La lutte pour l’Ukraine

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La vague de manifestations en cours en Ukraine porte les étiquettes « Made in Germany » « Made in UE » et « Made in America ». Les médias occidentaux font de laborieux efforts pour dépeindre les manifestations de Kiev comme une lutte pour la démocratie et la primauté du droit. En fait, elles font partie d’un conflit sur des questions géostratégiques. Le but est de repousser l’influence de la Russie et de soumettre l’Ukraine à la domination de l’Allemagne, de l’Union européenne et de l’OTAN.

Il y a neuf ans, la révolution ‘orange’ a été organisée avec le soutien politique et financier massif du gouvernement américain et des ONG américaines telles que l’Open Society Institute du milliardaire George Soros. Ces forces ont réussi à faire annuler l’élection présidentielle et à s’assurer que le tandem pro-UE et pro-US de Viktor Yushchenko et Julia Tymoshenko prenne le pouvoir en tant que chef de l’Etat et chef du gouvernement à la place de Viktor Yanukovich, qui était considéré comme l’homme de main de la Russie. Le duo est cependant rapidement tombé en défaveur et Ianoukovitch a été en mesure de se faire élire au poste de Président en 2010.

Maintenant une autre tentative est mise en œuvre pour amener au pouvoir un régime qui subordonnera à l’UE l’ancienne république soviétique et le grenier à blé de l’Empire russe. Un examen de la direction politique des protestations révèle leur caractère réactionnaire. Elles sont conduites par trois partis, dont deux ont des relations étroites avec le camp conservateur au sein de l’UE, tandis que le troisième est ouvertement fasciste.

Le parti Batkivshchyna (Patrie), dirigé par Julia Tymoshenko, actuellement emprisonnée, a le statut d’observateur dans le Parti populaire européen, l’association des partis chrétiens-démocrates et conservateurs de l’Europe. UDAR (Coup), dirigé par le champion de boxe Vitali Klitschko, qui réside en Allemagne, est une création de l’Union chrétienne démocrate (CDU) de la chancelière allemande Angela Merkel et de son groupe de réflexion, la Fondation Konrad Adenauer. Cette dernière annonce publiquement sur son site Web des séminaires consacrés à l’éducation politique des membres de l’UDAR.

Selon une étude intitulée « L’extrême droite en Ukraine (texte en anglais) » par la Fondation allemande Friedrich Ebert, le troisième parti, Svoboda (Liberté), est « le porte drapeau d’une idéologie d’extrême-droite radicale ». Le nom original du parti était Parti national-socialiste d’Ukraine. Il utilisait comme emblème un logo qui rappelle la croix gammée nazie. Sur les conseils du Front National (FN) français, avec qui il travaille en étroite collaboration, il a décidé d’adopter un nom moins provocateur.

Arseniy Yatsenyuk (Patrie) and Vitali Klitschko (le dirigeant d’UDAR) tiennent des conférences de presse communes avec Oleh Tyahnybok de Svoboda. Tyahnybok est un néo-nazi notoire connu pour son ultranationalisme, sa xénophobie et son antisémitisme.

Les dirigeants politiques européens et américains ont exprimé leur solidarité avec les protestations en Ukraine. Les mêmes forces qui ont tacitement soutenues la brutalité de la police, qui passe à tabac sans pitié les opposants aux politiques d’austérité de l’UE à Athènes, Madrid et ailleurs, proclament maintenant leur indignation face à la brutalité de la police ukrainienne.

Le Secrétaire d’ État des USA, John Kerry, a exhorté le gouvernement ukrainien à « écouter la voix de son peuple », tandis que son homologue allemand, Guido Westerwelle, est intervenu personnellement mercredi pour se mêler à des manifestants à Kiev. Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, a demandé que le gouvernement ukrainien garantisse le droit à la liberté d’expression et de réunion. Le gouvernement allemand, qui vient de lancer de nouvelles poursuites contre le Parti national-démocrate d’Allemagne, néo-fasciste, défend le droit de manifester des fascistes ukrainiens.

Bien qu’elle réclame la démission du Président et des nouvelles élections, l’opposition ne jouit pas du soutien de la majorité des Ukrainiens. Une motion de censure contre le gouvernement a échoué mardi au Parlement. L’Accord d’association de libre-échange avec l’Union européenne que l’opposition veut mettre en œuvre aurait un effet dévastateur sur de larges couches de la population ukrainienne.

