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La guerre du Liban prépare-t-elle celle de l’Iran ?
Par Prof. James Petras
Mondialisation.ca, 12 septembre 2006
12 septembre 2006
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Une recension des déclarations de l’État israélien, des documents et communiqués de presse repris par ses représentants locaux en la personne des présidents des principales organisations juives des États-Unis et de leurs partisans s’exprimant dans les principaux médias tant écrits qu’audiovisuels révèle un effort concerté visant à convaincre les États-Unis d’attaquer militairement l’Iran. Dès le milieu des années 1990, les principaux idéologues israéliens aux États-Unis ont promulgué des documents et des manifestes de propagande ayant la prétention d’être des feuilles de route stratégiques destinées à éclairer une agression conjointe états-uno-israélienne contre l’Irak, la Syrie et plus particulièrement l’Iran [1].

Alors même que les ruines du 11 septembre étaient encore fumantes, les idéologues israéliens en vue, le sénateur Lieberman et le sous-secrétaire à la Défense Wolfowitz exhortaient Washington à attaquer l’Iran en lançant des guerres soit séquentielles, soit simultanées. Œuvrant aux priorités régionales d’Israël, ses représentants au sein du gouvernement états-unien, au Pentagone (Wolfowitz, Feith & Shulsky), au Conseil de Sécurité Nationale (Abrams), au cabinet du vice-président (« Scooter » Libby) et au cabinet du président (Frum, le plumitif de Bush) ont falsifié des renseignements, donné les grandes lignes de la propagande (Guerre contre la Terreur, Axe du Mal) et planifié la guerre contre l’Irak, avec l’assentiment quasi unanime du Congrès, obtenu et verrouillé par leur lobby. Ils obtinrent ensuite un boycott de la Syrie par les États-Unis et un soutien à l’expropriation et à la colonisation, par Israël, de territoires palestiniens en Cisjordanie, ainsi que la destruction de la bande de Gaza. Alors même que l’invasion états-unienne avait été incapable de s’assurer du contrôle de l’Irak, les représentants d’Israël au sein du gouvernement états-unien ont bel et bien réussi à détruire la société irakienne et sa capacité de soutenir la résistance palestinienne, augmentant encore la puissance régionale d’Israël (avec un coût exorbitant pour les États-Unis).

Bien que les États-Unis eussent été en guerre avec l’Irak, bien qu’ils eussent subi plus de 20 000 pertes entre tués et blessés, bien que leur guerre eût entraîné des dépenses dépassant 430 milliards de dollars, bien que l’essentiel de leurs troupes eussent été dangereusement dispersé, les représentants d’Israël au sein de l’Exécutif et du Congrès, à travers leur lobby, poussaient les États-Unis à procéder à une attaque préemptive contre l’Iran.

Au sein du gouvernement états-unien, les représentants d’Israël étaient confrontés à plusieurs types d’objection, provenant du Département d’État et d’officiers d’active, contre une attaque militaire préemptive contre l’Iran :

– 1. Une attaque contre l’Iran risquerait d’entraîner une invasion (iranienne) de grande envergure en Irak, à travers la frontière, mettant en danger la position déjà précaire des troupes états-uniennes ;
– 2. Le Hezbollah, la Syrie et d’autres alliés de l’Iran feraient sans doute preuve de solidarité avec celui-ci, et lanceraient rapidement des représailles contre des clients des États-Unis au Liban, dans les pays du Golfe et ailleurs au Moyen-Orient ;
– 3. Une telle attaque isolerait totalement les États-Unis de leurs alliés européens, arabes et asiatiques, contraignant les États-Unis à assumer à eux seuls la totalité du coût humain et matériel de la guerre ;
– 4. L’Iran pourrait bloquer le détroit d’Hormuz, stoppant le flux pétrolier à destination de l’Europe et de l’Asie.
Préparatifs de guerre

Répondant à ces objections, les représentants d’Israël aux États-Unis ont formulé une série de politiques permettant de les contourner.

