La guerre de la « corne de bouc »

Corne de bouc, tel est le nom populaire donné à la mythique AK 47, mieux connue sous le nom de kalachnikov, arme préférée des groupes de narcotrafiquants au Mexique. Dans cet article, un retour sur la situation de violence générée par la guerre entre les cartels de la drogue.

Peut-être que jamais les historiens ni les analystes politiques ne pourront démêler toutes les conséquences générées par l’attentat du 11 septembre 2001, mais l’on n’aurait pas pu imagi-ner qu’une guerre entre les narcotrafiquants mexicains ait pu en résulter.

Dans les durs affrontements entre les cartels du Golfe et de Sinaloa, un protagoniste, se dégage : l’AK-47, la mythique kalachnikov, appelé fami-lièrement au Mexique « corne de bouc » à cause de son chargeur courbe de 70 balles.

La maniabilité de cette arme l’a rendue extrêmement populaire dans les troupes d’assaut que les chefs narcotrafiquants supervisent du fond de leur clandestinité ou des prisons.

La guerre de la corne de bouc a laissé, au cours des six ans de pouvoir de Vicente Fox (2001-2006), 9 000 morts, c’est-à-dire quatre morts par jour ou 1 500 morts par an, dans la lutte pour le contrôle des places, des zones de culture et des centres de réception et de distribution, en plus des commerces liés au crime comme les paris illégaux, les combats de coqs, la traite des blanches et la vente de drogue au détail.

Ces combats se sont intensifiés à partir de 2005. Si nous tenons en compte les 3 001 soldats américains tués en Irak entre février 2003 et la fin de 2006, nous serons troublés par le chiffre de 6 000 morts dus aux affrontements entre les cartels, dans la république mexicaine, au cours de cette même période.

Dédaignant n’importe quel pacte, la guerre atteint absolument tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre se retrouvent à proximité du conflit : journalistes, policiers, fonctionnaires et même les familles des capos, qui avaient toujours été protégées par une loi non écrite qui n’est plus respectée.

Au début des années 80, le narcotrafic n’était pas considéré comme une affaire importante par les groupes de contrebandiers mexicains qui opé-raient dans la frontière avec les États-Unis.

En 1982, le président Reagan déclara la guerre contre les drogues et mit le commandement de cette lutte aux mains de son vice-président George H. Bush qui, de Miami, dirigea la création d’un barrage de contrôles aériens et maritimes pour les navires colombiens qui arrivaient, débordants de cocaïne, par les Caraïbes. Les cartels colombiens se sont adaptés aux changements et ont commencé à négocier avec les petits contrebandiers mexicains au sujet des routes d’accès de leur marchandise aux états de l’Union. Près d’une décennie plus tard, un nouveau coup du destin va à nouveau modifier le panorama des ceux qui sont déjà devenus des cartels mexicains. Les grandes organisations colombiennes de narcotrafic, surtout celles de Medellin et de Cali, subissent des coups foudroyants dans leurs infrastructures.

Les chefs les plus importants, comme Pablo Escobar Gaviria, Gilberto Rodriguez Orejuela, Jose Santacruz Londono, les frères Ochoa et Gonzalo Rodriguez Gacha sont morts, détenus ou extradés ; bref, inopérants. Les Colombiens en arrivent à perdre la distribution finale de leur marchandise aux États-Unis et, ergo, les revenus exorbitants qu’elle génère.

Le kilo de cocaïne se vend, en Colombie, à 2 500 dollars et, au Mexique, il atteint les 8 500 dollars. Dès qu’il traverse la frontière avec les États-Unis, son prix monte à 12 000 et, à New York, Les Angeles et dans d’autres villes, il monte à 35 000 et 45 000 dollars.

Les cartels mexicains commencent à générer des revenus qui dépassent le budget annuel du FBI. Le cartel de Juarez, à ses meilleures époques, obtient des revenus de deux cent millions de dollars par semaine. La fortune de Miguel Angel Felix Gallardo, capo du cartel de Guadalajara, est estimée à dix mille millions de dollars. Le cartel de Guadalajara arrive à produire près du 50 % de la drogue commercialisée dans le monde. Lorsque Felix Gallardo est arrêté en 1989, celui qui fut le puissant cartel de Guadalajara, commence une lente descente jusqu’à se fractionner, à nouveau, en de petites organisations sans transcendance.

C’est alors qu’arrive Amado Carrillo Fuentes, le mythique « Seigneur des cieux », leader du cartel de Juarez et le plus important des narcotrafiquants mexicains, ainsi nommé à cause de la flotte d’avions qu’il a pour inonder de cocaïne le marché nord-américain, et qui met en place le mécanisme qui va permettre aux cartels de travailler sans ingérence entre eux.

Or, au matin de cet ensoleillé 11 septembre 2001, en même temps que la destruction des tours jumelles du World Trade Center, tout se complique pour les cartels mexicains. Chacun d’entre eux compte avec sa niche commerciale, avec ses points de passage, avec sa chaîne de distribution et ses revenus du marché du nord si lucratif. Chaque cartel a son segment de frontière et travaille, impliqué dans la corruption des autorités policières, frontalières et politiques des deux côtés de la frontière.

