La Maison-Blanche est-elle un cirque plein de clowns qui se prennent pour des génies?

Face au spectacle hilarant des multiples voltes-faces de Trump sur la question de sa rencontre au sommet avec Kim Jong-un ou de sa guerre commerciale avec la Chine et à celui, nettement moins amusant, de son retrait unilatéral de l’accord sur le nucléaire iranien assorti de menaces de sanctions tous azimuts, on pourrait penser trois choses : soit les USA ne veulent en aucun cas de paix et de stabilité et ont décidé de régner à coups de « chaos créatif » et d’impasses diplomatiques pour maintenir l’état de tension permanentedont ils bénéficient depuis des décennies, soit leurs représentants sont d’une incompétence inédite dans l’histoire, soit les deux.


Les États-Unis d’Amérique se vantent depuis longtemps de sa méthode de négociations, qui consiste à exiger la capitulation de l’adversaire, puis à marteler les termes de sa reddition.

Cela a impeccablement marché dans la Deuxième Guerre mondiale, après que l’Armée rouge ait décimé l’élite de l’armée allemande et laissé un seul choix au pays : soit être entièrement envahi par les Soviétiques, soit se rendre au moins partiellement aux USA, à la Grande-Bretagne et à la France. Cela a impeccablement marché au Japon aussi après que les USA, avec un monopole temporaire sur une nouvelle arme inimiginablement mortifère, aient incinéré deux des villes du pays et menacé de continuer jusqu’à ce que l’empereur et ses généraux abandonnent ou laissent leur nation être réduite en cendres.

Mais le concept n’a pas marché au Vietnam, qui a repoussé les USA. Il n’a pas marché en Irak, qui est aujourd’hui un allié de l’Iran, il n’a pas marché en Afghanistan, où les USA combattent encore les Talibans 17 ans après avoir envahi ce pays pourtant très pauvre. Pour dire la vérité, la seule vraie fois où cette politique a marché a été contre la minuscule île de Grenade, où la principale résistance à l’invasion d’une armada américaine était une compagnie de travailleurs du bâtiment cubains qui construisaient le nouvel aéroport. (7000 médailles militaires ont été décernées au personnel militaire des USA en récompense de cette victoire triomphale).

Invasion américaine de La Grenade (signalée par l’épingle orange sur la carte) a eu lieu le 25 octobre 1983. Il s’agissait d’imposer le néolibéralisme sur cette île, qui avait choisi un système socialiste, au prétexte de « libérer les citoyens des USA présents sur les lieux et en danger », NdT https://zeroanthropology.net/2013/10/28/thirty-years-after-the-u-s-invasion-of-grenada-the-first-neoliberal-war/

Mais l’histoire ne compte pas pour le « pays exceptionnel » et ainsi, nous avons aujourd’hui les proches conseillers de Trump – le cinglé néoconservateur John Bolton, dernier Conseiller à la Sécurité nationale en date, dont le principal atout semble être capillaire et non cérébral ou même militaire, et Mike Pompeo, récemment transféré du poste de directeur de la CIA à celui de Secrétaire d’État, un diplômé de West Point porcin dont l’expérience internationale semble se limiter à penser que le président précédent Barack Obama était à la fois un « musulman malfaisant » et un communiste.

Cette paire de nigauds, appointés par l’astucieux négociateur Trump, a tenté de saboter un sommet prévu entre Trump et le leader nord-coréen Kim Jong-un. Le premier à donner matière à réflexion à Kim a été Bolton, qui a annoncé que le modèle du traité de paix entre les deux puissances nucléaires, les USA et la Corée du Nord, serait la Libye, où bien sûr, les USA ont obtenu du leader libyen Mouammar Kadhafi qu’il envoie tout sont équipement nucléaire aux USA avant d’orchestrer son renversement et son meurtre. Bolton a exigé, sans désapprobation manifeste de son patron, que pour commencer, la Corée du Nord dépose au plus vite toutes ses armes nucléaires aux pieds des USA et détruise toutes ses installations de production d’armes nucléaires. Ensuite seulement, on pourrait discuter. C’était l’idée.

Kim, qui n’a rien d’un imbécile, surtout avec le soutien d’un traité avec la Chine voisine qui l’oblige à se porter au secours de la Corée du Nord – comme elle l’a fait de façon décisive un an seulement après la fondation de la République populaire de Chine, vous vous souvenez ? – si la Corée du Nord était attaquée par les USA ou n’importe quel autre puissance étrangère, a bien sûr dit « pas question ».

Kim dit être totalement en faveur d’une dénucléarisation de la Péninsule de Corée (en retour d’aides étrangères et d’une levée des sanctions), mais cela impliquerait la signature par les USA d’un traité de paix contraignant garanti par la Chine et la Russie, avec la reconnaissance par les USA de la légitimité du gouvernement de Kim en RPDC. Elle impliquerait aussi un retrait total des forces américaines de la Corée du Sud, où les USA stockent des centaines d’armes nucléaires et sont actuellement en bonne position pour les y ramener en quelques jours s’ils devaient les en déménager.

