La nation arabe souffre des maux de ses chrétiens !

Il est parfois utile de sortir des sentiers battus pour aller à la découverte de l’inconnu, sans aucune garantie quant à l’intérêt de notre démarche et même si, une fois le langage décodé, surgissaient des questions auxquelles nous ne saurions répondre. Première question : comment comprendre le message de cet auteur marocain publié sur le site « Al-khaleej » et, abstraction faite des vérités historiques qu’il rappelle, à qui pourrait-il s’adresser ?

En réponse : voici, mot par mot, deux commentaires reçus après partage. Le premier est celui d’un ami libanais chrétien : « Il est remarquable d’honnêteté intellectuelle, cet article. Une seule conclusion s’impose : le salut est dans l’identité arabe – toutes religions et confessions comprises – et non dans l’islamisme. L’auteur évoque en termes mesurés les erreurs des uns et des autres. D’une façon plus crue, on pourrait dire qu’à certaines époques, il est arrivé aux Arabes musulmans de céder à l’instinct de foule (manipulée ou non) en se livrant à des excès déplorables. Les massacres de chrétiens à Damas en 1860 en sont un exemple. De la même façon, il est arrivé malheureusement, que les Arabes chrétiens ont servi de marionnettes consentantes aux Occidentaux… L’essentiel est d’être lucide ». Le deuxième est celui d’une amie syrienne musulmane : « L’article est très fort, ce serait bien de le traduire… Le salut est dans l’identité culturelle et nationale à mon avis, la preuve c’est que des chrétiens et des musulmans se trouvent dans les deux camps en Syrie, en oubliant les importations touristiques actuelles… Personnellement je ne tiens plus du tout à mon identité « arabe », rien absolument rien ne me lie à ces sauvages obtus et obscurantistes qui détruisent mon pays. Cela me rappelle une jeune libanaise rencontrée à Lattaquié dans les années 70, elle disait la même chose, elle avait fui le Liban à cause de la guerre, je ne comprenais pas trop à l’époque ».

D’où d’autres questions. Le nationalisme et le patriotisme ne se confondent donc plus !? Que signifiera désormais le mot « oumma » qui désigne la  communauté des musulmans  indépendamment de leur nationalité et qui a été repris par les nationalistes laïcs du monde arabe pour désigner la « nation », avant de devenir le leitmotiv des mouvements politico-religieux panislamiques ? Le communautarisme fondé sur l’institutionnalisation politique des appartenances ethniques ou religieuses si odieusement exploité par les colonialistes occidentaux d’hier et d’aujourd’hui pour déstabiliser et disloquer les sociétés arabes, va-t-il détruire et leurs patries et leur nation quelle qu’en soit la définition … avant de déferler sur l’Occident ?

Certains ont réfléchi à quelques unes de ces questions, et  puisque nous sommes le 14 Septembre, jour de la visite du Pape Benoît XVI au Liban, lisons Georges Corm dans le texte publié par « La Croix » [*] après avoir lu l’article, traduit de l’arabe, du Dr Abdel Ilah Belkeziz , nous aurons des débuts de réponses… des débuts seulement !    

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Si les chrétiens arabes du Levant et de l’Égypte se sont distingués par leur légitime inquiétude pour leur existence et leur destin , ce n’est certainement pas par peur de leurs frères musulmans avec lesquels ils ont vécu dans la sécurité et l’harmonie, allant parfois jusqu’à sceller leur union par le mariage de leurs enfants et à adopter, pour leurs petits enfants, les prénoms des compagnons du Prophète et des chefs des conquêtes musulmanes, tel le prestigieux  Maroun Abboud  dont le fils ainé porte le prénom de Mohamad [1]. Non… ils ont toujours eu à craindre les opportunistes affairistes de tous bords, extérieurs ou intérieurs, qui n’ont eu de cesse d’exploiter la diversité religieuse caractéristique de leur région pour en arriver à démolir leur  coexistence pacifique et interdépendante au sein d’une même patrie.

Ce n’est pas par hasard si les autorités spirituelles des communautés chrétiennes du Levant sont toutes d’accord sur la nécessité de maintenir cette relation confraternelle et  conviviale entre musulmans et chrétiens qui, selon leurs propres termes, est non seulement la seule voie de salut face aux dangers de dislocation et de désintégration de leurs patries respectives, mais est aussi une doctrine fondamentale des chrétiens arabes depuis des siècles … Parmi ceux-là, feu le Pape de l’Église copte orthodoxe Chenouda III, le Patriarche grec orthodoxe Hazim, et le Patriarche maronite Bechara al-Raï. Ce faisant, ces autorités ne font que respecter une très vieille tradition arabe volontairement suivie par les communautés musulmane et chrétienne de cette région… Ils restent dans la droite ligne de leurs ancêtres qui ont accueilli à bras ouverts les conquérants arabes, leur ouvrant les portes de Damas et d’Égypte pour les libérer de la domination byzantine après avoir combattu dans les rangs de leurs armées contre les « Croisades » venues de l’étranger… Ils sont les descendants des Chrétiens de  « la Renaissance arabe » du XIXe et des débuts du  XXe siècle ; ces Chrétiens qui ont  écrit l’Histoire de la culture arabe [Butrus al-Bustani ; Farah Antoun…], l’Histoire de l’Islam et de sa civilisation [Georgi Zidane…] ; ces Chrétiens qui ont fait progresser la langue et la littérature arabes [Fares Chidyaq; Adib Ishaq ; Gibran Khalil Gibran ; Elia Abu Madi ; Mikhail Naimy…]… Ils sont les petits-fils des premiers nationalistes arabes ; ceux-là même qui ont excellé, il y a des décades, dans la conception de l’arabité comme moyen de lutte contre l’Empire Ottoman, puis comme ciment  de la communauté nationale !

