La guerre d’Obama en Afghanistan

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Au cours des neuf dernières années, Bob Woodward, lauréat de deux prix Pulitzer a, dans ses ouvrages, régulièrement relaté les décisions du gouvernement Bush concernant les guerres en Afghanistan et en Irak. Il se fondait sur les informations du premier ­cercle des membres de l’équipe gouvernementale. Aussi attendait-on avec curiosité ce qu’il allait écrire sur les décisions de l’administration Obama concernant la guerre en Afghanistan. Il répond maintenant à cette attente avec son dernier livre Obama’s Wars (New York, London, Toronto, Sydney, 2010).

Contrairement à ses développements sur les platitudes politiques du gouvernement Bush, Woodward évoque dans ce livre avant tout les discussions d’Obama avec son état-major et ses subordonnés sur la guerre en Afghanistan. Depuis la nomination du général Stanley A. McChrystal au poste de commandant en chef en Afghanistan, les discussions tournent essentiellement autour de l’effectif des troupes supplémentaires. Par ­exemple: doit-il être de 40 000 soldats – comme le demande le général – ou seulement de 20 000, souhait du vice-président Joseph R. Biden, ou faut-il peut-être adopter un compromis: 30 000 ­hommes? Quelle stratégie convient-il d’appliquer avec ces troupes supplémentaires. Peut-on vaincre les talibans à l’aide d’une stratégie de contre-insurrection? La guerre des Etats-Unis et de leurs alliés en Afghanistan doit-elle se limiter à la lutte ­contre les bases d’Al-Qaïda dans les zones tribales pakistanaises au moyen de drones et d’unités spéciales?
 
Les véritables adversaires dans ces discussions sont Obama et McChrystal. L’état-major d’Obama, dont font partie le général James L. Jones, conseiller à la sécurité, le chef du Pentagone Robert M. Gates et la ministre des Affaires étrangères Hillary Clinton, sert uniquement de toile de fond destinée à animer le processus décisionnel. Alors que McChrystal veut vraiment reconstruire l’Afghanistan et développer les forces armées afghanes avec l’aide de l’armée et de la police et que pour ce faire, il veut vaincre les talibans, Obama poursuit, avec les troupes supplémentaires de 30 000 hommes, des objectifs politiques et non pas militaires. En raison des difficultés financières où se trouvent les Etats-Unis, Obama voudrait mettre fin le plus vite possible à l’aventure afghane. Il ne veut rien savoir d’une reconstruction du pays. En l’espace de 2 ans, les forces armées afghanes doivent reprendre la responsabilité de la guerre et du pays. Pour cela, il suffit d’affaiblir les talibans. Le retrait partiel doit commencer au milieu de 2011. Les Etats-Unis ne peuvent pas continuer à financer cette guerre. Obama impose sa décision à ses généraux. Le figurant Gates n’a plus qu’à acquiescer et à transmettre la décision d’Obama.

Dans une vidéoconférence, Obama ex­plique sa décision à McChrystal: il ne veut plus entendre parler de poursuite de la guerre et de contre-insurrection. Manifestement, McChrystal ne se montre pas suffisamment compréhensif. Peu après, il est révoqué.

Probablement que c’est là la raison de sa révocation et non pas ses déclarations discutables au magazine Rolling Stone. A juste titre, Woodward ne s’attarde pas sur cette interview. McChrystal est remplacé par le général David H. Petraeus, plus docile, qui quitte le Commandement central, ce qui le fait descendre d’un rang dans la hiérarchie militaire. Il lui appartient d’appliquer la décision d’Obama. C’est ainsi que se dessine un important «retrait» des troupes américaines régulières d’Afghanistan. Comme le cancer représenté par le Pakistan et Al-Qaïda subsiste, le remède de Biden atteindra son objectif. On intensifiera la guerre contre les zones tribales au moyen de drones et de commandos de tueurs, escalade qui est d’ailleurs déjà en cours.

Jusqu’à ce «retrait» prochain, les forces armées américaines perdront encore des soldats en Afghanistan. A la fin du «retrait», il est tout à fait possible que les talibans reprennent le pouvoir dans le Sud et l’Est du pays. Le «retrait» changera la situation. Les Etats-Unis se débarrasseront de Karzaï, qu’ils soutenaient, ce dernier étant aujourd’hui impopulaire et pharmacodépendant.

