La guerre de Gaza, un désastre pour la sécurité énergétique de l’Europe

Après le début du conflit en Ukraine il y a près de deux ans, les Européens ont imposé un embargo limité à la Russie, qui détient 6 % des réserves mondiales de pétrole et 24 % des réserves mondiales de gaz.
Cette décision stratégique a contraint l’Europe à rechercher rapidement d’autres sources d’énergie, notamment en Asie occidentale et en Afrique du Nord, régions collectivement riches d’environ 57 % des réserves mondiales de pétrole et 41 % des réserves mondiales prouvées de gaz.
Remplacer le gaz naturel russe par d’autres importations en gaz, plus coûteuses et plus problématiques d’un point de vue logistique, a coûté cher aux Européens. Mais aujourd’hui, même ces sources d’énergie secondaires pourraient être sérieusement menacées si les bombardements aveugles d’Israël sur les Palestiniens de Gaza s’intensifient et impliquent d’autres pays de cette région riche en énergie.
L’énergie d’Asie occidentale et d’Afrique du Nord
L’Asie occidentale et l’Afrique du Nord sont depuis longtemps des acteurs essentiels de la scène énergétique mondiale. Selon les données publiées par l’Agence internationale de l’énergie en 2022, cette zone représentait environ 50 % des exportations mondiales de pétrole et 15 % des exportations de gaz naturel.
Par conséquent, lorsque l’Union européenne a décidé de réduire sa dépendance à l’égard du gaz russe, elle a considéré les producteurs d’Asie occidentale et d’Afrique du Nord comme des sauveurs potentiels pour répondre aux besoins énergétiques du continent.
En 2021, l’Arabie saoudite (14,5 % des exportations mondiales de pétrole), l’Irak (7,57 %), les Émirats arabes unis (6,15 %) et le Koweït (4,21 %) sont devenus les principaux exportateurs de pétrole de la région Asie occidentale-Afrique du Nord. En ce qui concerne les exportations de gaz naturel en 2022, les principaux acteurs sont le Qatar (136,3 milliards de m3/an), l’Algérie (38,4 milliards de m3/an), l’Iran (17,7 milliards de m3/an), Oman (11 milliards de m3/an) et l’Égypte (8,9 milliards de m3/an).
Le conflit en Ukraine a entraîné une augmentation de 2 % de la consommation de pétrole en Europe. Les données relatives aux importations de pétrole de l’UE au deuxième trimestre 2023 ont révélé que l’Arabie saoudite, la Libye, l’Irak et l’Algérie étaient les principaux pays exportateurs de pétrole vers l’Union européenne, fournissant collectivement plus d’un quart des besoins en pétrole de l’Union.
À l’inverse, la consommation de gaz en Europe a chuté de 15 % au cours de la même période. Les chiffres des importations de gaz de l’UE au deuxième trimestre 2023 montrent que l’Algérie, le Qatar, Oman, la Libye, la Turquie et l’Égypte sont les principaux fournisseurs de gaz de l’UE, que ce soit sous forme liquide, ou par gazoduc. Ensemble, ces pays représentent plus d’un tiers des besoins en gaz de l’Union.
La vulnérabilité de l’Europe à une guerre en Asie occidentale
Historiquement, toute tension ou guerre importante en Asie occidentale a un impact sur les marchés de l’énergie en réduisant l’offre régionale de pétrole et en faisant grimper les prix mondiaux de l’énergie. En 2019, par exemple, lorsque les forces dirigées par Ansarallah au Yémen ont pris pour cible les installations d’Aramco en Arabie saoudite, les exportations de pétrole saoudien ont chuté de près de 5,7 millions de barils par jour.
Après le lancement d’Al-Aqsa Flood de la résistance palestinienne contre Israël le 7 octobre, les prix du gaz naturel en Europe ont grimpé de 35 %. Cette flambée a été attribuée à la fermeture d’un champ gazier au large de la côte palestinienne occupée pour des raisons de sécurité, et à l’explosion des gazoducs en mer Baltique. En bref, le conflit ukrainien et la guerre en Palestine sont entrés en collision, avec un impact négatif sur les prix de l’énergie en Europe.
Au lendemain du d’Al-Aqsa Flood, la Banque mondiale a réalisé une étude d’analyse des risques géopolitiques afin d’évaluer l’impact du conflit israélo-palestinien sur les prix mondiaux du pétrole. L’étude a classé l’escalade des tensions en trois catégories : faible, moyenne et forte.
Dans un scénario de “tensions moindres” similaire à la guerre de 2011 en Libye, la Banque mondiale prévoit une réduction de l’offre mondiale de pétrole de 0,5 à 2 millions de barils par jour, entraînant une augmentation initiale du prix du pétrole de 3 à 13 % – entre 93 et 102 dollars le baril.
Dans un scénario de “tensions moyennes”, comparable à la guerre d’Irak de 2003, la Banque mondiale prévoit une contraction de l’offre mondiale de pétrole de 3 à 5 millions de barils par jour, entraînant une hausse initiale du prix du pétrole de 21 à 35 %, soit des coûts compris entre 109 et 121 dollars le baril.
Enfin, dans un scénario de “fortes tensions” ressemblant, par exemple, à l’embargo pétrolier arabe de 1973, la Banque mondiale prévoit une réduction de l’offre mondiale de pétrole de 6 à 8 millions de barils par jour, entraînant une escalade initiale des prix du pétrole de 56 % à 75 %, avec des coûts grimpant en flèche jusqu’à 140 à 157 dollars le baril.
