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La Loi 21 sur la laïcité: Le Québec contre le ROC
Par Prof Rodrigue Tremblay
Mondialisation.ca, 11 novembre 2019

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« La laïcité est… une tentative de résoudre le long et destructeur combat de l’Église et de l’État. La séparation, adoptée par les révolutions américaine et française et par d’autres pays par la suite, vise à éviter deux choses: l’utilisation de la religion par l’État pour renforcer et étendre son autorité; et l’utilisation du pouvoir de l’État par le clergé pour imposer ses doctrines et ses règles aux autres. »

Bernard Lewis (1916-2018), historien américano-britannique à l’Université de Princeton, (2003).

Récemment, le journal le Devoir rapportait une attaque répétée du premier ministre du Manitoba, Brian Pallister, contre la Loi 21 sur la laïcité du gouvernement québécois. (Voir : Le Devoir, 8 novembre 2019)

Pourrait-on suggérer à M. Pallister de cesser de se faire du capital politique sur le dos du Québec et lui dire que son temps serait mieux employé s’il s’occupait un peu plus du sort que réserve sa province aux Métis. On pourrait aussi lui rappeler que sa province n’a pas de leçons à donner au Québec en matière de droits humains, quand on sait que le Manitoba a suspendu les droits des francophones d’avoir des écoles françaises, en 1890 et en 1896.

Nombreux, en effet, sont ceux au Canada anglais qui semblent ignorer que le Québec a un système légal différent du reste du Canada, et cela depuis 1774. Aussi, qu’en 1998, le Québec a obtenu un amendement à la loi constitutionnelle canadienne, suite auquel le gouvernement québécois a mis en place des commissions scolaires linguistiques, donc laïques, en remplacement des commissions scolaires confessionnelles.

Le Québec n’est pas une province comme les autres

Le Québec est une des provinces fondatrices de la Confédération de 1867, et la seule à majorité francophone, et il n’est pas une province comme les autres, (n’en déplaise à certains!), ayant des droits linguistiques et légaux différents des provinces à majorité anglophone depuis plusieurs siècles. À ce sujet, il est possible que l’histoire soit mal enseignée dans certaines écoles et que les immigrants ne connaissent pas suffisamment la réalité historique particulière du Canada et du Québec.

Par exemple, il ne faut pas oublier que les provinces anglophones sont sous le régime légal britannique de la Common Law, alors que le Québec est sous le régime du Code civil français.

Or, et cela remonte à la Révolution française de 1789, la séparation de l’église et de l’État est un principe démocratique fondamental dans le Code civil français. Dans la Common Law, parce que la Reine ou le Roi anglais est aussi le chef de l’Église anglicane, ce principe démocratique de séparer la politique de la religion n’est pas aussi fort. Certains s’y accommodent peut-être un peu trop et acceptent l’idée rétrograde que le pouvoir dans un pays relève de Dieu et de la Reine et de sa religion d’État, mais non pas du peuple souverain. Un anachronisme s’il en est un !

Le Canada : une démocratie ou une monarchie constitutionnelle !

Sur ce point, nous croyons que le système français est plus démocratique et plus moderne que le système britannique archaïque qui conserve la monarchie en tant que dépositaire du pouvoir politique, et donc le principe repose sur l’idée que ce pouvoir ne relève pas du peuple souverain mais d’une déité abstraite. Ce n’est donc pas le Québec — dont le régime du droit civil français remonte à l’Acte de Québec de 1774 — qui est en retard en matière de démocratie, mais bien le reste du Canada, encore empêtré avec une royauté étrangère en tant que chef de l’État, (en plus d’avoir un Sénat non élu!). 

Comparé à d’autres pays de l’Occident, le Canada pourrait sembler un peu moins démocratique. Par exemple, l’Acte constitutionnel de 1982 ne fut jamais adopté directement par la population par référendum. Il a été plutôt l’œuvre d’une poignée de politiciens, temporairement en poste, et il ne se réfère qu’à la seule conception anglo-canadienne des droits individuels, au détriment des droits collectifs.

En effet, en période de crise, le Canada est dans les faits une monarchie constitutionnelle. Elliott Trudeau, en 1982, a pris bien soin d’inscrire dans sa constitution imposée au Québec, sans référendum, que le pouvoir politique relevait de Dieu et de son représentant sur la Terre, la royauté britannique. 

Plusieurs au Canada ignorent que l’autorité principale au Canada n’est pas le Conseil des ministres, mais bien le Conseil Privé de la Reine, un organisme formé de dignitaires présents et passés, dont la fonction est de conseiller la Reine ou son représentant, le Gouverneur général, lequel n’est pas élu et n’est pas redevable à la population. Qui est en retard ici ? Le Québec avec son gouvernement laïc qui respecte les croyances de tous, ou le ROC avec son Conseil Privé redevable à la Reine d’Angleterre ?

