La nouvelle inculpation de Julian Assange aux États-Unis n’a pas été signifiée aux tribunaux britanniques

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, n’a de nouveau pas pu assister à une audience dans le cadre de sa procédure d’extradition contre les États-Unis, que ce soit en personne ou par liaison vidéo lundi.

Son équipe juridique a expliqué qu’Assange agissait sur les conseils de ses médecins, qui sont préoccupés par le risque d’infection que représente l’utilisation de la salle de vidéo non ventilée de la prison de Belmarsh qui est utilisée par de nombreux prisonniers au cours de la journée. Ces conditions ont empêché Assange d’être présent lors des procédures judiciaires pendant plus de trois mois. Il court un risque accru d’infection par le coronavirus en raison d’un problème respiratoire et des effets de la torture psychologique prolongée.

Aucune disposition n’a été prise pour protéger la santé d’Assange et lui permettre de participer à sa propre affaire. Au lieu de cela, la juge de district Vanessa Baraitser a cherché lundi à faire pression sur Assange pour qu’il comparaisse par liaison vidéo. Elle a déclaré avoir reçu une note de la prison de Belmarsh indiquant «non pas que [Assange] soit malade, mais qu’il ne se présentera pas» et a demandé des preuves médicales pour justifier sa non-comparution à l’avenir. L’avocat de la défense Mark Summers QC a répondu que des preuves seraient fournies.

Les examens médicaux d’Assange réalisés par téléphone tant par l’accusation que par la défense sont maintenant terminés.

Assange dans la prison de Belmarsh quelque temps après son arrestation le 11 avril de l’année dernière

 

Baraitser a ensuite soulevé la question du nouvel acte d’accusation émis par les États-Unis contre Assange le mercredi 24 juin. Cet acte d’accusation qui remplace le précédent n’a pas encore été formellement introduit dans la procédure d’extradition: un autre développement kafkaïen puisque la procédure judiciaire britannique se poursuit sur la base d’un acte d’accusation qui a été remplacé et qui n’a donc aucune force juridique aux États-Unis.

Joel Smith, l’avocat de la poursuite, a déclaré qu’il ne ferait pas de commentaires sur la question pour le moment. Summers a déclaré: «Pour le moins, nous sommes surpris par le timing de ce développement et surpris d’en avoir entendu parler par la presse plutôt que par la signification [des preuves par les tribunaux].» Il a ajouté que la défense ne donnerait pas de réponse officielle tant que le nouvel acte d’accusation ne serait pas officiellement signifié aux tribunaux britanniques.

L’introduction d’un nouvel acte d’accusation à un stade aussi tardif de la procédure, alors que la première moitié de l’audience d’extradition a déjà eu lieu au Royaume-Uni, constitue un abus flagrant du droit de la défense à une procédure équitable. À tout le moins, a souligné Summers, elle «a la capacité évidente de faire dérailler la date de septembre [pour la prochaine phase de l’audience]» que la défense s’est engagée à respecter.
La poursuite semble devancer une ligne d’argumentation de la défense d’Assange basée sur la règle de la «spécialité». La spécialité est un principe d’extradition qui stipule que le défendeur ne doit faire face, dans le pays de destination, qu’aux accusations pour lesquelles il a été extradé. Si le Royaume-Uni a des raisons de croire que des accusations supplémentaires pourraient être déposées une fois que l’accusé est extradé, cela empêche l’extradition. Les États-Unis n’ont pas officiellement dévoilé de nouvelles accusations, mais ont utilisé le nouvel acte d’accusation pour élargir considérablement la portée des allégations contenues dans les accusations existantes.

Ces changements semblent également être une réponse à la démolition d’aspects clés du dossier de l’accusation par l’équipe juridique d’Assange lors de la première phase de l’audience d’extradition en février.

Sous l’accusation de «complot pour commettre une intrusion informatique», Assange a été accusé de conspiration avec la célèbre lanceuse d’alerte Chelsea Manning pour obtenir un accès non autorisé à des documents classifiés sur les systèmes informatiques du gouvernement américain en 2010. Cette accusation a été contestée de manière décisive par la défense en février, démontrant que le gouvernement américain était conscient de la fausseté de ses accusations.

