La mort de Jackeline Caal, sept ans: victime de la guerre de Trump contre les immigrés

Jackeline Caal, sept ans, est décédée la semaine dernière, détenue par l’US Customs and Border Protection (CBP), a admis cette agence jeudi. La mort de l’enfant est une conséquence directe de la répression brutale des migrants par l’administration Trump, qui s’est intensifiée au point que de tels décès ne peuvent être considérés comme des accidents. Ils sont le résultat inévitable et délibéré de politiques choisies pour maximiser les souffrances et les privations des réfugiés demandeurs d’asile aux États-Unis.

Caal et son père faisaient partie d’un groupe de plus de 160 migrants guatémaltèques qui ont traversé la frontière entre les États-Unis et le Mexique dans la nuit du 6 décembre, cherchant refuge contre la violence et l’oppression endémiques dans leur pays natal. Ils se sont rendus aux agents de l’immigration au poste frontière d’Antelope Wells, au Nouveau-Mexique.

Le père de Caal, Nery, a dit à CBP qu’elle était malade et vomissait, mais il n’y avait pas de personnel médical sur place. Les migrants détenus ont été entassés dans deux autobus et emmenés à 90 minutes de route vers le nord, jusqu’à une installation du CBP à Lordsburg, au Nouveau-Mexique.

Jakelin Amei Rosmery Caal Maquin

 

Une fois à Lordsburg, selon le DHS (Department of Homeland Security), ses agents ont séparé Caal de son père sous prétexte qu’il n’avait pas de documents prouvant qu’ils étaient parents. Cela fait partie du régime délibérément cruel maintenu le long de la frontière, qui vise à intimider les réfugiés avec la menace que leurs enfants leur seront enlevés et jamais rendus.

Après la séparation, Caal a commencé à avoir des crises. Le personnel de l’équipe médicale d’urgence locale a été appelé et a dû réanimer à deux reprises l’enfant qui avait cessé de respirer. Ils ont découvert qu’elle avait une température de 41 degrés. Ils l’ont fait transporter par avion jusqu’à un hôpital d’El Paso, au Texas, à environ 250 km de là. Elle y a été soignée pour déshydratation sévère et manque de nourriture, mais elle est décédée dans l’unité de soins intensifs moins de 24 heures plus tard. Son père Nery avait été conduit à l’hôpital et était là quand elle est morte.

La chaîne des circonstances est ici accablante. Les réfugiés ont été contraints de faire le dangereux voyage à travers le désert de Sonora parce que le gouvernement américain refusait de leur laisser faire une demande d’asile à des postes frontaliers bien fréquentés, retardant délibérément le traitement de leurs demandes pendant des semaines, voire des mois.

L’installation du CBP à Antelope Wells n’avait pas de personnel médical et n’était absolument pas adaptée à l’accueil de réfugiés en groupes familiaux. Lors d’une audition devant le Congrès mardi, le commissaire du CBP, Kevin McAleenan, a déclaré que les postes avaient été construits il y a de nombreuses années pour accueillir des hommes en âge de travailler non accompagnés, généralement en bonne condition physique, qui traversaient la frontière.

En novembre, cependant, 25000 immigrants ont franchi la frontière entre les États-Unis et le Mexique en groupes familiaux, dont 5200 enfants sans tuteur, a-t-il dit. « Notre infrastructure est incompatible avec cette réalité », a admis McAleenan. « Nos postes de patrouille frontaliers et nos points d’entrée ont été construits pour accueillir surtout des hommes adultes célibataires en détention. Pas des familles ou des enfants. »

Une fois que le CBP eut placé le groupe guatémaltèque en détention, il a d’abord ignoré l’inquiétude du père pour sa petite fille, puis l’a délibérément séparé d’elle, affirmant qu’il n’avait pas de preuve de paternité. Ce n’est que lorsque la jeune fille a cessé de respirer que les services d’urgence ont été appelés. Mais il s’est avéré qu’il était trop tard. Il n’est pas clair si le CBP a fourni de l’eau ou de la nourriture aux réfugiés après qu’ils se furent rendus.