L’accord avec l’UE exclut l’adhésion simultanée dans une union douanière menée par la Russie et couperait donc l’Ukraine de son principal partenaire commercial, avec lequel son industrie et ses voies de transport sont étroitement connectées. La suppression des droits de douane sur les produits européens signifierait aussi la faillite pour de nombreuses industries ukrainiennes.

Les termes de l’accord, qui comprennent l’introduction des règles de l’UE en matière de déréglementation du marché du travail, de privatisation des entreprises publiques et de réduction de la dette publique, auraient un impact social semblable au programmes d’austérité imposé à la Grèce, à la Roumanie et à d’autres pays. Le Fonds monétaire International (FMI) a déjà refusé à l’Ukraine un crédit indispensable parce que le gouvernement refuse une hausse du prix du gaz de 40 %, ce qui entraînerait inévitablement la mort de nombreux chômeurs et retraités, incapables de payer leurs factures de chauffage.

L’Accord d’association transformerait le pays en un vaste atelier pour les entreprises allemandes et européennes, qui pourraient produire à des taux de salaires inférieurs à ceux de la Chine. Dans le même temps, les ressources naturelles du pays, son territoire vaste et fertile et son marché intérieur de 46 millions d’habitants font de l’Ukraine une cible alléchante pour les entreprises allemandes et européennes.

L’accord renforcerait également le jeu de l’UE contre la Russie. Une union douanière ou une union eurasienne comprenant la Russie et l’Ukraine aurait eu une position beaucoup plus forte dans les négociations commerciales avec l’UE qu’une Russie isolée.

L’Allemagne, l’Union européenne et les Etats-Unis poursuivent des objectifs non seulement économiques, mais aussi géopolitiques en Ukraine. Étant donné la perte d’influence en Europe de l’est de la Russie depuis la dissolution de l’Union soviétique, l’intégration de l’Ukraine dans l’UE pousserait la Russie à la périphérie de l’Europe.

Depuis la fin du XVIIIe siècle, l’Ukraine a constitué une partie importante de l’État russe et soviétique. Par ailleurs, la flotte russe de la mer Noire est située en Crimée dans un port, loué à la Russie par l’Ukraine.

Tant les États-Unis que l’UE ont intérêt à l’affaiblissement de la Russie, qui est considérée comme une alliée importante de la Chine. Immédiatement après son élection en mars, le Président chinois Xi Jinping s’est rendu à Moscou pour renforcer le « partenariat stratégique » entre les deux pays. Les deux pays se sentent menacés sur le plan économique et stratégique par les incursions agressives des Etats-Unis et de ses alliés en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique.

La Chine développe également ses liens économiques avec l’Ukraine, dont les échanges commerciaux avec la Chine atteignent actuellement environ 5 % de son commerce extérieur. En octobre, le South China Morning Post a rapporté que l’entreprise publique chinoise XPCC avait conclu un accord avec la société ukrainienne agricole KSG Agro pour avoir accès à 100.000 hectares de terres arables pour la production d’aliments destinés à la Chine. Cette zone doit être étendue à 3 millions d’hectares, la taille de la Belgique ou du Massachusetts.

La Chine a déjà accordé au pays des prêts de 10 milliards de dollars. L’Ukraine considère ses relations économiques avec la Chine comme si importantes que le Président Yanukovich est parti mardi pour une visite d’Etat de quatre jours à Pékin, malgré la crise politique en cours.

Tel est l’arrière-plan des tentatives de l’Union européenne et du gouvernement allemand d’utiliser les manifestations de Kiev pour déstabiliser le gouvernement ukrainien. Leur initiative a été lancée en tandem avec les États-Unis, qui étendent systématiquement leur présence militaire en Asie pour encercler la Chine et miner son influence dans la région. À cette fin, les États-Unis ont massivement intensifié leur pression sur la Chine ces dernières semaines.

L’offensive contre l’Ukraine soulève de profondes questions historiques. Au cours de deux guerres mondiales, l’Allemagne a cherché à placer l’Ukraine sous son contrôle et a commis des crimes abominables au cours de ces entreprises. L’audace actuelle du gouvernement allemand soulève de nouveaux dangers. Les tensions internationales croissantes peuvent rapidement se transformer en un conflit armé.

Peter Schwarz

Article original, WSWS, publié le 6 décembre 2013



Articles Par : Peter Schwarz

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