La guerre en Ukraine : Les véritables raisons du conflit. La quatrième grande guerre du dollar.

La France et plus généralement, l’Occident ne connaissent du conflit russo-ukrainien que ce que veulent bien en dire les médias autorisés à parler de ce sujet. Par respect de la pluralité de l’information et du débat contradictoire, nous donnons ici la parole, au cours de cinq épisodes, à Oleg Nesterenko, Président du Centre de Commerce & d’Industrie Européen (CCIE) qui s’exprime à titre personnel.

Le quatrième volet de cinq articles

*

La quatrième grande guerre du dollar

Le troisième pilier-porteur sous-jacent de la guerre en Ukraine est l’affaiblissement significatif de la position de la Russie dans le cadre du futur conflit face à la Chine, qui sera la quatrième grande guerre du dollar.

Objectif : L’affaiblissement de la Russie qui est le partenaire stratégique de la Chine tant dans le domaine économique, dont les deux pays ont une véritable complémentarité, tant dans le domaine politico-diplomatique et militaro-technologique. Et, malgré le maintien par la Chine du statu quo vis-à-vis de la guerre en Ukraine, à la suite de menaces directes de graves sanctions émanant de l’occident collectif dirigé par les USA, ce dernier fait un constat amer : l’alliance sino-russe n’a nullement été ébranlée.

De même que pour la guerre en Ukraine et les guerres précédemment mentionnées, il est important de faire le constat des faits qui indiquent que, d’une part, la guerre des États-Unis face à la Chine est inévitable et que, d’autre part, les véritables raisons de la future guerre sont une fois de plus et en grande partie dans la volonté de la RPC à se soustraire du système des pétrodollars, ce qui est un véritable casus belli « classique » du point de vue du pouvoir américain.

Plusieurs faits majeurs mettent les Américains dans la nécessité d’agir d’une manière ferme, dont je peux en citer les principaux :

En 2012, la Chine commence à acheter le pétrole brut à l’Iran, en payant en yuan. À l’Iran qui déjà, depuis 2016, fait libeller ses contrats pétroliers en euro, en rejetant le dollar américain.
En 2015, la Chine lance les futures – contrats à terme sur le pétrole auprès de Shanghai Futures Exchange, qui ont pour objectif principal la réalisation des transactions via des swaps en yuan entre la Russie et la Chine et entre l’Iran et la Chine – ce qui est un nouvel élément stratégique de la géopolitique chinoise.
En 2017, la Chine, avec ses importations de 8,4 millions de barils du pétrole brut par jour, devient le premier importateur mondial de pétrole brut et, parallèlement, signe un accord avec la Banque centrale de Russie, visant à acheter le pétrole russe avec la monnaie chinoise.
En 2022, comme on l’a vu précédemment, la RPC entre en accord avec l’Arabie Saoudite pour les achats du pétrole en yuan.

Et ces processus, rappelons-nous, se déroulent parallèlement à la séparation lente, mais progressive des bons du Trésor américain, dont la masse détenue par la Chine a été diminuée de ¼ dans les 7 dernières années.

L’analyse des initiatives entreprises par l’Empire du Milieu dans leur politique économique étrangère de la dernière décennie démontre nettement le danger en croissance exponentielle vis-à-vis de la viabilité du modèle contemporain de l’économie américaine. Seules les mesures radicales à entreprendre par le pouvoir outre-Atlantique face à l’adversaire chinois peuvent enrayer, ou, au moins, essayer d’enrayer, le processus de la fragilisation des fondations de l’économie mondiale construites par l’Amérique depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Dans cette logique, l’attaque de Taïwan par la Chine est une nécessité absolue pour les États-Unis d’Amérique. Tout sera donc fait pour que cela arrive.

Néanmoins, restons réalistes : l’État américain est conscient qu’à court terme, dans les années à venir, la Chine ne représente pas de grand danger pour leur économie car, d’une part, l’internationalisation de la monnaie chinoise est très lente : son poids dans les paiements mondiaux est inférieur à 4%, ce qui est négligeable, en vue du poids du PIB chinois. De même pour la part du yuan dans les réserves officielles mondiales qui reste très faible, inférieure à 3%, avec une progression non significative.
D’autre part, vu les quantités gigantesques des bons de Trésor américain accumulées par la banque centrale de Chine, il lui faudra un temps considérable pour s’en débarrasser.
Sans parler qu’à court et moyen terme, les marchés ne présentent aucun produit de substitution crédible aux bons du Trésor américain quant à la liquidité.

Un danger existentiel

Ceci étant, les Américains sont parfaitement conscients qu’à long terme, les processus en marche représentent bien un danger existentiel et, vu l’expérience des dernières décennies, il est inconcevable que les États-Unis n’entreprennent pas une frappe ou des frappes préventives stratégiques contre les auteurs de la nouvelle menace.

Le travail de longue haleine réalisé par les Américains en Ukraine, afin d’y instaurer le régime politique ultra-nationaliste russophobe et d’y développer l’intégralité des éléments nécessaires à la mise de la Russie en situation de l’impossibilité de ne pas entrer en guerre, est le même travail de provocation que les USA sont en train de réaliser en Asie du sud-est vis-à-vis de Taïwan, en sabotant les espoirs d’une réunification pacifique dans le cadre de la politique de Pékin d’une seule Chine, afin que les Chinois l’attaque militairement – ce qui sera en soi la réalisation d’une frappe stratégique américaine.