Les liens entre les politiciens et le narcotrafic sont si évidents et éhontés que des fonctionnaires municipaux, étatiques et fédéraux font acte de présence sans se cacher dans les funérailles de quelques grands chefs narcotrafiquants. L’on soupçonne que la plupart des municipalités gouvernées par le Parti Action Nationale (Partido Acción Nacional, PAN), des présidents Vicente Fox et Felipe Calderon, sont pratiquement achetées par le pouvoir narco.

La frontière du nord, longue de 3 200 km, a toujours été une zone submergée de conflits. Les milliers d’immigrants illégaux qui, chaque jour, se voient frustrés de leur rêve de « passer de l’autre côté », l’énorme commerce légal, la contrebande et les activités de narcotrafic, la transforment en une zone de problèmes exaspérants. Par exemple, 36 % du commerce entre le Mexique et les États-Unis passent par la ville de Nuevo Laredo ; par ses ponts internationaux, huit mille véhicules et 36 000 personnes circulent tous les jours. Ce flux constant rend impossibles les contrôles efficaces et c’est dans ces zones que les narcotrafiquants concentrent leurs efforts de domination.

La première réaction du gouvernement fédéral des États-Unis aux attentats du 11 septembre, a été de fermer hermétiquement ses frontières. Les pilotes suicides d’Ossama Ben Laden ont aussi annihilé le paisible monde du narcotrafic mexicain. Depuis lors, tout est devenu terrain pour intrigues, embûches, vengeances. La disparition d’Amado Carrillo Fuentes et la nouvelle réalité post 11 septembre, dans la frontière et dans le monde, ont généré une dynamique de balkanisation dans les cartels, d’où ont surgi des structures plus petites, violentes et sans les codes imposés par l’existence du « seigneur des cieux ». Le « seigneur des cieux » est décédé le 4 juillet 1997, dans la phase postopératoire d’une chirurgie esthétique qui aurait changé son apparence si populaire dans les services de sécurité comme la Drug Enforcement Administration (DEA) .

Au bout de cette opération, qui dura huit heures, Carrilo Fuentes succomba aux complications cardiaques provoquées par un des médicaments. Les médecins impliqués furent « exécutés » quelques jours plus tard, par des tueurs à la solde du cartel de Juarez.

Ce cartel, qui est la plus grande organisation criminelle de l’Amérique latine, se retrouva à la tête d’une structure articulée où se firent remarquer les frères d’Amado, Vicente et Rodolfo, Ismael Zambada et le chef de Sinaloa, Joaquin Guzman.

Le cartel du Golfe, dirigé depuis la prison à sécurité maximale de Las Palmas, par Osiel Cardenas Guillen, détenu en mars 2003 et prêt à être extradé aux États-Unis, compte avec l’appui de Benjamin et Francisco Arellano Felix, têtes du cartel détruit de Tijuana. Dans ce pacte, conçu à Las Palmas, ils ont déclaré la guerre au cartel de Sinaloa-Juárez et, pour montrer le sérieux de leur projet, entre novembre et décembre 2004, ils ont exécuté Miguel Angel Beltran, et Arturo Guzman, tous les deux membres importants du cartel de Sinaloa. En janvier 2006, dans ce pénitentier, après une grève de la faim qui se transforma en une mutinerie, l’armée dut déployer dix-huit chars d’assaut autour du périmètre pour éviter que Cardenas Guillen et ses associés de la famille Arellano Felix, ne soient libérés par les Zetas, l’équipe de choc du cartel du Golfe. Le pacte se poursuivit au-delà de l’échec de la fuite et leur permit de s’installer dans presque tout le territoire me-xicain, incluant le District fédéral.

Osiel Cardenas Guillen atteignit le sommet de l’organisation après la mise en détention de Juan Garcia Abrego, empri-sonné à Houston (Texas) depuis 1996 ; et après une suite d’assassinats, dont l’un commis sur un ancien capo, Salvador Gomez Herrera. L’une des victimes les plus remarquables d’Osiel fut Guillermo González Calderoni, l’un des principaux policiers affectés au cartel du Golfe, tué en 2003, qui fut un témoin protégé de la DEA et du FBI, et dont le témoignage fut essentiel pour mettre Juan Garcia Abrego en prison. Osiel Cardenas Guillen intègre au cartel du Golfe une puissante branche armée connue sous le nom de Los Zetas, dirigée par l’ex-officier de l’armée, Arturo Lazcano alias El Lazca ou Zeta-3. Cette organisation de tueurs est composée de déserteurs des Forces armées mexicaines, en particulier du Groupe aéromobile de Forces Spéciales (Grupo Aeromóvil de Fuerzas Especiales – GAFES), qui ont reçu un entraînement en lutte anti-émeute dans la fameuse Escuela de las Américas (École des Amériques), transférée à Fort Benning (Géorgie) en 1984 ; et ont fait face, en 1994, à la guérilla zapatiste de Chiapas. Les Zetas sont chargés de diriger, entraîner et équiper le groupe de choc d’Osiel et ont des accointances dans plusieurs états. Toujours habillés en noir, ils se déplacent en voitures blindées et en 4×4, ils utilisent des pistolets mitrailleurs allemands, les MP5, difficiles à trouver dans le marché noir, en plus des habituelles cornes de bouc. Leur armement inclut aussi des lance-grenades, des grenades à fragmentation – acceptées incontestablement par les tueurs – des mitrailleuses de 50 mm, des missiles sol-air SAM-7, de fabrication russe. Ils recourent, également, à des hélicoptères équipés de lance-fusées. Ils sont experts en torture, extorsion et enlèvements. Une autre partie du groupe de choc du cartel du Golfe est composée par les kaibiles, qui sont des commandos de soldats d’élite de l’armée du Guatemala, possédant aussi un entraînement en lutte anti-émeute et en tortures.