Tout d’abord, ces représentants, conjointement à la police secrète israélienne et à ses collaborateurs libanais, et avec l’approbation d’un conseil de sécurité de l’Onu totalement dominé par les États-Unis, ont réussi à impliquer la Syrie en lui collant sur le dos l’organisation de l’assassinat, le 14 février 2005, de l’ex-Premier ministre Rafic Baha’eddin Al-Hariri, sur la base de témoignages bidons obtenus d’un unique « témoin » parjuré. Sur cette base, les « Nations-États-Unis » ont contraint la Syrie à retirer ses forces du Liban, espérant ainsi isoler le Hezbollah ainsi que d’ autres mouvements anti-coloniaux et anti-impérialistes. Une fois la Syrie sortie du Liban, les États-Unis, avec le feu vert israélien, se sont assurés d’un régime lige à Beyrouth, un régime, toutefois, qui n’avait quelque influence que dans le centre-nord du pays. Le Hezbollah demeurait la force la plus importante au Sud Liban et dans la majorité du Sud de Beyrouth, et il était totalement immunisé contre toute machination militaire imaginée par le gouvernement de Beyrouth.

En 2004, les États-Unis et la France co-sponsorisèrent la résolution 1559 de l’Onu qui en appelait au « démantèlement et au désarmement de toutes les milices tant libanaises que non-libanaises ». Cette interférence extraordinaire dans les affaires intérieurs du Liban, de la part du conseil de sécurité, était manifestement une mise en condition en vue de l’invasion israélienne de 2006.

Washington, en coordination avec Israël, poursuivit sa « tactique du salami », entamant peu à peu tous les opposants réels ou supposés au contrôle états-uno-israélien total de la région. En isolant la Syrie, en détruisant Gaza et en « cernant » le Hezbollah (c’est du moins ce qu’ils croyaient), ils pensaient être en train de s’approcher d’une mise en quarantaine de l’Iran. En juin 2006, Israël entreprit d’envahir et de détruire Gaza, d’arrêter les dirigeants politiques du Hamas afin d’installer un nouveau régime vassal. Le même mois, le conseiller présidentiel ès questions moyen-orientales, Elliot Abrams, en consultation étroite avec le commandement militaire israélien, donna le feu vert à l’invasion du Liban, afin de détruire le Hezbollah, en vue de la réalisation de l’objectif stratégique consistant à isoler l’Iran et à surmonter les craintes des militaires états-uniens au sujet des représailles qui ne manqueraient pas de suivre un bombardement préemptif de l’Iran.

Parallèlement à l’invasion états-uno-israélienne coordonnée du Liban et de Gaza, Washington et le lobby pro-israélien travaillaient la piste diplomatique. Ils voulaient s’assurer de l’approbation de l’Onu à un boycott multilatéral, visant à contrer le programme – parfaitement légal – d’enrichissement d’uranium par l’Iran. Dans le cas de Gaza, le lobby s’était assuré de l’ approbation unanime, par la Maison-Blanche, le Congrès et les mass media, de la qualification d’ « organisation terroriste » du Hamas, une organisation légalement élue. Paradoxalement, le président Bush avait soutenu des « élections libres » dans les territoires palestiniens, et même la décision de participer à ces élections, prise par le Hamas. Le lobby avait dès lors emboîté le pas à la reconnaissance par Bush de la nature « libre et démocratique » du processus électoral palestinien, en faisant pression (avec succès) sur le Congrès et la Maison-Blanche afin qu’ils suppriment toute aide et tout contact avec le gouvernement Hamas démocratiquement élu ! La Maison-Blanche fit, à son tour, pression sur l’Union européenne afin qu’elle rentre dans le rang. Israël coupa toutes les routes du commerce et des approvisionnements vitaux, et il refusa, en toute illégalité, de reverser les taxes dues au gouvernement nouvellement élu. Israël entreprit ensuite d’ asphyxier totalement l’économie palestinienne (le lobby s’assurant, comme toujours, de l’aval des États-Unis à la politique israélienne).