A la fin du livre, on a l’impression que pour Obama, il ne s’agit plus seulement de cesser de jeter de l’argent dans le tonneau sans fond de l’Afghanistan. Il veut avant tout que son pays puisse sauver la face en Asie grâce à une pseudo-victoire et se tourner ensuite vers ses vrais problèmes géopolitiques, par ­exemple l’affrontement avec la Chine. Machiavel n’écrivait-il pas dans Le Prince qu’on ne doit jamais abandonner l’idée de la guerre, qu’il faut y penser encore plus en temps de paix qu’en temps de guerre?    

Source: www.strategische-studien.com, 18/10/10

«Plan B: partition de facto de l’Afghanistan» ou: Réédition de la stratégie Kissinger

Le 13 septembre dernier, l’ambassadeur Robert D. Blackwill, senior fellow d’Henry A. Kissinger pour la politique étrangère, membre du Council on Foreign Relations, a présenté un exposé à l’International Institute for Strategic Studies de Londres au sujet de la partition de l’Afghanistan. Il a défendu la thèse du gouvernement Obama selon laquelle la stratégie de contre-insurrection était condamnée à l’échec.
Il a proposé comme autre solution la partition de fait de l’Afghanistan par les Etats-Unis et leurs alliés. Le Sud pachtoune serait abandonné aux talibans. Grâce à leur Armée de l’air et à leurs Forces spéciales, les Américains, avec la collaboration de leurs alliés et de l’Armée afghane, libéreraient le Nord et l’Ouest des djihadistes et conserveraient ces territoires. Selon Blackwill, la partition de facto est la meilleure solution possible. Elle correspond en outre aux intérêts politiques et à la politique intérieure des USA (IISS News, septembre 2010, p. 14).
Depuis la publication du livre de Bob Woodward «Obama’s War», il est clair que les Etats-Unis vont sortir du bourbier de la guerre d’Afghanistan à partir du milieu de 2011. Mais ce retrait ne doit pas nuire aux intérêts américains. Ce sont d’autres qui paieront la note. Manifestement, on assiste là à une réédition de la stratégie vietnamienne d’Henry A. Kissinger.

Le 13 décembre 1972, la délégation nord-vietnamienne et son allié le Viêt-cong quittèrent la table des négociations de Paris où l’on discutait de la fin de la guerre du Viêt-Nam. Le président américain de l’époque, Richard Nixon, sur le conseil de son ministre des Affaires étrangères Kissinger, fit, du 18 au 29 dé­cembre 1972, bombarder Hanoi, capitale du Viêt-Nam du Nord et son port Haiphong par 200 bombardiers B-52G. 15 000 tonnes de bombes furent larguées. Cette attaque avait pour objectif de forcer la délégation adverse à revenir à la table de négociations, et le but fut atteint. Le Viêt-Nam du Nord conclut le 23 janvier 1973 un accord avec les Etats-Unis qui permit à ceux-ci de retirer leurs troupes du Viêt Nam du Sud.

Ce n’est pas le gouvernement sud-vietnamien du président Nguyen Van Thieu mais la population du Viêt-Nam du Sud qui paya le prix de cet accord. En ­octobre 1973, Kissinger reçut, avec son adversaire nord-vietnamien Le Duc Tho, le prix Nobel de la Paix. En avril 1975, le Viêt-Nam du Sud et sa capitale Saigon furent envahis par les troupes nord-vietnam­iennes et peu après le Sud fut réuni au Nord par la force. De nombreux Sud-Vietnamiens durent fuir leur pays.

Maintenant, ce sont avant tout des B-1B qui bombardent les bases des talibans en Afghanistan et leurs voies d’accès depuis le Pakistan. On cherche officiellement à forcer les chefs talibans à négocier avec le gouvernement Karzaï, ce qui devrait permettre le retrait des Etats-Unis et de leurs alliés sans nouvelles pertes.

A quoi va mener cette stratégie? Kaboul va-t-il subir le même sort que Saigon et être occupé par les talibans? Ce ne sont pas Karzaï et ses petits copains qui paieront la facture. La victime sera malheureusement la population qui a, au cours des dernières décennies, déjà beaucoup souffert des guerres, que ce soit dans le Sud en raison de l’oppression exercée par les talibans et les trafiquants de drogue ou au Nord à cause de la domination des seigneurs de la guerre.

Source: www.strategische-studien.com  du 18/10/10



Articles Par : Albert A. Stahel

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