La guerre de l’OTAN contre les talibans et al-Kaida
Fiction versus réalité?
En principe, le terrorisme comme phénomène de la violence, n’est pas un fait nouveau. Les administrations US ont lutté à l’échelle mondiale, dès les années quatre-vingts du siècle dernier, avec des instruments policiers et militaires, contre les organisations terroristes. Mais c’est le 11 septembre 2001 qui a ouvert une nouvelle dimension dans l’utilisation des forces armées. L’administration Bush, avec sa déclaration de guerre «War on Terror», mène une véritable guerre tant en Asie qu’en Afrique. L’Afghanistan et l’Irak en sont le centre. En principe, le terme de «guerre» est déplacé dans ce contexte, mais c’est seulement une minorité qui s’en rend compte. On ne fait pas la guerre contre un phénomène, mais on la fait contre un Etat ou une organisation et ici, il s’agit du réseau international de l’al-Kaida.
Mais ce réseau du terrorisme international, existe-t-il vraiment? A cette question, on ne peut répondre qu’en se fondant sur le théâtre belliqueux qui se joue en Afghanistan, en tenant compte notamment de la situation dans le sud du pays où les forces de l’OTAN doivent faire la guerre. Ces activités belliqueuses se distinguent par une caractéristique intéressante: C’est le centre de la production mondiale de pavot. Les deux provinces de Helmand et de Kandahar fournissent plus de 50% des substances brutes de cette drogue produite en Afghanistan. La seule province de Helmand en fournit 40%. 300 à 500 négociants en gros contrôlent le commerce d’opium de cette province qui est ensuite transformé en héroïne. Quelques-uns de ces négociants se sont même approvisionnés en opium, pour les prochaines 4 à 5 années, d’au moins une tonne d’opium. Ces grands commerçants déploient leurs activités aussi dans les autres régions de l’Afghanistan. Les deux provinces mentionnées sont désignées de points de jonction du commerce de l’opium. Au total, l’Afghanistan est fournisseur de plus de 85% de la production mondiale d’opium.
Selon le rapport récemment publié par l’Onu et la Banque Mondiale, édité par Doris Buddenberg et William A. Byrd – «Afghanisan’s Drug Industry» – en Afghanistan, plus de 25 à 30 personnes se trouvent à la tête du commerce de la drogue, qui proviennent de l’Afghanistan du sud, mais qui sont étroitement liées avec le gouvernement à Kaboul: «And balances ‹Appears to be exercised to ensure smooth flows of narcotics and protection payments›».
Sans la protection de personnalités de haut rang du gouvernement Karzai, ce cercle de la drogue, appartenant à la Criminalité Organisée, ne pourrait pas exister. Il domine – à l’exception de la province septentrionale de Badakhshan – tout l’Afghanistan et aurait totalement corrompu le ministère de l’intérieur. Celui-ci tient une main protectrice au-dessus des dealers, et par là, au-dessus de la Criminalité Organisée. Il est intéressant de savoir que c’est précisément dans les provinces du Sud de l’Afghanistan que l’OTAN mène une guerre contre les talibans, qui – à ce qu’on dit – seraient, eux aussi, liés avec la Criminalité Organisée et les marchands de drogues. Cette guerre servirait à l’élimination des bases talibanes, qui offrent leur protection au réseau international de l’al-Kaida. Ici, d’autre part, une analyse exacte de la tactique de l’OTAN s’impose. Dans le cas de ces bases, qui sont détruites par des bombardements d’avions de combat – Harrier, F-16 – avec des bombes dirigées par laser et l’artillerie avec munition-bidon, il s’agit en général de fermes armées (Qala) des Patchounes. Ce ne sont pas les talibans qu’on élimine, au contraire, d’anodines personnes civiles sont massacrées, dont la mort figurera dans le bilan positif du Bodycounting.
Bien que les massacres touchent seulement la population civile – le vrai but de ces opérations pourrait-ce être l’élimination des dealers de drogues? Point du tout, ceux-là, on les trouve, bien protégés, à Kaboul ou à Kandahar. Selon le rapport précité, il ne peut être question de démantèlement du cercle de drogues, tout au contraire: il fleurit et s’élargit.
Pourquoi donc ces batailles, qui se déroulent précisément dans les provinces de Kandahar, Uruzgan et Helmand, centre de la culture de drogues en Afghanistan? Quel but poursuit-on avec ces prétendues attaques contre les talibans? Par hasard, c’est à travers de Helmand et Kandahar qu’on a projeté le déplacement du pipeline de l’Asie centrale, avec lequel le gaz turkmène doit être pompé vers le Pakistan et l’Inde. Ce gaz contribuera aussi à l’essor ultérieur de l’économie de l’Inde. Il est évident qu’avec la guerre dans l’Afghanistan du sud, l’existence de la politique d’expansion et de force américaine doit être camouflée. Avec «War on Terror», la guerre au terrorisme, l’administration Bush poursuit ce but. La destruction du fictif réseau al-Kaida est donc bel et bien une fiction.
Albert A. Stahel est Professeur titulaire à l’Université de Zurich, Institut pour les sciences politiques, Département relations internationales; Expert en stratégie et Directeur de l’Institut pour les Etudes stratégiques
Horizons et débats, 22 janvier 2007