Après six mois de campagne meurtrière, Israël fit monter l’escalade de ses incursions armées dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, tuant délibérément des civils, des familles entières et des enfants occupés aux activités les plus innocentes, comme une sortie familiale sur la plage. Ces provocations israéliennes grotesques avaient pour but de pousser le Hamas démocratiquement élu à rompre son cessez-le-feu unilatéral, qu’il respectait depuis dix-sept mois. Une attaque palestinienne visant à mettre hors d’état de nuire l’emplacement d’un tank israélien qui, depuis la proximité de la frontière, bombardait Gaza, et la capture d’un soldat israélien servirent de prétexte à une invasion de Gaza à grande échelle. Le gouvernement israélien détruisit systématiquement la plupart des infrastructures vitales (traitement des eaux, centrales électriques, réseau d’égouts, ponts, routes, hôpitaux et écoles) et arrêta les hauts dirigeants tant de l’exécutif que du législatif de l’Autorité palestinienne démocratiquement élue. Israël a tué plus de 251 Palestiniens au cours des deux premiers mois de sa campagne « Pluie d’été » contre Gaza, blessant plus de 5 000 personnes – très majoritairement des civils) [2]. En raison de la débâcle qu’il a subie au Liban, Israël a déchaîné une campagne massive dans le style « tuer, et détruire ».

Le lobby pro-israélien a fait taire toute dissension et s’est assuré un aval quasi unanime au Congrès et un aval automatique au sein de l’exécutif états-unien à la politique d’Israël envers Gaza. L’étranglement de Gaza par Israël a affaibli toute opposition organisée palestinienne à une attaque préemptive contre l’ Iran.

Là où l’invasion militaire du Liban a échoué à détruire le Hezbollah, le lobby a réussi à pousser les États-Unis à lui garantir une victoire diplomatique majeure au moyen de l’adoption de la résolution 1701 du conseil de sécurité de l’Onu précisant les conditions de ce qu’il est convenu d’ appeler une « cessation des hostilités ». Cette résolution, de A jusqu’à Z, était une duplication mot pour mot des objectifs stratégiques israéliens : destruction du Hezbollah, division du Liban, garantie de la primauté militaire israélienne au Liban et isolation de l’Iran. L’approbation de cette résolution fit suite au processus habituel en plusieurs étapes : Israël en a fixé les termes, et son lobby a mis son appareil en ordre de bataille, afin de pousser le Congrès et la Maison-Blanche. Washington a présenté la résolution au Conseil de sécurité, et il a mis la pression sur les pays qui en sont membres afin qu’ils l’approuvent. La résolution fut approuvée, et les processus militaire, économique et diplomatique furent mis en branle, Kofi Annan servant de petit télégraphiste à la stratégie états-uno-israélienne.

Dire que la résolution de cessation des hostilités est « unilatérale » et biaisée en faveur d’Israël est un euphémisme. Le problème réside dans les termes mêmes et les attendus de la résolution. Israël a envahi le Liban. Un État qui en envahit un autre, détruit toute une infrastructure civile, 15 000 logements, et tue plus de 1 100 des citoyens de cet autre pays, est normalement considéré par le droit international comme un « État agresseur ». Une zone tampon, ou une zone démilitarisée, quitte à ce qu’il y en ait une, devrait être située à l’intérieur des frontières du pays agresseur – soit à vingt kilomètres à l’intérieur de la frontière israélienne. Cela devrait d’autant plus être le cas que c’est Israël qui a bombardé le Liban le premier et qui a envahi ce pays, et non le contraire. Mais, en lieu et place, la résolution prévoit que les forces de l’Onu occuperont le territoire libanais et en élimineront ses résistants nationaux de première ligne – à savoir le complexe de bunkers et de tunnels sous-terrains que le Hezbollah et la résistance libanaise avaient aménagés, en guise de défense civile contre les agressions des missiles, des bombes, de l’artillerie et de l’infanterie d’invasion.

Ensuite, la résolution de l’Onu en appela au déplacement, à la dissolution et au désarmement des défenseurs du pays envahi (le Hezbollah) en lieu et place du désarmement des envahisseurs (les Forces israéliennes de défense (sic) – Tsahal). Dans la lignée de la stratégie israélienne, cette proposition visait à accomplir militairement, au moyen de l’Onu, ce qu’ Israël avait été incapable de réaliser.

Tertio, alors que la résolution proposait que le Hezbollah soit contraint à rendre ses armes, ou tout du moins à les« cacher », les armes israéliennes, ainsi que ses soldats d’occupation et ses survols aériens demeuraient intacts à l’intérieur du Liban, prêts et impatients pour bombarder et attaquer la résistance libanaise comme l’ont déclaré publiquement, à plusieurs reprises, le Premier ministre et le ministre de la Défense israéliens (et comme ils l’ont mis pratique, à plusieurs reprises).

