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La lettre ouverte d’Edward Snowden déclenche un débat sur l’asile au Brésil
Par Bill Van Auken
Mondialisation.ca, 27 décembre 2013
wsws.org
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Une «Lettre ouverte au peuple brésilien» publiée mardi dernier par Edward Snowden a déclenché un débat au Brésil sur la possibilité d’offrir l’asile à l’ex-contractuel de la NSA.

La révélation par Snowden des opérations de la NSA au Brésil et partout sur la planète lui ont valu un soutien considérable du peuple brésilien, alors même que le gouvernement du Parti des travailleurs (PT) du président Dilma Rousseff a montré bien peu de courage pour tenir tête à Washington sur les questions de droits démocratiques fondamentaux.

Les premiers reportages des médias brésiliens en septembre dernier citaient les documents de la NSA rendu publics par Snowden qui prouvaient que la NSA avait piraté les téléphones à la résidence et au travail, les ordinateurs et les courriels de Rousseff et avait pratiqué un espionnage économique de grande ampleur contre le géant public brésilien de l’énergie Petrobras et contre le ministère brésilien des Mines et de l’Énergie.

Snowden, qui a reçu des demandes d’assistance de la part d’une commission parlementaire d’enquête brésilienne sur l’espionnage de la NSA au Brésil et de la police fédérale du pays, a exprimé dans sa lettre le désire de contribuer à révéler les crimes de l’agence, mais a cité les efforts continus de Washington pour le faire taire. Il a indiqué en particulier le gangstérisme du gouvernement Obama pour orchestrer l’atterrissage forcé de l’appareil du président bolivien Evo Morales en Autriche en juillet dernier, sur des soupçons que Snowden pouvait être à bord pour se rendre en Amérique latine.

«La NSA et d’autres agences de renseignement nous disent que pour notre propre  »sécurité » – pour la  »sécurité » de Dilma, pour la  »sécurité » de Petrobras – ils ont révoqué notre droit à la vie privée et se sont introduits dans nos vies», écrit Snowden. «Et ils l’ont fait sans le demander au public dans aucun pays, pas même dans le leur.»

Il explique ensuite quel est le véritable effet de cet espionnage sur la vie des Brésiliens: «Aujourd’hui, si vous avez un téléphone portable à Sao Paulo, la NSA peut et doit garder une trace de votre position: ils le font 5 milliards de fois par jour pour des gens tout autour du monde. Quand quelqu’un à Florianopolis visite un site Web, la NSA conserve un enregistrement du moment et de l’activité. Si une mère à Porto Allegre appelle son fils pour lui souhaiter bonne chance pour ses examens à l’université, la NSA peut conserver cet appel pour 5 ans, voire plus. Ils peuvent même conserver des traces sur des adultères ou la consultation de sites pornographiques, au cas où ils auraient besoin de salir la réputation de leur cible plus tard.»

Snowden a dénoncé la NSA pour ses «vastes programmes de surveillance de masse qui surveillent et enregistrent de façon permanente les moindres faits et gestes de populations entières». Il a ajouté à juste titre que, «ces programmes n’ont jamais été conçus en réaction au terrorisme: ils concernent l’espionnage économique, le contrôle social, et la manipulation diplomatique. C’est une question de pouvoir.»

Cette lettre a été affichée pour la première fois sur la page Facebook de David Miranda, le partenaire du journaliste américain Glenn Greenwald, qui, en utilisant des documents secrets fournis par Snowden, a écrit une part importante des articles exposant les opérations d’espionnage massives de la NSA aux États-Unis et à l’étranger.

Miranda, qui a lui-même été détenu au secret pendant neuf heures et a vu ses biens saisis à l’aéroport de Heathrow en août dernier en application de la Loi antiterroriste, a lancé une pétition demandant à Rousseff d’accorder l’asile à Snowden. 50.000 personnes l’ont signées sur le site Web Avaaz dans les 24 premières heures.