Lorsque la nouvelle de cette mort horrible a été rapportée pour la première fois jeudi soir, l’administration Trump s’est immédiatement employée à limiter les dégâts, blâmant la famille de l’enfant. Vendredi matin, dans le cadre de l’émission préférée de Trump, Fox & Friends, la secrétaire du DHS, Kirstjen Nielsen, a déclaré: « Cette famille a choisi de traverser illégalement. »

« Ce qui s’est passé là », poursuivit-elle, « c’est qu’ils étaient à environ 145km de l’endroit où nous pouvions les traiter. Ils étaient tellement nombreux qu’il a fallu deux ou trois fois à nos gardes-frontières pour les accueillir tous. » La secrétaire du DHS conclut en profitant de la tragédie pour dissuader les futurs passages frontaliers. « Je ne peux pas insister assez sur combien ce voyage est dangereux quand les migrants choisissent de venir ici illégalement. »

La Maison-Blanche a adopté la même approche, de façon plus grossière encore. « L’administration est-elle la responsable d’un parent qui emmène un enfant faire un trajet à travers le Mexique pour se rendre dans ce pays ? Non », a déclaré l’attaché de presse adjoint Hogan Gidley vendredi matin, également sur Fox News.

Ni le secrétaire du DHS ni la Maison Blanche n’ont évoqué le fait incontesté que Jackeline Caal est morte non pas dans le désert mais détenue par le DHS.

Le CBP et le DHS ont d’abord refusé de divulguer le nom de la jeune victime, la décrivant uniquement comme une « jeune détenue » dans la déclaration annonçant son décès. Seul le ministère des Affaires étrangères du Guatemala a fourni le nom de la jeune fille et de son père de 29 ans, ajoutant qu’ils venaient de Raxruha dans le département d’Alta Verapaz au nord du Guatemala.

La langue maternelle du père est une langue indienne maya, il n’a qu’une maîtrise limitée de l’espagnol, sa seconde langue, et ne parle pas du tout l’anglais. Il a été interrogé en espagnol par des agents de la police des frontières et a rempli un questionnaire de santé en anglais, sous leur direction.

La mort de Jackeline Caal a provoqué un flot de déclarations hypocrites de la part des politiciens du Parti démocrate. « Il n’y a pas de mots pour décrire l’horreur d’une fillette de sept ans qui meurt de déshydratation sous la garde des États-Unis », a déclaré Hillary Clinton sur Twitter vendredi matin. « Ce qui se passe à nos frontières est une crise humanitaire. »

Clinton faisait partie de l’administration Obama qui a déporté plus d’immigrants que tous les gouvernements précédents de l’histoire américaine, a mobilisé des troupes à la frontière comme Trump, si ce n’est à une échelle légèrement inférieure, et a commencé la détention massive de familles de réfugiés d’Amérique centrale, que Trump a virtuellement transformé en une guerre contre de supposés « envahisseurs » des États-Unis.

De plus, en tant que secrétaire d’État, Clinton est directement responsable du coup d’État militaire soutenu par les États-Unis au Honduras en 2009, qui a marqué un tournant dans la montée de la répression de masse et de la violence, le moteur de la migration massive vers le nord depuis ce pays.

Le chef démocrate de la Commission judiciaire de la Chambre des représentants, Jerrold Nadler, a écrit sur Twitter que la secrétaire du DHS, Nielsen, devait comparaître devant la Commission la semaine prochaine, « et nous allons exiger des réponses immédiates à cette tragédie ». Nadler est apparu dans plusieurs émissions de télévision dimanche évoquant la perspective de destituer Trump sur les violations du financement de sa campagne ou sur l’enquête sur la Russie, et n’a rien dit du tout sur la persécution des immigrants par l’administration.