Quatrièmement, le Hezbollah a approuvé la cessation des hostilités, ce qu’Israël n’a pas fait. Israël maintient ses blocus maritime et aérien, qui sont des « actes de guerre » d’après le droit international, et se réserve le « droit » d’envoyer sans entraves ses commandos et ses escadrons de la mort à l’intérieur du territoire libanais. Ni les Nations Unies, ni Kofi Annan n’ont dénoncé les violations de la cessationd es hostilités perpétrées par Israël. Les États-Unis, par ailleurs, les ont entérinées.

Cinquièmement, Israël a insisté et la résolution de l’Onu a proposé que des troupes libanaises patrouillent la frontière, pourchassent et détruisent les armes et les militants du Hezbollah, espérant ainsi promouvoir une guerre civile confessionnelle et diviser le Liban en un État fragmenté et incapable de fonctionner en lieu et place du gouvernement de coalition (incluant le Hezbollah) existant avant et durant l’invasion israélienne. Le Hezbollah ne s’est pas opposé au déploiement de soldats libanais sur les frontières libanaises ; il a même plutôt fraternisé avec eux.

Dans cette résolution – de loin la plus perverse de toutes les résolutions de cessation d’hostilités adoptées jusqu’ici – l’agresseur (Israël) conserve ses armes, peut poursuivre son occupation de terres, de l’espace aérien et maritime du Liban, et intensifie ses acquisitions d’armes offensives. Son lobby pousse les États-Nations-Unis à encercler le Hezbollah, à contrôler la frontière libano-syrienne (le Liban perdant, du même coup, sa souveraineté) et met un terme au flux d’armes défensives, quelle qu’en soit la nature, destiné à compenser l’arsenal entamé par la défense du pays contre les envahisseurs israéliens.

La résolution états-nations-unis-israélienne vise à isoler la résistance libanaise de la Syrie et de l’Iran, et à affaiblir toute solidarité arabe commune, au cas (et au moment) où l’Iran et la Syrie seraient attaqués.

Kofi [le Gaffeur] Annan, nominalement secrétaire général des Nations Unies, mais connu par les gens introduits aux Nations unies comme étant le petit télégraphiste de Washington – et donc du lobby pro-israélien – a effectué une mission dite de « paix » au Moyen-Orient. Son propos n’était pas d’ouvrir des négociations au sujet d’un échange de prisonniers entre le Hezbollah / Liban et Israël, mais bien de garantir la libération inconditionnelle des deux prisonniers de guerre israélien capturés. Jamais, à aucun moment, n’a-t-il fait mention de la demande fondamentale des Libanais, à savoir la libération du millier de civils et combattants libanais illégalement emprisonnés et souffrant dans les geôles israéliennes, dont beaucoup le sont depuis des années, sans qu’aucune accusation n’ait été formulée à leur égard, car sans procès. La Syrie ayant accepté de travailler avec Annan à un accord réciproque de libération de prisonniers entre Israël et le Liban, et Israël ayant rejeté cette proposition, Annan a refusé de critiquer l’intransigeance israélienne, et il a continué à se faire le porte-parole des exigences israéliennes d’une libération inconditionnelle et unilatérale des prisonniers israéliens.

Il est clair qu’Israël et son lobby états-unien s’efforcent de miser sur la résolution de cessation des hostilités pro-israélienne et sur sa mise en application afin d’élargir et d’approfondir leur immixtion dans la politique intérieure libanaise, d’en contrôler la politique sécuritaire et d’en éroder la souveraineté en achetant des secteurs entiers des élites beyrouthines au moyen d’ « aides à la reconstruction », tout en maintenant Israël sur pied de guerre à la fois à l’intérieur, tout autour et au-dessus du Liban.

Cet accord dit de « cessez-le-feu » est en fait un piège à rats, l’offre d’assistance faite par des donateurs à un régime de Beyrouth affaibli et chancelant (en particulier en ce qui concerne ses composantes de droite, pro-occidentales) en représentant le fromage, et l’encerclement aérien, terrestre et maritime, ainsi que les attaques potentielles d’Israël et de ses collaborateurs onusiens contre un Hezbollah désarmé en représentant le ressort d’acier.