Les chrétiens arabes n’ont pas eu à souffrir des musulmans, parce que les enseignements de leur religion interdisent à quiconque de leur porter atteinte ; parce que l’Histoire de l’Islam et sa tradition de tolérance témoignent de précédents pour les guider et leur servir d’exemples, parce qu’ils sont nés d’une même nation multiconfessionnelle et que ces chrétiens ont offert à cette nation des modèles d’intelligence, de culture, de créativité et de patriotisme… et enfin, parce que les musulmans n’ont  jamais eu à souffrir de leurs frères chrétiens non plus ! Non… les  chrétiens arabes n’ont eu à souffrir que des  étrangers, de leurs croisades passées comme de leur croisade actuelle. Ils ont payé horriblement cher… Qu’y a-t-il de plus horrible que de les déraciner de leurs terres et de leurs patries où ils ont vécu ou vivent depuis des centaines d’années ? Les trois quarts des chrétiens palestiniens ont été arrachés à leur terre suite à l’invasion sioniste, aux politiques de judaïsation, d’encerclement et de répression qui les ont dispersés dans les pays voisins et partout dans le monde. Près de la moitié des chrétiens libanais ont dû émigrer au cours de ces trente sept dernières années, depuis le début de la guerre civile fomentée par les architectes US-sionistes jusqu’à la cascade des petites guerres latérales qui se sont concentrées sur les zones chrétiennes. Deux millions de chrétiens irakiens ont subi ce sort funeste après l’invasion et l’occupation US en 2003. Et voilà que des dizaines de milliers de chrétiens syriens doivent à leur tour quitter leur foyer en raison des événements qui les ont placés face à des groupes extrémistes sanguinaires qui menacent de les exterminer sous prétexte qu’ils soutiennent le régime…etc.

Certains diront que les malheurs des Arabes chrétiens n’ont pas toujours été du fait des puissances étrangères qui auraient utilisé les « minorités » pour imposer leurs  politiques aux diverses sociétés arabes, mais qu’ils ont bel et bien été martyrisés par des groupes religieux [islamistes] extrémistes, comme cela s’est produit pour les Coptes en Egypte, pour les chrétiens en Irak, et aujourd’hui pour les chrétiens de Syrie. Même si ce constat est vrai, ce serait une erreur que d’attribuer ces agressions, commises par des extrémistes, à l’Islam. Les musulmans ont eux aussi subi les méfaits et préjudices de ces fous furieux, et la folie furieuse qui s’est déchaînée sur les chrétiens arabes ne les a pas épargnés. La religion n’y est donc pour rien, même si pour se couvrir certains de ces terroristes sont allés jusqu’à faire payer une jezya [sorte d’impôt de capitation, NdT] aux chrétiens des quartiers contrôlés par leurs groupes armés, et d’autant plus que les extrémistes ne sont pas l’apanage des seuls milieux musulmans. Sinon, comment qualifier les milices chrétiennes libanaises qui ont assassiné palestiniens et libanais, chrétiens et musulmans ? Est-ce que la religion chrétienne est responsable du terrorisme de leurs groupes extrémistes ?

Les Chrétiens arabes ont parfaitement le droit de craindre pour leur destin devant ces vagues successives de pressions étrangères sur les sociétés arabes pour en rompre les liens harmonieux et en exposer les contradictions latentes, et devant ce  déluge sans précédent de la pensée extrémiste, takfiriste et armée. Mais nous avons aussi le droit, nous tous, en tant que citoyens et en tant que démocrates, de craindre pour le destin des chrétiens arabes qui n’est autre que le destin de nos sociétés et de leur paix civile. Cette cause ne doit pas concerner que les chrétiens, assumée par leurs seules autorités spirituelles. Elle doit devenir notre cause à tous, portée par l’ensemble des musulmans, pour devenir celle de la patrie et de la nation. Tel est le chemin que nous ne devons pas manquer de suivre !

Dr Abdel Ilah Belkeziz

10/09/2012

 

Article original : Al-khaleej

http://www.alkhaleej.ae/portal/5757eb28-3b90-4656-9171-e80f28e442d5.aspx

Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca

 

 

Abdel Ilah Belkeziz est marocain, écrivain et professeur de philosophie à l’Université du Roi Hassan II à Casablanca. Il est membre du Congrès National Arabe, membre de la Conférence Nationale Islamique, et président du Conseil d’administration du Forum de la jeunesse arabe. Il a été directeur du « Centre d’études de l’unité arabe » à Beyrouth, et a publié des centaines d’articles dans la presse arabe et une trentaine d’ouvrages.

 

[*] Georges Corm : « Le système libanais n’est pas un modèle d’avenir »

http://www.la-croix.com/lacroixsearch/search?keyword=Georges+Corm

 

Personnalités chrétiennes de la « Renaissance arabe » citées par l’auteur :

Maroun Abboud [1886-1962]

Butrus al-Bustani [1819-1883]

Farah Antoun [1874-1922]

Georgi Zidane [1886-1914]

Fares Chidyaq [1804-1887]

Adib Ishaq [1856-1885]

Gibran Khalil Gibran [1883-1931]

Elia Abu Madi [1889-1957]

Mikhail Naimy [1889-1988]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Articles Par : Abdel Ilah Belkeziz

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