Le scénario est globalement similaire à celui du sabotage des accords de Minsk-II, ce qui a été l’élément clé du déclenchement de « l’agression » russe.

Avec Taïwan comme l’outil, la provocation d’une « agression injustifiée » des Chinois aurait pour l’objectif primaire le déclenchement des sanctions massives de l’occident collectif qui devront faire écrouler l’économie du principal concurrent américain. Ceci est de même avec l’Ukraine comme l’outil qui a déjà fait ébranler l’économie de son second grand concurrent – l’Union Européenne – par la privation de son industrie de l’alimentation en énergie russe.

L’un des éléments clés des sanctions prévues ne sera, certainement pas, une « contre-attaque » synchronisée de la coalition transatlantique, vu une réticence croissante de la vielle Europe trop éprouvée par le conflit ukrainien et trop dépendante des échanges économiques sino-européens, mais, fort probablement, le blocus énergétique de la Chine mené directement par les Américains en bloquant le détroit de Malacca, dont la Chine dépend à 2/3 au niveau de ses importations de pétrole et de GNL.
Avec la guerre en Ukraine, les sanctions collectives occidentales contre la Russie ont dû jouer un rôle clé pour faire effondrer l’économie russe, afin qu’au moment du conflit futur face à la Chine, elle ne pourra pas se permettre le soutien significatif de son partenaire stratégique chinois : fournir à la Chine l’énergie par la voie terrestre sous la menace de nouvelles sanctions que le pays, dont l’économie est censée être mise à genoux, ne serait pas en mesure de supporter davantage.

Le plan primaire qui a dû fonctionner contre la Russie en quelques mois a totalement échoué à cause des éléments que les premiers mois de la guerre en Ukraine ont démontrés. L’action américaine a été donc fondamentalement revue et se base, dorénavant, sur la stratégie de l’usure à long terme.

La guerre des États-Unis contre la Chine, est-elle pour demain ?

Ayant aujourd’hui la guerre contre la « base arrière » énergétique, militaire et alimentaire de la Chine qui est la Russie, les importantes hostilités contre la Chine devraient être déclenchées à court ou moyen terme, avant que les Russes ne soient rétablis de l’affaiblissement prévu causé par le conflit ukrainien.

Mais, sans même la prise en compte de l’élément imprévu de la persistance de la résistance de l’économie russe au choc des sanctions, malgré la rhétorique belliqueuse de Washington sur la concentration des efforts pour mener les hostilités contre la Russie et la Chine simultanément, l’analyse de la planification de la défense américaine démontre qu’elle ne le permet, tout simplement pas, pour des raisons structurelles.

En 2015, le Pentagone a revu sa doctrine sur la capacité à mener deux grandes guerres simultanément, qui a dominé durant la guerre froide et jusqu’à l’année en question, au bénéfice de la concentration des moyens, afin d’assurer sa victoire dans un seul conflit majeur.

Par ailleurs, depuis le début de la guerre en Ukraine, les États-Unis ont déjà investi plus de 20 milliards de dollars pour la faire perdurer et ont envoyé vers l’Europe un supplément de 20.000 soldats, en plus du contingent déjà présent sur le vieux continent.
De l’autre côté, en ce qui concerne le soutien de Taïwan face à la Chine, les sénateurs américains sont seulement en train de discuter les aides à hauteur de 10 milliards de dollars pour les 5 années à venir. C’est-à-dire des aides 2 fois inférieures à celles que l’Ukraine a perçu en 8 mois de guerre.

Il est donc très hautement improbable que le déclenchement du conflit armé en Asie du Pacifique, du côté américain, ait lieu avant la cessation complète de la guerre en Ukraine. Sauf si c’est la Chine qui prend des initiatives, étant consciente de l’affaiblissement militaire ponctuel de son rival.

En attendant, vu la synergie sino-russe qui se reflète dans la formule chinoise « le partenariat avec la Russie n’a aucune limite », la grande volonté de « neutraliser » la Russie avant la guerre de Chine fait partie intégrante de la nouvelle doctrine qui domine les forces armées américaines depuis sept ans.

Oleg Nesterenko

 

Première partie :

La guerre en Ukraine : les véritables raisons du conflit. L’implication des États-Unis Amérique, 19 février 2023

 

Deuxième partie :

La guerre en Ukraine: les véritables raisons du conflit. Le dollar et l’extraterritorialité du droit américain comme une arme de guerre économique, 20 février 2023

 

Troisième partie :

La guerre en Ukraine: les véritables raisons du conflit. Les coups d’Etat en Ukraine, 21 février 2023

 

Quatrième partie :

La guerre en Ukraine : Les véritables raisons du conflit. La quatrième grande guerre du dollar, 22 février 2023

 

Cinquième partie :

La guerre en Ukraine : Les véritables raisons du conflit. L’Ukraine en tant qu’outil périssable, 23 février 2023

Oleg Nesterenko. Président du Centre de Commerce et d’Industrie Européen, Ancien professeur auprès des masters des Grandes Ecoles de Commerce de Paris

 



Articles Par : Oleg Nesterenko

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]