Le lobby s’est assuré des 100 % de soutien de la Maison-Blanche et du Congrès des États-Unis à la continuation des blocus aérien et maritime israéliens ainsi qu’aux exigences israéliennes de désarmement et de destruction du Hezbollah, conditions sine qua non du retrait d’Israël des territoires libanais qu’il occupe actuellement.

Mais il y a pire : tandis que l’Onu entame son occupation du Liban et qu’ Israël y maintient sa présence militaire, Tel Aviv « réinterprète » la cessation des hostilités afin de garantir sa position avancée en territoire libanais. Israël exige la libération de ses deux prisonniers de guerre et la destruction du Hezbollah avant d’envisager de mettre un terme à son occupation et à son blocus. Il insiste sur la nécessité pour les troupes de l’Onu de contrôler la frontière syrienne, avant de se conformer aux termes de l’accord et de retirer ses propres troupes. Aucune mention n’est faite de troupes de l’Onu patrouillant la frontière entre Israël et Gaza, qu’Israël franchit quotidiennement pour aller assassiner des Palestiniens. Autrement dit, tandis que l’Onu érode la position de la résistance palestinienne et renforce Israël militairement, Israël ne négocie, ni n’offre rien en retour – il poursuit son escalade, par des exigences sans cesse nouvelles et de plus en plus extravagantes. Tout ceci, avec le soutien de son lobby et de ses officiels hautement placés dans le pouvoir exécutif et au Congrès des États-Unis. Le but de cette manœuvre complexe des Nations unies est de neutraliser toute opposition libanaise à l’escalade de l’agression états-uno-israélienne contre l’Iran.

La diplomatie au service de la confrontation et de la guerre

Parallèlement à cette stratégie de la « tapette à souris » libanaise, et convergeant avec elle, les États-Unis, puissamment poussés par le lobby, ont entrepris de s’assurer au conseil de sécurité de l’Onu d’un soutien à toute une série de mesures (sanctions) diplomatiques et économiques à l’encontre de l’Iran. Ainsi, le conseil de sécurité, sous l’injonction des États-Unis et de l’Union européenne est en train de formuler des exigences en totale contradiction avec le traité de non-prolifération nucléaire qui permet à tous les pays du monde entier, à tout moment, d’enrichir de l’uranium à des fins pacifiques, provoquant ainsi une confrontation majeure avec l’Iran. Ces exigences dont l’illégalité ne le cède qu’à la présomption n’ont absolument aucun fondement, ni dans la loi, ni dans les faits : d’après l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il n’existe aucune preuve que l’Iran serait en train d’élaborer une arme atomique. Les États-Unis ont entamé une approche du type pas à pas pour préparer le terrain à une guerre préemptive contre l’Iran, afin de minimiser leur propre isolement, les coûts humain et financier énormes à planifier ainsi que des représailles prévisibles. Washington a d’ores et déjà préparé une résolution appelant à des sanctions économiques – limitations de voyages et d’investissements. Une fois le principe de ces sanctions économiques adopté, Washington pourra plus aisément pousser à l’adoption de mesures supplémentaires, telles des sanctions commerciales, des restrictions à la navigation et le gel d’avoirs à l’étranger. Une fois l’isolement économique multilatéral de l’Iran acquis, Washington pourra lancer son assaut aérien, avec moins d’opposition et une plus grande approbation de ses clients européens et moyen-orientaux.
 
Après l’Irak, le Hezbollah, le Hamas : l’Iran. Une énième stratégie à la noix ?

