquille. Pour les exploitations commerciales à grande échelle – où malgré leurs dénégations répétées, la grippe aviaire reste un problème – tout est facultatif. Pire encore, le gouvernement et le public ne peuvent pratiquement rien faire hormis ‘accepter’ ce que l’industrie leur dit car il existe toujours un texte de loi qui empêche les inspections de l’exploitation sans la permission de la compagnie. Si une telle loi existait au Royaume-Uni, nous n’aurions jamais connu l’origine de l’important cas de contamination dont ce pays vient de souffrir.

Bien entendu, les mesures imposées par le gouvernement indonésien ne s’accordent pas du tout avec la vie quotidienne de la population. C’est ainsi que beaucoup de monde n’en tient tout simplement pas compte. D’où le recours fréquent du gouvernement à l’armée pour les imposer de force. A Jakarta, à peine 24 heures après l’entrée en vigueur de l’interdiction, on pouvait acheter des oiseaux vivants presque partout.
 
« Les pratiques traditionnelles d’élevage de la volaille sont profondément ancrées dans notre culture et elles sont cruciales pour les moyens d’existence de la population, » explique Riza Tjahjadi de la Fondation Biotani Indonesia installée à Jakarta. « Le gouvernement aura vraiment beaucoup de mal s’il s’attend à ce que les gens abandonnent leurs oiseaux et leurs marchés de proximité pour les poulets congelés des supermarchés. »

En effet, les gens commencent à se mobiliser. Le 27 février 2007, Sebindo (Serikat Buruh, syndicat informel des travailleurs d’Indonésie) a organisé une manifestation lors d’une réunion du Parti démocrate de la lutte d’Indonésie, dirigé par l’ancienne présidente Megawati Sukarnoputri. La manifestation faisait partie de la campagne de Sebindo pour qu’une information plus réaliste soit donnée au public sur la grippe aviaire et pour pousser le gouvernement à mener des actions plus cohérentes. Ils ont accusé à la fois le gouvernement et les médias d’avoir diffusé une version profondément erronée du problème.

Avec l’ordre d’abattage en masse, disent-ils, « La petite industrie avicole de l’Indonésie a été déclarée l’ennemie et jugée coupable ». C’est ainsi que le pays est en train de persécuter son peuple et ses propres traditions. De plus, avec l’ordre de déplacer et d’intégrer l’industrie avicole, le gouvernement pousse délibérément le pays dans la dépendance vis à vis de quelques grosses fermes industrielles et des importations de l’étranger, sans garantie non plus que ce choix épargnera le pays de la grippe aviaire. Dans l’ensemble, il est dit de manière pernicieuse au pays qu’il n’a à s’en prendre qu’à lui-même, détruire son secteur et ses traditions avicoles et compter à la place sur l’industrie avicole transnationale, alors que la meilleure solution d’après le syndicat est de promouvoir une vie plus saine et une véritable biosécurité.

Dans les îles, les gouvernements locaux, face à la résistance populaire, ignorent aussi les directives centrales en provenance de Jakarta. Le gouverneur de Java du Centre, avec les éleveurs et les vendeurs de volailles menaçant de manifestations de masse, a jusqu’à présent refusé de mettre en application la directive centrale d’interdire et d’abattre les oiseaux de basse-cour, invoquant les conséquences sur la sécurité alimentaire des populations. A Yogyakarta, le parlement provincial est aux prises avec les vétérinaires, les agriculteurs et les étudiants du Forum Peduli Perunggasan Indonesia (Forum des préoccupations pourla volaille indonésienne) qui protestent sur ses mesures, demandent un rejet de la politique d’abattage en masse et soutiennent l’élevage de volaille en basse-cour et la diversité des volailles.

Il est évident que l’agrobusiness souffre, au moins à court terme, quand un cas de grippe aviaire est déclaré. Mais, que ce soit en Indonésie ou en Russie, en Inde ou en Egypte, les gouvernements et les diverses agences internationales sont rapidement venues au secours de l’industrie, et se sont même arrangées pour transformer la crise de la grippe aviaire en opportunité pour les plus grosses entreprises de renforcer leur contrôle sur le long terme. Ces entreprises, de CP en Thaïlande à Tyson aux Etats-Unis, ont fait beaucoup d’efforts pour s’assurer que cela se passe ainsi. En Octobre 2005, les plus grosses compagnies avicoles du monde se sont réunies pour former le Conseil avicole international, afin de rapidement défendre et mettre en avant une position unie sur la politique à mener pour la grippe aviaire. Il existe aussi la Commission internationale de l’œuf, un lobby d’entreprises qui possède un mandat similaire et un fonctionnement pas adhésion. Ces deux organisations ont des statuts officiels et des accords formels avec des organismes influents comme la FAO et l’organisation mondiale de santé animale, ce qui leur octroie une influence directe sur l’organisation de la politique à mener pour la grippe aviaire. Les petits producteurs et vendeurs de volaille n’ont pas accès à ces organismes; ils ont été totalement laissés en dehors des processus de décision, à la fois aux niveaux national et international, et cela se voit.