La laïcité est gage de démocratie et de liberté

La laïcité de l’État moderne est une grande valeur démocratique. Elle met tous les citoyens sur le même pied. Elle garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs convictions. Elle assure aussi bien le droit d’avoir ou de ne pas avoir de religion, d’en changer ou de ne plus en avoir.

Il y a plusieurs pays européens, membres ou non de l’Union européenne, qui ont une loi semblable à celle du Québec afin de proclamer la laïcité de l’État et sa neutralité envers les croyances de chacun. C’est ce que garantit le principe de la séparation de l’Église et de l’État, et la laïcité de l’État dans ses rapports avec les citoyens. 

1- En France, par exemple, la « loi de 1905 » garanti la séparation entre les Églises et l’État. Ce principe est représenté par la formule : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

2- Aux États-Unis, Le premier amendement de la Constitution de 1787 proclame la séparation de l’Église et de l’État et garantit la liberté de culte. Dans la Constitution américaine et dans la Déclaration des Droits, il n’est jamais fait référence à Dieu. La devise originelle des États-Unis est « E pluribus unum » (« De plusieurs, nous faisons un »).

3- En Italie, le catholicisme n’est plus religion d’État depuis 1948 d’après la Constitution, même si le pays est largement catholique.

4- Au Portugal, la Constitution affirme que l’État est laïc. Même si le pays est signataire d’un concordat avec le Vatican où est garanti « le caractère exceptionnel des relations entre le Portugal et l’Église catholique ».

5- En Espagne, depuis la Constitution de 1978 et l’abrogation du catholicisme comme religion officielle, l’Espagne est un État laïc séparé de l’Église.

6- En Suisse, la séparation de l’Église et de l’État existe au niveau fédéral depuis 1848, même si certains cantons peuvent accorder un statut de droit public à certains cultes. 

Etc.

La propagande contre le Québec doit cesser

Tout cela pour dire qu’il y a une propagande malicieuse, lancée essentiellement par des médias de Toronto contre le Québec et contre le gouvernement du Québec, concernant la laïcité de l’État québécois. Cette fronde est menée par le Globe & Mail, un journal anti francophone depuis son fondateur George Brown, et par le National Post, (voir l’éditorial du Globe & Mail, 28 octobre 2019 et un article de Chris Selley dans le National Post du 6 novembre 2019).

En réalité, la Loi 21 est très modérée et elle s’applique à tous. Elle respecte les droits acquis et elle ne s’applique qu’aux seuls employés de l’État en position d’autorité (juges, policiers, enseignants) et qui sont en contact direct avec les usagers. Ces derniers ont un droit inaliénable de ne pas être soumis à de la propagande politique ou religieuse de la part d’employés de l’État, lorsqu’ils reçoivent des services publics. Une très grande majorité de la population québécoise appuie cette loi démocratique. Plusieurs au Canada anglais l’appuient aussi, mais les médias n’en font pas mention.

L’immigration massive est, en partie, une politique visant à noyer les Canadiens français

Il faut rajouter que le Québec et les Canadiens français en général sont aussi visés par la politique du PLC de J. Trudeau d’une immigration massive, laquelle est, au prorata, le double de celle des États-Unis. En plus de vouloir ‘noyer’ les francophones dans une mer anglophone, avec des immigrants qui vont massivement vers l’anglais, cela amène des milliers d’islamistes nouvellement arrivés à exiger des droits et des accommodements religieux comme s’ils vivaient au Canada depuis des siècles. 

À titre d’exemple, dans plusieurs pays islamiques, tels l’Égypte, la Tunisie ou la Malaisie, le voile islamique est totalement ou partiellement défendu. Mais arrivées au Canada, certaines femmes islamiques, largement financées par des pays comme l’Arabie saoudite et le Qatar, se servent des tribunaux et de la Charte fédérale pour imposer leurs mœurs au Québec. Cela peut être une importante source de désintégration sociale et de conflits politiques et sociaux.

Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire, mais ce qui précède illustre combien certains médias anglophones sont mal renseignés, et possiblement aussi sont de mauvaise foi, sur la question de la laïcité de l’État québécois. Le Québec est la seule société à majorité francophone en Amérique du Nord et elle a droit inaliénable de prendre les mesures nécessaires à sa survivance. 

Conclusion

Certains, à Toronto, devraient abandonner l’idée de faire du Québec une colonie du Canada anglais. Ils devraient aussi s’interroger si cela est une si bonne idée de faire du Canada une copie carbone des États-Unis !

Professeur Rodrigue Tremblay

 

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Rodrigue Tremblay, professeur émérite de sciences économiques de l’Université de Montréal et ancien ministre de l’Industrie et du Commerce dans le gouvernement québécois. Son dernier ouvrage s’intitule « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018, 343 p.

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