Beto O’Rourke, député démocrate d’El Paso, où Jackeline Caal est décédée, a tweeté, « Je suis profondément attristé par la mort de cette jeune fille », ajoutant, « Il faut qu’il y ait une enquête complète et que ses résultats soient partagés avec le Congrès et le public ». O’Rourke, qui a perdu au Texas l’élection au Sénat contre le député sortant Ted Cruz, envisage maintenant une candidature présidentielle.

Le député de San Antonio, Joaquín Castro, le nouveau président du Groupe hispanique du Congrès (CHC), envisage également une campagne présidentielle en 2020. Il a déclaré dans un communiqué: « Il s’agit d’une crise humanitaire et nous avons l’obligation morale de veiller à ce que ces familles vulnérables puissent demander l’asile à nos frontières en toute sécurité, ce qui est la loi en vertu du droit international et de l’immigration ».

Un troisième candidat potentiel à la présidence démocrate pour 2020, le sénateur Jeff Merkley, de l’Oregon, a dénoncé la mort de Jackeline Caal comme étant « tragique et horrible », mais a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve de faute de la part des agents de la police des frontières. « J’espère qu’elle a reçu des soins immédiats et qu’elle a reçu de l’eau à la frontière comme cela devrait être le cas pour tous, a-t-il dit, sans fournir aucune preuve que cela ait été le cas.

La déclaration la plus émotive d’un démocrate est venue de la représentante de la Californie, Lucille Roybal-Allard, qui dirigera la sous-commission des crédits pour la sécurité intérieure en janvier. Elle a tweeté qu’elle était « horrifiée, navrée et furieuse » ajoutant, « C’est un autre exemple de la façon dont l’Administration Trump n’accorde aucune valeur à la vie et à la dignité de nos frères et sœurs migrants ».

Tous ces députés et sénateurs démocrates, cependant, étaient des partisans de l’administration Obama pendant la période où elle a maintenu la politique anti-immigrés la plus répressive de l’histoire américaine, jusqu’à Trump. En outre, les députés démocrates viennent de réélire Nancy Pelosi à leur tête, après quoi elle s’est rendue à la Maison-Blanche avec Charles Schumer, chef de file de la minorité au Sénat, pour discuter avec Trump du mur frontalier, promettant son soutien à une « sécurité frontalière » accrue au coût d’au moins 1,3 milliard de dollars.

En d’autres termes, les démocrates sont heureux d’attaquer Trump après une tragédie comme la mort de Jackeline Caal, mais ils soutiennent pleinement les mécanismes de répression à la frontière qui rendent ces morts inévitables, tant qu’ils ne prennent pas la forme d’un mur en béton allant du Pacifique au Golfe du Mexique.

Vendredi, l’agence américaine ICE (Immigrations and Customs Enforcement) a en outre annoncé qu’elle avait arrêté plus d’immigrants sans papiers au cours de l’année fiscale qui s’est terminée le 30 septembre 2018, que pour toute autre année depuis 2014. Un total de 158 851 personnes, soit une augmentation de 11 % par rapport à 2017. Les arrestations d’immigrants sans antécédents criminels par l’ICE ont bondi de près d’un tiers, pour atteindre 20464. Les « antécédents criminels » peuvent se résumer à une simple arrestation pour conduite en état d’ébriété ou possession de drogue mineure, ou à un retour aux États-Unis après avoir été expulsé une fois.

Si ces chiffres montrent qu’au cours du premier exercice entièrement sous l’administration Trump, la persécution des migrants a augmenté de manière significative, ils montrent également que Trump a toujours du retard par rapport aux pires années sous Obama, que les groupes de défense des droits des migrants qualifiaient de « déporteur en chef ».

Patrick Martin

 

 

Article paru en anglais, WSWS, le 15 décembre 2018



Articles Par : Patrick Martin

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