Une telle augmentation des prix du pétrole serait catastrophique pour l’Europe, qui doit déjà acheter des sources d’énergie à des prix élevés pour compenser la réduction de ses importations en provenance de Russie.
Si l’étude ne s’est pas penchée sur l’impact de l’escalade des tensions sur les prix du gaz naturel en Asie occidentale, elle a souligné la nature interconnectée des sources d’énergie. Lorsque l’offre de pétrole diminue, l’effet d’entraînement s’étend à d’autres sources d’énergie, les prix du gaz étant particulièrement affectés.
Déplacement de la dépendance au gaz
L’Europe est le continent le plus à même de connaître une hausse significative des prix du gaz en raison de l’abandon du gaz russe acheminé par gazoduc, entraînant une dépendance considérablement accrue à l’égard du gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par les États-Unis.
Outre les répercussions immédiates de l’escalade des tensions et de la guerre régionale imminente qui font grimper les prix du pétrole et du gaz dans le monde entier, l’Europe est confrontée à une multitude d’autres facteurs qui pourraient influencer profondément les exportations d’énergie en provenance du monde arabe.
Un conflit régional de grande ampleur impliquant les pays de l’axe de la résistance, tels que l’Iran, le Yémen, l’Irak, la Syrie et le Liban, pourrait avoir des conséquences désastreuses. Ces pays, qui ont tous accès à des mers et des détroits, pourraient perturber les routes commerciales vers l’Europe, y compris les mouvements de pétrole et de gaz liquéfié.
Le détroit d’Ormuz, situé entre Oman et l’Iran, revêt une importance considérable en tant que principal corridor énergétique mondial, puisqu’il voit passer plus d’un cinquième de l’approvisionnement mondial en pétrole et un tiers de l’approvisionnement total en gaz naturel liquéfié (GNL).
Les principaux pays exportateurs de pétrole, dont l’Arabie saoudite, l’Iran, les Émirats arabes unis, le Koweït et l’Irak, dépendent de ce passage. En outre, le Qatar, le plus grand exportateur de GNL au monde, expédie la majorité de ses exportations de GNL par le détroit. Étant donné qu’environ 20 % des flux mondiaux de GNL traversent le détroit chaque année, toute fermeture par l’Iran ou ses alliés pourrait avoir de graves répercussions sur l’approvisionnement en pétrole et en gaz de l’Europe.
Si la Palestine se vide de son sang, l’Europe en subira les conséquences
Un autre scénario possible concerne la fermeture du détroit de Bab al-Mandab, le passage stratégique qui surplombe le Yémen et constitue un pivot de la route commerciale maritime reliant la Méditerranée à l’océan Indien via la mer Rouge et le canal de Suez.
La plupart des exportations de GNL en provenance du golfe Persique empruntent cette voie et, en 2017, près de 9 % de l’ensemble du pétrole et des produits raffinés transportés par voie maritime ont transité par le détroit, dont plus de la moitié à destination de l’Europe. Une fermeture du détroit de Bab al-Mandab pourrait obliger les pétroliers en provenance du golfe Persique à contourner la pointe sud de l’Afrique, ce qui entraînerait une augmentation du temps de transit et des coûts d’expédition.
L’Europe se retrouverait face à un choix cornélien : accepter des prix exorbitants pour un flux continu de pétrole et de gaz, entraînant de graves difficultés économiques, ou revoir sa position à l’égard du gaz russe, ce qui serait perçu au niveau international comme un retour en arrière humiliant.
L’UE s’est d’abord tournée vers l’Asie occidentale pour compenser la diminution de son approvisionnement en gaz russe, même si cela signifiait des coûts plus élevés. Toutefois, la perspective croissante de voir la guerre en Palestine se transformer en un conflit à l’échelle régionale jette désormais un sérieux doute sur la fiabilité des livraisons de pétrole et de gaz d’Asie occidentale à l’Europe. Toute escalade du conflit entraînera probablement une flambée des prix de l’énergie, et portera un coup dévastateur à des secteurs clés de l’économie européenne, notamment l’Allemagne.
En prévision de la crise imminente, le chancelier allemand Olaf Scholz s’est discrètement mis en quête de sources d’énergie alternatives : la semaine dernière, il s’est rendu au Ghana et au Nigeria dans l’espoir de trouver de nouvelles sources d’énergie pour l’Europe.
Alors qu’Israël intensifie ses bombardements sur Gaza avec des armes américaines et européennes, le risque est de voir apparaître de nouveaux fronts de combats ouverts par des éléments militairement plus sophistiqués de l’axe de résistance de la région, et de déclencher des escalades massives dans toute l’Asie de l’Ouest, précipitant potentiellement l’Europe vers un gouffre économique.
L’époque où l’Europe jouissait d’une prospérité constante tandis que l’Asie occidentale subissait les conséquences des politiques israélo-occidentales est depuis longtemps révolue. L’axe de la résistance, associé au poids croissant des puissances multipolaires comme la Russie et la Chine, dispose désormais des capacités et arguments nécessaires pour défier l’axe occidental, de Washington à Bruxelles en passant par Tel-Aviv, et remodeler fondamentalement le marché mondial de l’énergie tel que nous le connaissons.
Mohamad Hasan Sweidan
Image en vedette : The Cradle
Article original en anglais : Axis of Resources: Gaza war spells disaster for Europe’s energy security, The Cradle, le 8 novembre 2023.
Traduction : ssofidelis.substack.com