La guerre se «réinstalle» en Colombie
Pendant que le monde entier a les yeux tournés vers la Coupe du monde de soccer, la guerre se « réinstalle » en Colombie. Entre le 1er juin et le 3 juillet 2018, 19 activistes en droits de la personne ont été tués dans ce pays, avec comme premières victimes plusieurs acteurs et actrices des mouvements sociaux paysans, autochtones et afro-descendants. Cette semaine, dans la municipalité d’Argelia du département du Cauca, sept paysans ont été torturés et massacrés. Plus de 100 leaders sociaux ont été assassinés depuis janvier 2018 : la partie semble perdue pour les droits de la personne.
L’assassinat des activistes et leaders sociaux est un problème criant en Colombie. L’histoire se répète : vers la fin des années 1980, plus de 3000 personnes, membres et activistes liés au parti de gauche de l’Union patriotique (UP), ont été assassinées par les secteurs paramilitaires. Ainsi, aujourd’hui comme à cette époque, la dissidence politique ne semble pas avoir sa place, et les premières victimes sont ceux et celles qui apportent de nouvelles idées pour faire avancer la justice sociale : les activistes.
La problématique a été plusieurs fois dénoncée par les organisations internationales sans que les autorités colombiennes aient pu y répondre. La Colombie a un programme de prévention et de protection pour les victimes du conflit armé, les défenseurs des droits de la personne, les dirigeants de groupes politiques, etc. Cependant, les assassinats ne diminuent guère. Pire encore, les autorités policières ne prennent pas les menaces au sérieux. Pourtant, les tracts menaçant les activistes sont graves et se sont multipliés récemment : les groupes paramilitaires montrent clairement que leur objectif est de « nettoyer le pays », tout spécialement de s’attaquer à ceux et celles qui auraient soutenu le candidat de gauche aux dernières élections.
Élections polarisées
Le dernier mois a été particulièrement mouvementé en Colombie : les élections présidentielles ont été très polarisées entre le président élu Iván Duque et le premier candidat de gauche à se rendre aussi loin dans des élections présidentielles, Gustavo Petro. De plus, des discussions au sujet de la mise en oeuvre de l’accord de paix avec les Farc-ep, la plus vieille guérilla d’Amérique latine, ont montré la fragilité de ceux-ci en plus de mettre au jour le non-respect des promesses faites par l’État dans les zones rurales du pays. De même, plusieurs territoires qui commençaient à voir la violence diminuer après la signature de l’accord de paix ont vu resurgir celle-ci. De plus, les cultures de coca, le trafic de drogue, la recrudescence du paramilitarisme et des bandes criminelles sont des problèmes structurels qui échappent toujours au gouvernement.
Les chiffres sont douloureux. Selon le bureau de l’ombudsman, entre janvier 2016 et juin 2018, 311 personnes défendant les droits de la personne ont été assassinées au pays. En Colombie, comme le mentionne le chroniqueur Alberto Salcedo Ramos, la guerre se « recycle ». Elle trouve toujours un moyen de se réinventer. Surtout, le paramilitarisme et la parapolitique — soit les liens entre les paramilitaires et la classe politique — se réorientent et se restructurent constamment, anéantissant toute possibilité de consolidation d’une opposition de gauche. Mais les luttes des mouvements sociaux en Colombie ne seront pas stoppées : la résistance s’articule localement et globalement et nous ne pouvons pas rester silencieux. La Colombie ne peut pas perdre la partie de la paix.