La musique a-t-elle un avenir au Québec?

L’annonce a été brutale. Une secousse aussi violente qu’inattendue dans le petit monde des arts. Le 17 janvier 2018, la direction de l’école Villa Maria annonçait qu’elle fermera le 30 juin sa prestigieuse école de musique. Pour des motifs budgétaires douteux et mal argumentés, elle aura jeté à la rue dix-huit de ses plus brillants professeurs et privé presque 200 élèves de leur programme, suscitant la colère de centaines de parents.
Mais tandis que le conflit s’intensifie sur le campus, cette décision inacceptable pose à la société québécoise des questions plus fondamentales. À l’heure où l’on redécouvre les vertus pédagogiques de la musique, fermer nos programmes et nos écoles est un geste absurde qui nous fragilise et nous appauvrit comme collectivité. Sans doute, mesurés à l’actualité nationale et internationale, ces faits passeront-ils aux yeux de plusieurs pour un événement minuscule, sinon dérisoire. Et pourtant… Le cas de Villa Maria n’est pas unique, et confirme sur la durée l’érosion lente et dramatique des formations musicales réputées au Québec.
Le fait rappelle à notre société que non seulement la vitalité, mais l’existence et même la survie de la culture, de sa culture, demeurent une réalité fragile si l’on n’y prend pas garde. Il lui demande aussi où elle place ses valeurs, celles que des générations, des communautés, des milieux différents ont en partage, qu’ils soient tournés vers le baroque, le jazz ou le rap. Il l’interroge enfin sur son histoire et son identité faite d’influences diverses et, risquons ce mot, peut-être même sur son destin. Car, à force de décisions de ce genre, motivées par un esprit étroitement comptable, on est en droit de se demander si la musique a encore un avenir au Québec.
Un patrimoine vivant
Depuis sa fondation en 1854 par les soeurs de la Congrégation Notre-Dame, l’école Villa Maria offre dans ses murs des leçons de musique privées, aujourd’hui ouvertes aussi bien aux élèves qui suivent leur scolarité dans l’établissement qu’au grand public. Il s’agit là de l’une des plus anciennes formations musicales à Montréal, au Québec et probablement même au Canada. C’est à ce patrimoine, riche de presque 165 ans, consacré par de nombreux prix et de longues carrières, qu’il nous est demandé à tous de renoncer, artistes et public, amateurs et professionnels, élèves et professeurs.
Or ce patrimoine n’est pas destiné à être contemplé en silence dans un musée pour témoigner du passé. Il est vivant, il se transmet de jour en jour avec passion et rigueur. S’il faut cinq ans de dur labeur pour que naisse un(e) apprenti(e) violoniste, qu’arrivera-t-il lorsque d’autres écoles de musique, d’autres programmes disparaîtront les uns après les autres ? Que deviendront les élèves qui souhaitent poursuivre en ce domaine, en faire une vocation ? Une fois que le bassin sera définitivement tari, faudra-t-il fermer à leur tour les départements de musique de nos cégeps et universités ? Nos salles de concert peut-être ? Quels artistes écouterons-nous demain qui nous éveilleront, nous enchanteront, nous transformeront ?
En France, les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture ont décidé l’an passé d’introduire la « rentrée en musique ». En Grande-Bretagne, une école de Bradford accueillant une population très défavorisée a misé sur un cursus musical renforcé et a atteint, contre toute attente, des taux de réussite comparables à la moyenne nationale. Et que dire des nombreux projets, activités et partenariats mis en place à l’initiative des orchestres de Montréal et du Québec, de l’importance qu’ils accordent aux programmes musicaux et de leurs bienfaits reconnus dans l’enseignement ?
Tous les signes le montrent : la musique sera appelée à occuper une place de plus en plus importante dans l’école du futur. La place qui lui revient de droit mais que nous avons ignorée par des choix aberrants. C’est cette école-là que nous tous, signataires de cette lettre, défendons aujourd’hui.