Bases militaires des USA en Corée du Sud

Ensuite, Bozo N°2, Pompeo, a montré à Kim que la signature d’un traité avec les USA ne signifie en aucun cas que ledit traité ait une valeur quelconque. Pompeo a fait cela en poussant Trump a désavouer le traité P5+1 signé en 2015 par les USA et cinq autres pays, aux termes duquel l’Iran devait cesser de raffiner du combustible nucléaire, envoyer son uranium 235 en Russie, et accepter de ne pas recommencer le processus avant 15 ans écoulés en retour d’une levée de toutes les sanctions contre le pays. Après le retrait de Trump, Pompeo a publiquement promis des sanctions écrasantes contre l’Iran de la part des USA, et peut-être une permission à Israël de lancer des attaques contre les supposées infrastructures de production d’armes nucléaires de l’Iran. Que les inspecteurs internationaux aient dit et redit qu’il n’y a pas de telles infrastructures en Iran et qu’il n’y en a pas eu depuis des années, aucune importance. Que contrairement aux USA, l’Iran soit notoirement en règle, à la lettre, avec les termes du traité P5+1, aucune importance non plus. Pompeo dit que le gouvernement iranien doit sauter à travers l’asphyxie de son économie.

Ces deux bozos de la Maison-Blanche semblent penser que les forces armées à des multi-billions de dollars des USA leur donnent l’avantage, mais en fait, le minuscule arsenal d’armes nucléaires-maison de la Corée du Nord lui garantit un carré d’as, et Kim le sait. Les militaires des USA en Corée du Sud, qui ne forment à la base qu’une série de cibles placées, de façon optimale, à quelques secondes des missiles nucléaires de la Corée du Nord ou sur des navires postés dans les environs et à peine moins exposés, le savent aussi. C’est pourquoi le général James Mattis, le seul des conseillers de Trump a posséder une expérience militaire de terrain, a dit qu’une guerre en Corée serait terrible et difficile non seulement pour les Coréens, mais aussi pour les Américains qui devraient la livrer.

Donc, si le but de Trump était de gagner son propre Prix Nobel de la paix en faisant finalement signer un traité de paix aux USA pour mettre fin à la Guerre de Corée, presque 65 ans après l’arrêt des combats, le bozo Bolton semble avoir torpillé ses ambitions en laissant savoir à Kim que le vrai plan est de mettre sa tête au bout d’une pique après qu’il ait renoncé à ses missiles nucléaires. Ce secret étant éventé, cela veut dire qu’aujourd’hui, si négociations avec la Corée du Nord il doit y avoir, elles seront entreprises entre égaux et non avec une super-puissance qui en dicte les termes.

Pendant ce temps, le problème pour le plan de Trump & Co dans le cas de l’Iran est qu’aucune des autres parties signataires du traité – la France, la Grande-Bretagne, la Chine, la Russie et l’Allemagne – ne voit les choses de la même façon qu’eux. Ils disent tous que Téhéran s’est plié aux termes du traité signé en 2015, et qu’ils n’ont pas la moindre envie d’imposer des sanctions à l’Iran. En fait, les pays européens s’indignent des sanctions que Pompeo et Bolton menacent d’imposer aux compagnies européennes qui défieraient les sanctions non plus de l’ONU, mais des USA, en continuant à commercer ou à investir en Iran. La Chine, pour sa part, affirme vouloir signer des accords avec l’Iran pour des contrats à long terme sur le pétrole qu’elle paiera en yuans, abandonnant l’obligation précédente de les payer en dollars. L’Europe parle aussi de protéger ses compagnies de sanctions en passant un accord pour livrer des euros aux banques iraniennes, sortant ainsi du système de commerce international fondé sur le dollar.

Ce qui veut dire que Pompeo et Bolton sont en train de déclencher le cataclysme que, précisément, le Département du trésor américain et la Federal Reserve redoutent depuis longtemps, à savoir le scénario dans lequel des pays abandonnent le dollar comme monnaie internationale – un statut qui permet aux USA de vivre au-dessus de leurs moyens et de financer des forces armées gargantuesques depuis des décennies, simplement en imprimant des dollars à volonté. Si les pays n’ont plus besoin de dollars pour leur commerce international et leurs investissements, le dollar retombera à son niveau réel, ce qui, étant donné le déficit commercial horrifiant des USA, ne serait qu’une infime partie de sa valeur actuelle. Pour soutenir la monnaie, les USA devraient relever leurs taux d’intérêt au maximum, ce qui précipiterait un crash de l’économie.

Bien joué, les bozos !

La suite des événements devrait être intéressante à observer.

La Chine a su qu’elle avait l’avantage dans ses négociations avec le haut du panier des négociateurs de Trump quand le Secrétaire au trésor Steven Mnuchin et le négociateur en chef pour le commerce Peter Navarro ont été vus échangeant des noms d’oiseaux à tue-tête en pleine rue, devant leur hôtel de Pékin. Comme le Washington Post l’a noté après l’incident, « C’était la minute des amateurs aux négociations avec la Chine ».

