La misère ou la mort. Une tragédie humanitaire sans nom.
Les mouvements migratoires Sud/Nord.

Des dépêches nombreuses en provenance de la Méditerranée et des villes frontalières entre le Mexique et les États-Unis, au cours des cinq dernières années, font état du sort dramatique qui est réservé aux migrants venant des pays du Sud. Les migrants sont de plus en plus nombreux en provenance du continent africain en raison principalement des guerres qui frappent un grand nombre de pays et de l’augmentation de la pauvreté et de la misère qui les accablent. Les événements des dernières semaines rendent la situation encore plus dramatique avec un naufrage qui aurait fait plus de 800 morts dans la mer Méditerranée (lapresse.ca). Les bateaux passeurs sont surchargés, ce qui rend les traversées très périlleuses. On parle des routes meurtrières de l’immigration : La mer entre l’Afrique et l’Europe et le mur de la honte entre l’Amérique latine et les États-Unis : Deux voies où la mort est trop souvent au rendez-vous. En 2015, « un migrant meurt toutes les deux heures en moyenne en Méditerranée » (Camille Bordenet du Journal Le Monde).
En Europe, les centres d’accueil sont débordés et ne peuvent plus répondre à un flot sans cesse croissant de migrants et c’est le cas en Italie ou la situation devient de plus en plus problématique poussant le ministre des Affaires extérieures italiennes a demandé un Sommet européen extraordinaire pour discuter de la question, car c’est toute l’UE qui est interpelée par cette hécatombe.
Ces migrations de masse entre l’Afrique et l’Europe ont été pressenties depuis longtemps. Le Rapport GÉ0-4 le rapportait déjà en 2007. Dans l’Afrique subsaharienne, les guerres qui continuent de faire rage dans plusieurs pays, les effets de la crise économique et l’explosion démographique sont les principaux facteurs qui ont accentué plus encore la nécessité pour les Africains de quitter leur pays pour envisager un meilleur sort et pour eux et pour leurs proches et, évidemment pour ceux qui peuvent le faire, car la majorité vit dans la plus grande indigence.
Dans ce bref exposé, nous jetons, ici, un coup d’œil sur l’ampleur de la tragédie qui a frappé les migrants et les routes qu’ils privilégient pour gagner l’Europe au cours des derniers mois. Nous ferons le point sur les migrations entre l’Amérique latine et les États-Unis dans un article à venir.
Des migrations en hausse entre l’Afrique et l’Europe
Selon Jeune Afrique, « le nombre de migrants clandestins qui ont traversé la Méditerranée entre l’Afrique et l’Italie a explosé au début de l’année 2015 marquant une hausse de 43 % par rapport à l’an dernier. Un bond spectaculaire qui s’explique, entre autres, par la situation chaotique en Libye. En janvier et février 2015, quelque 7 882 migrants en provenance d’Afrique ont débarqué sur les côtes italiennes, contre 5 512 l’année précédente. Il s’agit d’une hausse considérable, selon les chiffres officiels du ministère italien de l’Intérieur. En 2014, plus de 165 000 migrants clandestins avaient débarqué sur les côtes italiennes. Un record qui pourrait être facilement battu en 2015… Les tentatives d’immigration clandestine se multiplient. En moins de 24 heures mardi, 7 opérations de secours ont été menées par les garde-côtes italiens : 941 migrants ont été sauvés dans le canal de Sicile, entre la grande île italienne et la côte de l’Afrique du nord ».
Un record de migrants secourus en février
Selon Jeune Afrique, « pour la seule journée du dimanche 15 février, les secours italiens ont sauvé 2 164 migrants en provenance des côtes libyennes en direction de l’Europe via l’Italie. Une vaste opération de sauvetage au large de l’île de Lampedusa avait permis de recueillir sains et saufs tous les migrants répartis dans douze canots de fortune. Cette journée fut un record puisque la moyenne journalière des derniers mois se chiffre à 400. Deux jours plus tôt, le 13 février, 600 autres migrants avaient été secourus tout près des côtes de la Libye alors que 330 autres ont perdu la vie ».
« Cette hausse du nombre de migrants coïncide avec le chaos qui règne comme jamais en Libye, pays dirigé par deux gouvernement rivaux. Les passeurs profitent de cette situation pour multiplier les voyages en direction de l’Europe. Un marché très lucratif pour ces derniers, mais souvent mortel pour les migrants ».