La privatisation de la grippe aviaire: l’ultime menace sur la santé

Les mêmes tensions affectent l’aspect qui concerne la santé humaine dans  la crise de la grippe aviaire. Le 9 février 2007, la nouvelle éclata dans les médias internationaux que l’Indonésie avait interrompu la livraison des échantillons du virus local H5N1 (grippe aviaire) à l’OMS. Quand l’histoire est arrivée, le gouvernement indonésien avait appris qu’une firme australienne, CSL, était en train de développer un vaccin contre la grippe aviaire basé sur les échantillons provenant d’Indonésie, que Jakarta avait livrés à l’OMS, sans information ni demande d’autorisation. Pour se venger, raconte-t-on ensuite, Jakarta avait fermé la porte à l’OMS, symbole mythique de la coopération internationale dans la lutte contre tout risque de pandémie de grippe aviaire, et conclu à la place un accord privé avec une grosse compagnie pharmaceutique étasunienne, Baxter International, qui avait accepté de produire et de fournir des vaccins à l’Indonésie aux conditions du gouvernement.

Partout dans le monde, mais surtout en Occident, les populations condamnent et dénoncent l’Indonésie pour cette manœuvre. Le gouvernement a très vite été accusé de cupidité, d’avoir fait une erreur, de manquer de perspicacité et d’être nationaliste, comme si on disait que l’Indonésie était obligée de donner pour que d’autres puissent  vendre. Vu de Jakarta, c’est très offensant. C’était de nouveau comme à l’époque coloniale.

Quand les choses se sont calmées, et que l’OMS et le ministre de la Santé indonésien ont signé un accord de paix en termes de relations publiques , il est devenu clair que beaucoup de gens n’avaient pas compris ce qui se passait et ce qui était en jeu.

L’Indonésie n’était pas le premier gouvernement à cesser d’envoyer des échantillons du virus de la grippe aviaire à l’OMS. La Chine l’avait déjà fait. D’ailleurs, l’Indonésie n’a cessé d’envoyer que les échantillons physiques du virus à partir de son territoire. Elle n’a pas cessé de collecter le matériel et d’envoyer les données à Genève. Manifestement, Jakarta n’était pas en train d’essayer de prendre le reste du monde en otage, mais d’essayer de résoudre un problème national urgent.

Le problème pour le gouvernement indonésien est qu’il a besoin d’un approvisionnement suffisant en vaccins pour traiter la question de santé publique qui représente une bombe à retardement sur laquelle il est assis.  C’est l’Indonésie qui a été le plus touché de tous les pays par le virus H5N1. Le virus est à l’état endémique maintenant dans sa volaille; les gens continuent d’en mourir (38% de tous les cas rapportés d’êtres humains morts de la grippe aviaire dans le monde sont indonésiens), et c’est le quatrième pays le plus peuplé du monde. Ce qui est en jeu est tout simplement considérable. Le gouvernement a calculé que l’approvisionnement global de tout traitement sera nécessairement limité; qu’il ne peut et ne pourra pas s’offrir la plupart des vaccins, en particulier pendant la période de pénurie que toute pandémie entraîne; et qu’il a besoin d’un vaccin développé à partir de souches locales de la grippe pour une plus grande efficacité. Le système de l’OMS, à cet égard, ne conduit nulle part pour un pays comme l’Indonésie. L »organisation demande à ses pays membres d’envoyer des échantillons de tous les cas isolés de grippe aviaire, humains et animaux. Les échantillons sont conservés dans quatre centres collaborant avec l’OMS, basés comme par hasard dans les pays riches (Royaume uni, Japon, Etats-Unis et Australie),  et les données alimentent une base de données protégée par un mot de passe, installée (est-ce étonnant?) aux Etats-Unis. On demande donc à un pays comme l’Indonésie de fournir gratuitement des échantillons de virus et de laisser les gros fabricants de produits  pharmaceutiques accéder aux informations pour qu’ils produisent des médicaments dont ils détiendront les droits de propriété. C’est exactement ce qui s’est passé avec CSL. Le déséquilibre de pouvoir inhérent à ce système est choquant. 