Comité de sauvegarde de l’école de musique de Villa Maria
* Cette lettre est signée par :
Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre Métropolitain; Natalie Choquette, soprano, artiste internationale; Oliver Jones, pianiste ; Michel Rivard, auteur-compositeur-interprète; Michel Côté, comédien; Luc De Larochellière, auteur-compositeur-interprète; Christopher Hall, clarinettiste et humoriste, membre du Comic Orchestra; Philippe Sly, baryton; Stéphane Lévesque, président de l’association des musiciens de l’Orchestre symphonique de Montréal; Coral Egan, auteure-compositrice-interprète; Stanley Péan, animateur à Radio-Canada; Émile; Bilodeau, auteur-compositeur-interprète; Caroline Dhavernas, comédienne; Marie-Michèle Desrosiers, pianiste et chanteuse, groupe Beau Dommage; Réal Desrosiers, batteur et percussionniste, groupe Beau Dommage; Marie-Denise Pelletier, artiste-interprète; Michel Cusson, guitariste et compositeur; Lorraine Desmarais, pianiste et professeure de musique, Cégep de Saint-Laurent; Pascale Montpetit, comédienne; Michel Donato, contrebassiste, compositeur, Faculté de musique de l’Université de Montréal; Lysandre Ménard, pianiste, Royal Academy of Music (Londres); Mario Allard, saxophoniste, compositeur, professeur de saxophone; Greg Amirault, professeur de guitare jazz, Cégep Marie-Victorin; Isabelle Arseneau, professeure de littérature, Université McGill; Josée Beaudry, présidente de la Fondation Droit au talent; Julie Beaulieu, Fondation Droit au talent; Vincent Beaulne, enseignant, musicien, producteur de disques; David Bellamare, saxophoniste et professeur de musique, Cégep de Saint-Laurent; Samuel Blais, saxophoniste et professeur, Cégep de Joliette; Simon Blanchet, agent culturel et directeur de la programmation, Chapelle historique du Bon-Pasteur; Andrée Boudreau, pianiste et enseignante; Louis-Pierre Bourret-Parenteau, gérant d’artistes, Dare to Care records; Diane Caplette, flûtiste et professeure de musique au Cégep de Saint-Laurent; Josée Caron, professeure de chant pop/jazz, Cégep Marie-Victorin; Sabrina Casault, enseignante en art dramatique, école Amis-du-Monde Hugh Cawker, pianiste, professeur et coordonnateur du programme de musique, Marianopolis College; Bernard Y. Caza, directeur artistique, Vieux Clocher de Magog; Sandra Corneau, responsable de la coordination du département de musique, Collège d’Alma; Alexandre Côté, saxophoniste, composition et arrangement, Cégep Saint-Laurent et Université de Montréal; Marie-Christine Coulombe, directrice générale, Camp musical Père Lindsay; Karine Cousineau, attachée de presse; Audrey Coussy, traductrice, professeure de littérature, Université McGill; Josée Crête, présidente du CA de la Fédération des harmonies et orchestres symphoniques du Québec ;François d’Amours, musicien pigiste et enseignant en musique au Collège Lionel-Groulx; Charles Decroix, directeur général, Alliance chorale du Québec; Benjamin Deschamps, saxophoniste et professeur, Collège Notre-Dame; Caroline Desrosiers, membre du comité exécutif et du conseil d’administration du concours de musique du Canada; Ron Di Lauro, trompettiste et professeur de musique, Université McGill et Université de Montréal; Annie Dominique, saxophoniste et professeur de musique, école secondaire André Laurendeau; Aron Doyle, trompettiste et professeur de musique, Cégep Marie Victorin et Université McGill; Rachel Doyon, directrice générale, Festival-concours de musique classique de Pierre-de-Saurel; Zoé Dumais, professeure de violon, Cégep de Saint-Laurent ; Elaine Dumont, directrice des affaires internationales, SODEC; Iwan Edwards, CM, Choir Master; Alain Farah, écrivain, professeur de littérature, Université McGill; Nathalie Fernando, professeure de musique, Université de Montréal; Robert Filion, chef de chœur, Les Ensembles vocaux De La Salle, Centre d’excellence artistique de l’Ontario; Maryse Forand, directrice générale, Fédération des Associations de Musiciens Éducateurs du Québec; Luc Fortin, président, Guilde des musiciens et musiciennes du Québec ; Jo-Anne Fraser, professeure de musique et coordonnatrice de programme, Cégep de Saint-Laurent, Université de Sherbrooke et UQAM; Jean Fréchette, saxophoniste, directeur musical de La Bottine Souriante, enseignant au Cégep de Saint-Laurent; Benoit Gauthier, enseignant en formation auditive, Cégep Marie-Victorin; Paule Gauthier, guitariste, Orchestre de guitare de Montréal; Marie-Louise Gay, écrivaine et illustratrice de livres pour enfants; Gabriel Hamel, professeur à la Faculté de musique de l’Université Laval; Françoise Henri, directrice générale et artistique, Société pour les arts en milieu de santé ; Jason Hutt, chef d’orchestre, violoniste et professeur de musique; Robert Ingari, professeur, école de musique de l’Université de Sherbrooke; Nathalie Khoriaty, pianiste