Absolument, oui. La position d’ouverture des USA – une variante du format habituel « d’abord rendez-vous les mains en l’air, négociez avec nous ensuite » – était que la Chine devait abandonner le système de planification étatique qu’elle emploie depuis des décennies avec un succès impressionnant, en particulier son dernier plan sur dix ans d’investissements d’État destiné à rendre la Chine leader dans 10 secteurs-clés technologiques, dont les communications, l’aéronautique et l’intelligence artificielle. Pardi. Comme si elle allait s’empresser d’obéir aux USA. Au lieu de quoi, la Chine a annoncé qu’elle allait inclure la Région administrative spéciale de Hong Kong dans le programme. Prenez ça dans les dents, bozos.

Le « moratoire » annoncé par la Chine et les USA sur des sanctions commerciales mutuelles pour des contraventions alléguées au droit commercial est un tour de prestidigitation insignifiant destiné à sauver la face de Trump. Les USA n’ont rien obtenu d’autre que les vagues promesses chinoises habituelles d’acheter plus de produits américains. Ils achèteront probablement plus de produits de l’agriculture américaine, mais l’énorme déficit commercial des USA avec la Chine n’en sera que marginalement réduit. Pourquoi ? Parce que les USA ne produisent plus de biens – nous parlons non pas seulement des produits que la Chine ou d’autres pays pourraient vouloir, mais même de ceux dont les Américains ont besoin et veulent. Ce qui veut dire que que les USA ne peuvent pas espérer vendre beaucoup plus que des produits de base de type tiers-monde et des matières premières à la Chine, et en même temps, ils devront continuer à importer de Chine des quantités de plus en plus importantes de produits manufacturés, des véhicules aux iPhones et ordinateurs, etc.

Les Bozos de la Maison-Blanche ne comprennent pas cela. Peut-être pensent-ils pouvoir harceler la Chine avec leurs armes de pointe [la principale industrie des USA et peut-être bien la seule qui leur reste, NdT], mais cela n’est probablement pas susceptible de marcher non plus. La Chine est en train de rattraper son retard sur les USA au plan de l’armement aussi. D’ores et déjà, les porte-avions américains – la clé de voûte de la projection de puissance des USA en Asie – ne pourraient pas naviguer trop près de la Chine en cas de conflit, parce qu’ils deviendraient des cibles flottantes pour les missiles de croisière chinois. Sauf en cas de conflit nucléaire que personne ne gagnerait, la Chine est immunisée contre les menaces militaires des USA.

De la même façon, l’Iran est dans une position bien meilleure que ne l’impliquent les menaces « écrasantes » de Pompeo. La Russie offre déjà son soutien à l’Iran – un soutien qui comprend probablement la livraison d’armes anti-aériennes de pointe, ce qui rendrait toute frappe israélienne ou américaine contre l’Iran trop coûteuse à envisager. Sans aucun doute, la Russie est également prête à lui offrir quelques-un de ses avions de combat hi-tech, ce qui ferait également monter les enchères pour les candidats éventuels à une agression contre l’Iran.

Pompeo-le-fanfaron, qui a une formation en droit et non en affaires internationales (et même pas en droit international), devrait probablement consulter l’encyclopédie de la CIA [le célèbre CIA World Factbook] sur l’Iran. Il découvrirait que c’est un pays deux fois plus étendu que l’Afghanistan, qu’il est beaucoup plus homogène que l’amalgame de sunnites, de chiites, d’Arabes, de Turkmènes et d’autres nationalités qui composait l’Irak de Saddam, et qu’il a une histoire nationale au moins aussi ancienne que celle de la Chine. Il se pourrait peut-être, c’est une possibilité, que les citoyens de l’Iran entretiennent quelques griefs au sujet du pouvoir religieux qui règne sur leur gouvernement démocratiquement élu, mais comme les Chinois, les Russes et les Vietnamiens, ils se rallieraient tous rapidement à la défense de leur pays et de leur civilisation contre un envahisseur étranger.

Seuls des imbéciles envisageraient une guerre contre l’Iran.

Malheureusement, l’administration Trump, peut-être encore plus que l’administration Johnson en 1965 [qui avait étendu et durci l’engagement des USA dans la Guerre du Vietnam, NdT], est pleine d’imbéciles avec des ego hypertrophiés et une foi totale dans leur propres capacités intellectuelles et leur infaillibilité – en un mot, des clowns. Et, bien que les clowns puissent être drôles, nous avons vu dernièrement des cas où ils peuvent carrément être de dangereux psychopathes.

Nous devrons espérer que les prochaines années seront simplement amusantes et non tragiques.

 Dave Lindorff

 

Paru sur This Can’t Be Happening! sous le titre The Trump White House is a Chaotic Clown Car Filled with Bozos Who Think They are Brilliant

Traduction, source pour la version française et notes Entelekheia



Articles Par : Dave Lindorff

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