Les représentants d’Israël au sein du gouvernement états-unien ont vu dans la guerre contre l’Irak un terrain clé de mise en scène d’une attaque contre l’Iran – dans le cadre d’une série triomphale de conquêtes militaires transformant le Golfe persique en un condominium états-uno-israélien. Avec la guerre d’Irak, le lobby a réussi à passer le Congrès au bulldozer afin de lui faire adopter une loi de boycott de la Syrie, autre cible dans la stratégie générale du lobby pro-israélien et d’Israël. Le Liban, plus particulièrement sa résistance nationale, sous la conduite du Hezbollah, est un élément clé dans la stratégie états-uno-israélienne en vue d’une agression armée contre l’Iran. Le Sud Liban, avec le Hezbollah, et la bande de Gaza, avec le Hamas, ainsi que d’autres alliés potentiels de l’Iran, ont été successivement ciblés au moyen de l’Onu en vue de leur isolement diplomatique, et militairement en vue de leur extermination physique. Les guerres tant états-unienne qu’israélienne sont au service d’un objectif immédiat (l’affaiblissement des adversaires) et, plus important, elles s’ inscrivent dans la préparation d’une attaque majeure contre l’Iran. Les guerres à « finalité duale » sont faites pour affaiblir et détruire les adversaires des projets états-uno-israéliens de domination régionale et de création de bases militaires, accompagnées d’un encerclement géographique et de pressions économiques en vu, en fin de parcours, d’un assaut militaire contre l’Iran.

Pour sûr, des dominos tombent. Mais pas les bons, et pas où il faudrait !

Le lobby et les architectes israéliens des guerres séquentielles de l’administration Bush ont toutefois essuyé plusieurs déconvenues sévères, au moins autant que de victoires, au cours de leur avancée vers Téhéran.

Ils ont réussi à détruire le gouvernement nationaliste laïque de Saddam Hussein, et à paralyser totalement le potentiel militaire défensif et économique de l’Irak. Toutefois, ils sont confrontés à une insurrection non anticipée de long terme et à grande échelle, qui cloue sur place des centaines de milliers de soldats d’active états-uniens et de matériel militaire états-uniens, ponctionne leurs réserves, impose des coûts fiscaux exorbitants et sape le soutien de l’opinion publique à cette guerre ainsi qu ‘à toute éventuelle invasion militaire promue par le lobby pro-israélien.

Les efforts états-uniens, soutenus par le lobby pro-israélien, visant à sortir Arafat et à imposer un régime palestinien client opposé à l’Iran et au Hezbollah au moyen d’élections ont fait long feu : c’est le Hamas, un mouvement nationaliste anti-colonial, qui a remporté les a remportées. En conséquence, Israël a réemprunté la voie de l’agression militaire totale et des massacres pour décimer l’opposition à son projet concernant le « Grand Moyen-Orient ».

Quant aux efforts visant à exterminer le Hezbollah, au Sud Liban, ils ont réussi à ravager ce pays et à tuer de nombreux civils, mais ils ont échoué dans leur mission principale, qui était de dégager la voie en vue d’une attaque incontestée contre l’Iran. Si Israël a militairement échoué, en revanche, son lobby et ses clients au Congrès des États-Unis et dans l’ administration américaine ont réussi à imposer leurs objectifs politiques israélo-états-uniens communs, sous la forme de l’infâme résolution onusienne 1701, via l’Onu et l’armée libanaise. Néanmoins, cette résolution, tout en imposant d’importantes restrictions, est toujours fortement contestée : le Hezbollah rejette tout désarmement, l’armée libanaise, qui est à près de 40 % chiite, fraternise avec le Hezbollah et ne le provoque nullement, tandis que les troupes spéciales de l’Onu n’ont nulle intention de jouer le rôle des troupes de choc d’Israël en provoquant une nouvelle agression contre le Hezbollah, en particulier après qu’Israël ait délibérément tué des Casques Bleus.

La stratégie diplomatique israélo-lobbylo-états-unienne à l’Onu, visant à imposer des sanctions à l’Iran s’est assurée du soutien européen sur des points relativement marginaux, mais elle a échoué à obtenir le soutien russe et chinois à un embargo total. La Chine est en train de négocier un accord avec l’Iran sur le processus d’enrichissement d’uranium, qui risque fort de saper totalement la stratégie états-unienne de la « diplomatie en vue de la guerre ».