Un chemin où la mort est trop souvent au rendez-vous
Selon les données d’un reportage proposé par Rémi Barroux, journaliste au Monde, « entre 2000 et 2013, 23 258 personnes seraient mortes ou disparues en tentant de gagner l’Europe, a révélé une équipe de journalistes spécialisés dans une enquête publiée sur le site Internet The Migrants Files. « Le nombre considérable d’hommes et de femmes qui sont contraints d’aller chercher du travail loin de leur patrie est un motif d’inquiétude. Malgré leurs espoirs d’un avenir meilleur, ils se heurtent souvent à la défiance et à l’exclusion, pour ne rien dire des tragédies et des catastrophes qu’ils traversent », a déclaré le pape François dans un message aux quelque trois mille délégués de la CIT (lemonde.fr).
Une route théoriquement sous un contrôle serré de la part des États
La carte des flux migratoires (figure 1) entre l’Afrique et l’Europe montre que trois voies sont privilégiées par les migrants clandestins: Vers Lampedusa, Les Îles Canaries ou Gibraltar. Si ces trois passages sont scellés d’autres seront ouverts, car le transport des migrants est devenue une véritable activité économique, la demande allant en augmentant avec la pression démographique et l’instabilité générale qui règne dans le continent africain.
Figure 1. Les mouvements migratoires entre l’Afrique et l’Europe
Source : http://www.rif1.fr/2012/06/video-micro-trottoir-au-maroc-les-immigres-subsahariens-derangent-la-population/
Le périple des populations subsahariennes vers l’Europe s’achève de plus en plus dans les pays maghrébins depuis que l ’Espagne, la France ou encore l ’Italie ont augmenté les surveillances aux frontières. Cela ne plaît pas toujours aux populations locales qui vivent déjà la précarité au quotidien, confrontés à la crise et à la hausse du chômage (rif1.fr) .
La carte de la figure 1 illustre les différents éléments des routes et des lieux de contrôle des migrants dans leur migration en direction de l’Europe en passant par le Magreb. Une ligne bleue montre l’aire de surveillance effectuée par des patrouilles aériennes permanentes avec des opérations géographiques ciblées, cette aire couvrant les espaces côtiers de l’Océan Atlantique et de la Méditerranée entre le Sénégal et la Libye. Les frontières marquées par des pointillés noirs sont ceux qui reçoivent de l’aide financière de la part de l’UE pour le contrôle de leurs frontières avec la modernisation de leurs équipements et la formation de la police. Ces pays sont le Maroc, la Mauritanie, la Libye, la Tunisie, l’Algérie, le Mali, le Niger et le Sénégal.
L’Algérie et le Maroc qui sont représentés en rose sont les États qui criminalisent le fait de sortir de son pays sans papiers. Puis, nous avons les États qui ont signé des Accords avec des pays européens pour faciliter les expulsions, soit le Mali, le Sénégal, la Libye, le Nigéria, le Guana, le Bénin et la Mauritanie. Les carrés noirs correspondent au total de migrants morts recensés aux frontières entre 2006 et 2009. Les flèches bleues sont les nouvelles routes migratoires visant à contourner les espaces contrôlés, ces voies s’avérant plus longues et plus dangereuses.
Les flèches de couleur orange indiquent le refoulement ou les expulsions entre les différents pays :
– De la Mauritanie vers le Sénégal, le Mali et le Maroc;
– Du Maroc à la Mauritanie;
– De l’Algérie au Mali;
– De la Libye au Niger;
– Du Maroc à l’Algérie;
– De l’Algérie au Niger.
Malgré toutes ces mesures de contrôle des mouvements migratoires entre les pays africains eux-mêmes des dizaines de milliers de migrants, réussissent à atteindre les points d’ancrage de transbordement cités plus haut.
Figure 2. Un bateau de clandestins au large de l’île de Lampedusa
Source : La marine italienne
Figure 3. Un chalutier surchargé
Source : http://quenelplus.com/revue-de-presse/libye-la-politique-du-chaos-du-tandem-sarkozy-bhl-porte-ses-fruits.html
Une tragédie humaine sans nom
Le transport des migrants en mer ne s’apparente même pas à celui que l’on réserverait aux animaux. Des bateaux surchargés (figure 3), des conditions sanitaires déplorables, aucun gilet de sauvetage et même des incidents sinistres comme le bombardement d’un bateau passeur (cameroonvoice.com) ou le largage de réfugiés par-dessus bord par les migrants eux-mêmes. Des scènes d’horreur qu’il est bien difficile d’imaginer. Quand les garanties de survie deviennent à peu près nulles des actes de barbarie sont souvent commis.
Conclusion
L’arrivée en Europe de contingents importants de migrants en provenance du continent africain va augmenter en fonction des processus de détérioration des conditions de vie de la majorité de l’Afrique du Sahel et de l’Afrique subsaharienne. Les guerres ont frappé la Côte d’Ivoire, la Centrafrique et le Mali et sévissent encore en Libye, au Nigéria et au Soudan. C’est alors que s’installent l’instabilité et l’insécurité dans toute la région. Les membres de l’UE n’ont pas pu empêcher le flux déferlant de migrants qui veulent, même au prix de leur vie, entrer sur le territoire européen. La pression s’intensifie et les arrivages prévus de 250 000 à 500 000 nouveaux migrants au cours des trois prochains mois sont très faciles à comprendre.