Lorsque l’Indonésie a dit « plus jamais », elle disait « c’est injuste ». Ce n’est pas juste que les pays pauvres fournissent la « matière brute », gratuitement, à une entreprise pharmaceutique mondiale qui concentre le pouvoir du marché et tire des profits considérables par le biais de ses privilèges de monopole appelés brevets, en particulier quand ce sont les pays pauvres qui affrontent les plus gros problèmes de santé publique. Ce que l’Indonésie a réclamé par conséquent, comme d’autres pays qui se battent avec la crise de la grippe aviaire, comme la Thaïlande, c’est que l’OMS et les autres organismes les aident à développer la capacité de produire leurs propres vaccins eux-mêmes. Le brevet, que les pays en développement sont obligés d’accepter et auquel ils doivent se conformer, empêchera toujours que ça se passe comme ça. C’est ce que le brevet est censé faire: réprimer (« réguler ») la concurrence. C’est pourquoi les géants des produits pharmaceutiques comme Syngenta, Novartis et Pfitzer se battent avec tant d’acharnement actuellement en Inde, en Thaïlande et aux Philippines, pour empêcher, autant que possible, la licence obligatoire et la fabrication générique. Il s’agit d’ un pur  problème d’opposition entre des intérêts commerciaux bornés et des intérêts publics larges. Quand les pays en développement, conduits par la Thaïlande, ont essayé de changer le système de distribution des échantillons de grippe aviaire de l’OMS en juin dernier afin qu’il soit limité à des objectifs non-commerciaux, il leur a été opposé un « non » catégorique.

Aujourd’hui on commence à dire que « D’accord, l’Indonésie a marqué un point. Tout vaccin contre une pandémie de grippe aviaire devrait être partagé. Et la technologie pour produire ce vaccin devrait aussi être partagée. La grippe aviaire est un problème de ‘santé publique’ qui demande une réponse allant dans le sens du ‘bien public’. » C’est juste. Et en Indonésie, des groupes comme le Syndicat Sebindo insistent catégoriquement pour que tout vaccin pour les êtres humains contre la grippe aviaire soit gratuit, et non vendu. Mais cela n’arrivera pas, ou nous retomberons sans arrêt dans ce dilemme, sauf si les gens contestent vraiment le système des brevets, qui n’apporte pas grand chose à la santé mais dont l’objectif est d’enrichir encore plus les PDG des compagnies pharmaceutiques et leurs actionnaires. Demain, quand des laboratoires vont breveter le virus H5n1 lui-même, les gens crieront certainement que c’est un crime. Mais demain, ce sera trop tard.

Punir les pauvres

La réponse à la crise de la grippe aviaire se déroule comme un programme d’ajustement structurel. Ici aussi, le monde des affaires et les organismes internationaux se servent d’une calamité, favorisée par les modèles qu’ils ont eux-mêmes mis en place, pour augmenter les profits des entreprises et faire avancer des réformes encore plus profondes qui presseront encore davantage les pauvres. Mais, tout comme les organisateurs des fameux programmes d’ajustement structurel qui ont tellement dévasté les pays du Sud, les autorités qui gèrent la crise de la grippe aviaire sont en train aussi de perdre toute légitimité.  De plus en plus de gens sont convaincus que les réponses officielles à la grippe aviaire ont moins à faire avec la santé publique qu’avec les pouvoirs politiques.  Et la résistance locale se construit petit à petit, engendrant des tensions entre les différents niveaux du gouvernement qui doivent faire face à la colère de leur population et les organismes internationaux où les lobbies des entreprises sont bien établis.  C’est la raison pour laquelle des moyens plus importants sont déployés actuellement, y compris la force militaire et les sanctions économiques, pour imposer les directives centrales

La vision que prônent les entreprises, c’est à dire des élevages industriels et des abattoirs entièrement intégrés, produisant à la chaîne des volailles standardisées pour les étalages des supermarchés –déjà baptisé système du « Big chicken » pour le degré de contrôle qu’il implique – est plus que jamais enfoncée dans le crâne des décideurs. La menace d’une pandémie de grippe aviaire met en œuvre cette vision plus vite et plus profondément qu’elle ne l’aurait été sans elle. Mais les souffrances que cela cause à ceux qui sont broyés par les réformes, sans parler des risques que cela pose pour la santé de toute la planète, sont considérables.  Le revers de la médaille de la manne que cela représente pour les entreprises, c’est la destruction des systèmes traditionnels d’élevage et la biodiversité de la volaille dont dépendent des centaines de millions de personnes pour leur sécurité alimentaire et leurs moyens d’existence. En agissant ainsi, cela sape aussi les bases d’une solution à long terme pour la grippe aviaire. Comme nous allons commencer à le voir en Indonésie et ailleurs, les gens n’ont pas d’autre choix que de résister.

Contributions: Riza Tjahjahdi et les bénévoles de  Biotani Foundation Indonesia ont généreusement apporté leur aide  à ce rapport par leurs recherches de données de base.

* Le terme ‘Big Chicken’ vient de Wendy Orent, une anthropologue et auteure d’ouvrages scientifiques des Etats-Unis.(ndt: Il fait référence au « Big Brother » du roman 1984 de George Orwell, personnage qui symbolise le contrôle totalitaire de la société par un état policier)

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