Confronté à cette série d’obstacles militaires et diplomatiques, le lobby n’en rend pas pour autant les armes. Il s’active à une nouvelle campagne visant à fouetter la fièvre de guerre aux États-Unis par l’entremise d’activistes ultra « sionophiles », j’ai nommé entre autres John Bolton, l’ambassadeur états-unien à l’Onu, le secrétaire d’Etat à la Défense Donald Rumsfeld, le vice-président Dick Cheney, le président Bush et, bien entendu, l’inimitable « conseiller chef ès Moyen-Orient » Elliot Abrams. Leur position consiste aujourd’hui à laisser tomber toutes les questions tordues et vouées à l’échec, ainsi que les propositions diplomatiques, et à fonder l’attaque pendante contre l’Iran sur une idéologie, qui a nom : La nouvelle lutte entre la Démocratie et l’ « Islamo-fascisme » !

Pour le gouvernement israélien, une attaque états-unienne préemptive contre Téhéran serait considérée comme l’affaiblissement d’un énième opposant à la domination régionale d’Israël. Pour les États-Unis, elle ouvrirait tout grand les vannes de l’insurrection en Irak et au-delà, ce qui conduirait à deux ou trois Irak, voire plus. A un certain moment, les « poulets pourraient rentrer se faire rôtir à la maison ». Pour avoir sacrifié un nombre indéterminé de vies états-uniennes au service d’une puissance étrangère, le lobby et ses soutiens politiques au Congrès des États-Unis disparaîtront dans les poubelles de l’Histoire en tant que traîtres à nos idéaux les plus élevés de pays libre et indépendant.

Incapable de s’assurer d’une attaque états-unienne contre l’Iran, Israël ne cesse d’accélérer ses projets de guerre contre l’Iran et la Syrie. Une fois encore, son lobby a monté de toutes pièces une campagne de propagande massive et soutenue, prétendant que le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, aurait déclaré, dans un discours prononcé en octobre 2005, qu’ « Israël devrait être effacé de la carte ». Ce lobby a outrageusement falsifié la traduction anglaise de ce discours. En réalité, le président iranien n’a utilisé ni le mot « carte », ni le participe « effacé » ! [3]. En réalité, il a déclaré : « Ce régime, qui occupe Jérusalem, doit disparaître de la page du temps. » Clairement, il faisait référence à un régime qui occupe illégalement une ville après en avoir fait militairement la conquête, qui réduit ses propres citoyens arabes à la discrimination et à l’indigence, et qui colonise les territoires occupés. Autrement dit, Ahmadinejad en appelle à la disparition d’un régime colonial raciste, et pas à la destruction, ni à l’expulsion des juifs qui vivent en Israël. Cette « erreur de traduction », et bien d’autres, font partie de l’action du lobby visant à susciter artificiellement l’opprobre à l’encontre de l’Iran et à stigmatiser ce pays au moyen des pires clichés de « déni de l’ holocauste », afin de maquiller une attaque israélienne contre lui en un acte de résistance courageuse contre un État voyou « islamo-fasciste ». De janvier à mars 2006, le haut commandement militaire israélien a mis en branle des plans de guerre en vue d’une attaque contre l’Iran, lesquels plans ont été provisoirement ajournés, le temps que Washington en termine avec les manœuvres diplomatiques. En septembre, le Times de Londres (3 septembre 2006) a écrit qu’ « Israël est en train de préparer une éventuelle guerre tant contre l’Iran que contre la Syrie ». D’après des sources militaires et politiques israéliennes, « le défi que représentent l’Iran et la Syrie est figure désormais en premier point sur l’agenda de la défense (sic) israélienne ». 
 
Notes
 
[1] voir : The Project for the New American Century : White Paper – Rebuilding American’s Defenses (septembre 2000), (Projet pour un nouveau siècle américain : Livre blanc en vue d’une réorganisation de la défense américaine),un document mis au point et rédigé par les plus éminents idéologues pro-israéliens.

[2] Ha’aretz, 4 septembre 2006

[3] Le Guardian de Londres a publié une belle enquête sur cette manipulation : « Lost in translation » par Jonathan Steele, The Guardian du 14 juin 2006.

James Petras  a été professeur de sociologie à l’Université Binghamton de New York.  Il conseille les sans-terre et les chômeurs au Brésil et en Argentine, et il est un des coauteurs de l’ouvrage Globalization Unmasked [éditions Zed Books] [La mondialisation sans fard]. Son dernier livre paru est The Power of Israel in the United States [Le pouvoir d’Israël aux USA] [éditions Clarity Press, 2006].

Traduction Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique ([email protected]).

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