Le nouvel acte d’accusation formule des accusations plus générales, selon lesquelles Assange aurait recruté des pirates informatiques et incité au piratage contre toute une série d’ordinateurs classifiés, officiels et privés entre 2009 et 2015. Il supprime également une référence à la Loi sur l’espionnage. Il s’agit probablement d’une tentative de présenter au moins une des accusations portées contre Assange comme apolitique. Comme Edward Fitzgerald QC l’a fait valoir avec force lors de la première semaine d’audience, Assange est très clairement visé pour des «délits politiques», ce qui signifie que son extradition devrait être interdite.

Les nouvelles allégations dépendent fortement du témoignage déjà discrédité de deux informateurs du FBI, l’un ayant un long passé de fraude et l’autre impliqué dans des provocations policières pour le FBI. Elles interprètent également les paroles et les actions d’Assange en faveur du dénonciateur Edward Snowden et de la transparence comme une incitation au vol d’informations classifiées. L’ancienne chef de rubrique de WikiLeaks, Sarah Harrison, et l’ancien porte-parole de WikiLeaks, Jacob Applebaum, sont visés sur la même base. Aucun effort n’est fait pour lier leurs prétendus efforts de recrutement à des incidents réels de fuite ou de piratage.

En outre, l’accusation de «divulgation non autorisée d’informations de la défense» alléguait simplement qu’Assange avait «publié [les journaux de guerre d’Afghanistan et d’Irak et les câbles du département d’État] sur Internet.» Cette accusation a été étendue à la «distribution» des documents, par exemple à d’autres organisations de médias. Une fois de plus, il s’agit probablement d’une réponse à la défense qui a démontré que les câbles non censurés du département d’État n’ont pas été publiés selon les intentions de WikiLeaks.

Enfin, l’accusation de «conspiration en vue d’obtenir et de divulguer des informations relatives à la défense nationale» a vu son délai prolongé. La seule référence spécifique concerne les informations divulguées par Chelsea Manning, mais la formulation a été modifiée de «à savoir» à «y compris», élargissant ainsi l’éventail des allégations potentielles.

Le rédacteur en chef de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, a déclaré après l’audience: «Un acte d’accusation de remplacement est censé faire cela, remplacer l’acte d’accusation existant. Mais les États-Unis n’ont pas de nouvelles accusations à porter, et ils ne se donnent même pas la peine d’envoyer le document au tribunal ou à l’équipe de défense. Cela montre simplement qu’il s’agit d’un communiqué de presse glorifié et pas du tout d’un nouvel acte d’accusation. Cela montre à quel point ils abusent des règles de procédure au Royaume-Uni et font fi des règles du système juridique.»

En même temps, le nouvel acte d’accusation approfondit l’attaque contre la liberté de la presse menée par le gouvernement américain.

Harrison, Applebaum et Daniel Domscheit-Berg, un ancien employé de WikiLeaks, sont désormais également visés en tant que «co-conspirateurs». Les efforts déployés pour aider un dénonciateur persécuté (Snowden) à obtenir l’asile, et même les discours en défense de ses actes, sont criminalisés, tout comme les déclarations les plus générales en faveur de la transparence du gouvernement. L’une des déclarations citées en exemple dans l’acte d’accusation est celle de Harrison à l’effet que: «depuis le début, notre mission a été de publier des informations classifiées ou de toute autre manière censurées qui sont d’importance politique, historique.» Le fait de se concentrer sur la distribution de matériel classifié par WikiLeaks, par exemple à des organisations médiatiques partenaires, menace un large éventail de journalistes et de médias.

À l’issue de l’audience de lundi, Baraitser a annoncé que la prochaine et dernière phase de l’audience d’extradition se tiendra «presque certainement» à la Cour pénale centrale de Londres – la Old Bailey – à partir du 7 septembre.

Les conditions dans lesquelles cette audience se déroulera ne sont pas du tout claires. Depuis que des mesures de distanciation sociale ont été mises en œuvre, seul un très petit nombre de journalistes ont pu accéder à la Westminster Magistrates Court. La grande majorité d’entre eux ont été contraints de se connecter à une conférence en ligne largement inaudible. Bien que la qualité audio ait été améliorée pour l’équipe de la défense à cette occasion, le juge et l’accusation sont restés très peu clairs. L’option permettant de se connecter au tribunal par liaison vidéo n’a pas fonctionné.

La prochaine audience téléphonique est prévue pour le lundi 27 juillet à 10h.

Thomas Scripps

 

Article paru en anglais, WSWS,  le 30 juin 2020



Articles Par : Thomas Scripps

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