professionnelle; Hank Knox, Chair, Early Music Area, Université McGill; Christine Jensen, saxophoniste, compositrice; Catherine Lafrasse, coordonnatrice marketing, Atout France; Eric Lagacé, professeur de fugue d’harmonie et contrepoint, Conservatoire de musique de Montréal; Michel Lambert, responsable des cheminements en interprétation jazz, école de musique de l’Université de Sherbrooke; Emmanuelle Lambert-Lemoine, enseignante de musique, altiste et pianiste, Centre d’excellence artistique de l’Ontario, École secondaire publique De La Salle; Jocelyn Lapointe, trompettiste, professeur au Collège Lionel-Groulx; Jacques Laurin, fondateur et directeur général, Orchestre National de Jazz de Montréal; Vincent Lauzer, directeur artistique du Festival international de musique baroque de Lameque; Francine Lavigne, ancienne directrice de l’école de musique de Villa Maria; Danièle LeBlanc, directrice générale et artistique, Jeunesses Musicales Canada; Monique Leblanc, professeur, Conservatoire de musique de Montréal et École Vincent-d’Indy; Rémi-Jean Leblanc, contrebassiste et professeur de musique, Cégep de Saint-Laurent et Université McGill; Catherine Leclerc, traductologue, professeure de littérature, Université McGill; Véronique Le Flaguais, comédienne; Maxime Le Flaguais, comédien; Sylvain Lemay, éditeur, Les Productions d’OZ, Les Éditions Doberman-Yppan; André Leroux, saxophoniste, Conservatoire de musique de Montréal; Véronique Le Sayec, déléguée des affaires internationales, SODEC; Jacques Létourneau, président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN); Dominic Léveillé, trompettiste et professeur; Luc Lévesque, responsable de la coordination du département de musique, Collège d’Alma; Dominic Lorange, chanteur; Lisa Lorenzino, Area Chair for Music Education, Schulich School of Music, Université McGill; Frank Lozano, saxophoniste et professeur de musique, Cégep Vanier et Université McGill; Guy Maguire, webmestre et édimestre, Ensemble vocal Bach et Baroque; Anna-Belle Marcotte, violoniste, Orchestre symphonique de Montréal (1999-2011); Ève Martin, ancienne coordonnatrice de l’école de musique de Villa Maria; Madeleine Mercy, ancienne altiste, Orchestre Métropolitain; Anne-Marie Millaire, flûte traversière, ancienne élève de l’école secondaire Joseph-François-Perrault; Claudia Morissette, directrice des opérations artistiques, Jeunesses musicales du Canada; Jean Murdock, président, Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN); Jean-François Normand, professeur de clarinette au Conservatoire de musique de Montréal; Philippe Ostiguy, directeur musical et artistique, Les Petits Chanteurs de Laval; Christian Pamerleau, professeur de batterie, Cégep Marie-Victorin; François Panneton, chef de chœur et enseignant, Cégep Marie-Victorin; Mariane Patenaude, pianiste, récipiendaire du Prix d’Europe et directrice musicale et artistique des Voix d’Elles; Gilbert Patenaude, compositeur, pédagogue, directeur artistique des Petits chanteurs du Mont-Royal 1978-2016 ; Rachel Patenaude, enseignante en musique, École de musique Vincent-d’Indy; Alena Perout, directrice adjointe de la Faculté des sciences humaines, du commerce, des arts et des lettres et de la musique du Collège Vanier; Raymond Perrin, professeur au Conservatoire de musique du Québec, Université de Montréal; Marie-Claude Perron, altiste, Orchestre Symphonique de Québec; Dave Pilon, guitariste et chef d’orchestre, Société de guitare de Montréal ; Gisèle Poulin, professeur de chant pop/jazz, Cégep Marie-Victorin; Natalie Racine, altiste, orchestre symphonique de Montréal; Chantal Rioux, ancienne directrice des services éducatifs de Villa Maria et ancienne coordonnatrice de l’école de musique de Villa Maria; André Rodriguez, professeur de guitare classique, Cégep Marie-Victorin; Louis-Jordan Ruel, responsable au secrétariat, Association départementale des étudiant(e)s de l’école de musique de l’Université de Sherbrooke (ADEEM); Lise St Germain, ancienne directrice de l’école de musique de Villa Maria; Barbara Secours, chanteuse et animatrice de radio; Mario Sévigny, compositeur de musiques à l’image; Madeleine Tremblay, directrice générale, Festival-concours de musique de Sherbrooke et de la région de l’Estrie; Jean-Nicholas Trottier, tromboniste, Université McGill et Université de Montréal; Alain Trudel, directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Laval; Dominic Trudel, directeur général, Conseil Québécois de la Musique ; Marianne Trudel, pianiste et professeur de musique, Cégep de Saint-Laurent; Lorraine Vaillancourt, chef d’orchestre, Nouvel Ensemble Moderne; David Veilleux, clarinettiste, ancien élève de l’école secondaire Mont-de-La Salle et du Conservatoire de Musique de Montréal; Jean-Pierre Zanella, saxophoniste et enseignant de musique, Cégep de Saint-Laurent