Les kaibiles, dont les pratiques sont bien connues des paysans et des milliers de disparus, morts et torturés pendant la dictature du génocidaire Efrain Rios Montt, furent mis à la retraite par la signature des accords de paix en 1996, entre le gouvernement du Guatemala et l’Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca – URNG). Plusieurs des membres de ces commandos trouvèrent un emploi auprès des cartels mexicains qui dupliquèrent leurs salaires antérieurs.

Pour des missions très ponctuelles comme les exécutions de fonctionnaires, les cartels emploient des mercenaires nord-américains, britanniques et israéliens, avec des honoraires qui varient entre 50 000 et 250 000 dollars.

Une autre façon de faire passer de la drogue depuis le 11 septembre, est par voie souterraine. Le problème des tunnels a augmenté en Arizona, en Californie, au Nouveau Mexique et au Texas. Pour y faire face, le gouvernement nord-américain applique la même technologie uti-lisée dans la recherche infructueuse de Ben Laden, dans les rochers de Tora Bora, en Afghanistan.

Ces constructions sont exploitées surtout par les cartels de Tijuana, de Juarez et du Golfe. Des agents nord-américains ont découvert un tunnel de plus de 600 mètres, entre Tijuana et San Diego, par où ont été transportés 70 000 millions de dollars en cocaïne en quatre ans.

Au cours de l’année 2006, la violence s’est concentrée dans l’état de Michoacan, l’un des principaux producteurs de pavot et de marihuana, et où se trouve le port Lazaro Cardenas donnant sur le Pacifique, par où transitent quotidiennement quelques 2 000 containers. Cet état possède, également, 200 km de côtes sauvages qui sont devenues une gigantesque porte d’entrée pour la drogue qui arrive de la Colombie par différents moyens.

Au Michoacan, l’on a enregistré la moitié des crimes commis dans le pays et c’est le premier endroit qui doit être nettoyé par le nouveau et illégitime gouvernement de Felipe Calderon et où se sont déployés 7 000 effectifs militaires et policiers sous le commandement du général Manuel Garcia Ruiz. Les grands rivaux du cartel du Golfe se retrouvent dans la conjonction du cartel de Sinaloa, dirigé par Joaquín Guzmán, et de celui de Ciudad Juarez, qui ont commencé à cultiver et à fabriquer de la drogue dans le territoire des États-Unis, dans les parcs nationaux d’Arizona, du Nouveau Mexique, de la Californie, de Washington, de l’Utah, du Kentucky et de l’Oregon. Le cartel de Sinaloa-Juarez compte aussi avec ses propres groupes de choc intégrés par des membres des forces armées et de diverses affiliations régionales comme les Negros, les Güeritos, les Contras, les Pelones, les Chachos, les Lobos et les Texas, les archi-connues Maras MS-13 et, enfin, Salvatrucha, omniprésente dans toutes les manifestations de violence sociale depuis El Salvador jusqu’à Los Angeles ; et tous ces groupes sont équipés avec des armes très sophistiquées et avec les irremplaçables cornes de bouc.

Dans un petit local appelé « Sol y Sombra » , de la ville d’Uruapan, dans l’état mexicain de Michoacan, quinze individus sont arrivés à bord de trois camionnettes. Ils avaient la tête couverte d’une capuche et étaient de noir vêtus, avec des gilets de l’Agence fédérale d’investigation (AFI) . Les paroissiens et leurs compagnes se jetèrent par terre dès qu’ils entendirent charger les cornes de bouc, tout ne fut que prière tandis que les rafales des balles AK-47 prirent la place de la musique, percutant la lourde atmosphère. Deux des visiteurs ouvrirent un sac de plastique noir et, en une étrange oblation, tapissèrent l’endroit avec cinq têtes humaines. Ils partirent en silence par où ils étaient arrivés. Personne ne se leva jusqu’à longtemps après que le bruit de la dernière camionnette se soit fondu pour toujours dans la nuit et que les échos des cornes de bouc se soient dissous dans le vide.



Articles Par : Guadi Calvo

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