Voilà la rançon du pillage des ressources exercées depuis des siècles par les puissances européennes, pillage qui se poursuit au détriment de l’ensemble des populations africaines. La population de l’Afrique (surtout subsaharienne) va plus que doubler au cours des trente prochaines années. Il est difficile de concevoir qu’un si grand nombre, à l’intérieur d’un système économique extraverti, pourra satisfaire ses besoins essentiels. On peut donc s’attendre à ce qu’une catastrophe humanitaire d’une grande ampleur frappe la majorité des pays africains dans un proche avenir : Épidémies, conflits armés, mouvements migratoires accrus, exode rural et explosion de mégalopoles sans infrastructures, etc. Les grandes puissances sont installées en Afrique pour veiller à la sauvegarde de leurs intérêts et elles poursuivront le processus de la militarisation de l’Afrique pour en garder le contrôle. Le jour de l’indépendance et de l’autonomie du continent est encore très, très loin malheureusement.
Jules Dufour
Pour Mondialisation.ca
Jules Dufour, géographe, Ph.D., C.Q., professeur émérite, membre de la Commission mondiale des Aires protégées de l’Union Internationale de la nature (UICN), membre, Cercle universel des Ambassadeurs de la Paix, Paris, membre, Bureau International de la Paix, Genève, membre du Groupe canadien du PUGWASS, Toronto
Références
ANONYME. 2015. Italie: Arrivage de 250.000 à 500.000 réfugiés en provenance de la Libye au cours des deux à trois prochains mois. LesObservateurs.ch. Le 16 avril 2015. En ligne : http://www.lesobservateurs.ch/2015/04/16/italie-arrivage-de-250-000-500-000-refugies-en-provenance-de-la-libye-au-cours-des-deux-trois-prochains-mois/
APE. Frontex ou la création des conditions d’un assassinat de masse. 2015. Le mur meurtrier de la Méditerranée : L’assassinat institutionnel de masse de l’Union européenne. PRESSE-TOI À GAUCHE. Le 31 mars 2015. En ligne : http://www.pressegauche.org/spip.php?article21438#.VR1ywP10az4.facebook
AFP – Rome. 2015. Des migrants accusés d’avoir jeté des chrétiens à la mer. LAPRESSE.ca. Le 16 avril 2015. En ligne : http://www.lapresse.ca/international/europe/201504/16/01-4861826-des-migrants-accuses-davoir-jete-des-chretiens-a-la-mer.php
BORDENET, Camille. 2015. En 2015, un migrant meurt toutes les deux heures en moyenne en Méditerranée. Les décodeurs. LeMonde.fr. En ligne : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/20/en-2015-un-migrant-meurt-toutes-les-deux-heures-en-moyenne-en-mediterranee_4619379_4355770.html
EUROSTAT. 2012. Statistiques sur la migration et la population migrante. Décembre 2012. En ligne : http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Migration_and_migrant_population_statistics/fr#Les_flux_migratoires
JEUNE AFRIQUE. 2015. L’Italie enregistre un nombre record de migrants clandestins venus d’Afrique par la mer. Le 5 mars 2015. En ligne : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20150305154105/italie-immigration-lampedusa-immigration-clandestinel-italie-enregistre-un-nombre-record-de-migrants-clandestins-venus-d-afrique-par-la-mer.html
L’Islam, le Rif. 2012. Vidéo : Micro-trottoir au Maroc-Les Immigrés subsahariens dérangent la population. Le 18 juin 2012. En ligne : http://www.rif1.fr/
MELKI, Clément. 2015. La Libye, plaque tournante de l’émigration africaine. Le Monde.fr. Le 16 avril 2015. En ligne : http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/04/16/la-libye-plaque-tournante-de-l-immigration-africaine_4617559_3214.html
RETTINO-PARAZELLI, Karl. 2015. Naufrage de migrants en Méditerranée. Un sommet extraordinaire pour endiguer l’hécatombe. Journal le Devoir, le 21 avril 2015, p. 1A.
RIJCKAERT, Alix. 2015. Tragédie en Méditerranée. Le bilan grimpe à 800 morts. AFP. Le 21 avril 2015. Journal Le Soleil, p. 22.
TELESUR. 2015. Recuento: Casi dos décadas de naufragios en el Mediterráneo. teleSUR-AFP/ ep-LP. Le 19 avril 2015. En ligne : http://www.telesurtv.net/news/Recuento-Casi-dos-decadas-de-naufragios-en-el-Mediterraneo-20150419-0022.html