Rousseff a publié sa première réponse directe à ces demandes mercredi. «Je ne pense pas que le gouvernement brésilien devrait donner son opinion sur quelque chose qu’un individu ne nous a pas adressé directement», a-t-elle déclaré aux journalistes. «Rien ne nous a été adressé. Ils ne m’ont rien demandé. Je me donne le droit de ne pas prendre position sur quelque chose que je n’ai pas reçu. Je ne vais pas interpréter une lettre.»

Citant des responsable du ministère brésilien des Affaires étrangères sous le couvert de l’anonymat, le quotidien Folha de Sao Paulo a été encore plus clair: «Le gouvernement brésilien n’est pas intéressé par une enquête sur la NSA (Agence de sécurité nationale) et, pour cette raison, il n’accordera pas l’asile à Edward Snowden […] dans un échange d’informations qui irait dans ce sens.»

D’après ce journal, le ministère des Affaires étrangères aurait soutenu que le gouvernement brésilien ne serait pas intéressé par une «vengeance» pour les crimes commis par la NSA. Un responsable du ministère a ajouté que Brasilia «n’a aucun intérêt à créer ce genre d’interférences avec la souveraineté des autres pays» et qu’il «ne leur fera pas ce qu’ils nous ont fait».

Folha a fait savoir que le ministère des Affaires étrangères a également changé l’histoire qu’il avait présentée en juillet dernier, lorsque Snowden était confiné dans l’aéroport international de Moscou et qu’il cherchait asile partout où il eut été accepté. À l’époque, il a dit qu’il ne répondrait pas à la demande de Snowden d’obtenir l’asile au Brésil. Maintenant, il affirme que Snowden n’a jamais déposé de demande officielle, pour la raison technique que la demande a été déposée par fax et ne comportait donc pas une signature authentique.

Si le gouvernement Rousseff ne veut pas accorder l’asile à Snowden, ce n’est pas seulement en raison de sa soumission à la pression considérable exercée par l’impérialisme américain. Comme le gouvernement Obama, le gouvernement du PT à Brasilia représente et défend une riche aristocratie financière et patronale dans un contexte d’inégalités sociales vertigineuses. Il conspire contre les masses de travailleurs brésiliens tout comme le gouvernement Obama conspire contre les travailleurs aux États-Unis et, sans aucun doute, craint que les révélations de Snowden touchent aussi ses propres crimes et ses propres mesures dignes d’un État policier.

Snowden est toujours la cible de graves menaces de la part du gouvernement américain et n’a aucunement trouvé un refuge sûr en Russie. Le gouvernement du président Vladimir Poutine n’a accordé à l’ex-contractuel de la NSA qu’un visa de réfugié temporaire, qui expirera en août 2014. Moscou a insisté à maintes reprises sur le fait qu’il ne sera pas autorisé à travailler contre les «intérêts des États-Unis» tant qu’il sera dans le pays.

Le gouvernement Obama a écarté cette semaine l’idée qu’il pourrait accorder l’amnistie à Snowden en échange d’une garantie qu’il cesserait d’envoyer de nouvelles fuites de fichiers de la NSA. «Nous sommes toujours d’avis que M. Snowden est accusé d’avoir laissé échapper des informations secrètes et qu’il fait face à des accusations de trahison ici aux États-Unis», a déclaré le porte-parole de la Maison blanche Jay Carney. Il a ajouté que Snowden aurait droit à «toute procédure équitable» dans le but d’écarter les craintes qu’il ne soit soumis à une détention militaire, à la torture ou à l’emprisonnement à Guantanamo Bay.

Des personnalités proches de l’appareil des services de renseignements américains étaient encore plus assoiffées de sang dans leur réaction. L’ex-directeur de la CIA James Woolsey a qualifié cette idée d’amnistie d’«idiote», ajoutant: «Il devrait être poursuivi pour trahison. Si sa culpabilité est reconnue par un jury de ses pairs, il devrait être condamné à mort par pendaison.»

Bill Van Auken

Article original, WSWS, paru le 19 décembre 2013

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